95 hobereaux ligués contre la suppression des départements

Écrit le 24 janvier 2008 par Jiceo

Supprimer l’échelon départemental de l’exquis dédale administratif français? En voilà une question impudente! Que le sujet, une fois de plus, revienne sur la place publique ne saurait troubler les hobereaux titulaires des trônes, souvent magnifiques, des 95 « palais du département » métropolitains. A leurs yeux, poser la question est en soi une injure. Seule réponse digne, droite et gauche à l’unisson: crier plus fort que le questionneur, pour le réduire au silence. Ce qui fut fait en 48h.

Le souffle de la jacquerie a sifflé aux oreilles de « Nicolas Sarkozy la rupture ». Et, il s’est empressé d’enrayer la levée de fourches qui montait des fiefs de province. Certes le département est inscrit dans notre histoire, comme il l’a rappelé, pour justifier sa décision immédiate de ne pas y toucher. Mais, notre grand pays cultive un conservatisme chatouilleux. Nous avons sans doute oublié les motivations de l’assemblée Constituante, arrêtant à 83 le nombre des départements, le 26 février 1790. Les députés ont voulu que chaque citoyen puisse se rendre au chef-lieu en une journée de cheval, au plus. Voilà sur quelle base ils ont déterminé l’étendue et donc le nombre initial de départements, gage de la présence de l’État sur tout le territoire.

Présence de l’État

L’argument avait encore quelque pertinence dans les années cinquante, alors que chaque village ne disposait que de quelques automobiles: celles du médecin, de l’épicier et parfois celle du curé. Quant au téléphone à l’époque, quelques notables en disposaient à domicile. Le public désireux d’envoyer un message lointain et urgent devait se rendre au bureau des PTT (Postes-Télégraphe- Téléphone). Il restait aux citoyens pour se rendre à la préfecture le train et les cars. Ce petit rappel rendrait croustillante aujourd’hui la tentative de justifier l’existence des départements sur une argumentation rationnelle, touchant à la présence de l’État, à ses relations avec les citoyens ne serait-ce qu’à propos des démarches administratives; entre la généralisation de l’automobile, du téléphone, de l’accès à internet…

Blanc et noir

Mais ce n’est pas tout à fait le sujet. Car il faut distinguer entre la présence administrative de l’État, et le bien-fondé des assemblées délibératives, les Conseils généraux. La présence de l’État dans chaque département sous la forme d’une préfecture disposant de toutes les compétences est une question complexe, impossible à trancher entre blanc et noir. Complexe mais légitime. Le préfet est comptable de la mise en œuvre et du suivi de politiques multisectorielles touchant à l’environnement, aux risques industriels, aux risques naturels, à la sécurité publique… Il faut y inclure les relations avec les maires, la mise en œuvre et le suivi des procédures prévues par la loi dans l’exercice des mandats électoraux. Le département c’est aussi la circonscription de base de l’Education nationale, avec « son » Inspecteur d’académie.

Lourdes procédures

Est-ce aujourd’hui l’échelon le plus pertinent pour tous ces domaines? Rien n’est moins sûr. Nombre de questions sensibles touchent plusieurs départements, ce qui rend les procédures très lourdes. La mobilité croissante des populations rend l’Inspecteur d’académie dépendant de flux rapides que l’échelle du département ne permet pas de prendre en compte avec suffisamment de flexibilité. Tout cela mérite réflexion approfondie. Mais il y a un domaine où l’inertie est perverse; celui de la légitimité des Conseils généraux. L’exhibition lacrymale des présidents de Conseils généraux a pourtant fait reculer le président de la République. Une fois de plus. Pourtant, pris un par un, tous les aspects de la question conduisent à la même conclusion: le Conseil général est un anachronisme couteux.

PSD – APA

La question sociale, dont se gargarisent les présidents de Conseils généraux pour justifier leur existence est très éclairante. Lorsque Lionel Jospin lance l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) elle remplace la prestation spécifique dépendance (PSD) en vigueur jusques-là. Une des motivations est que, à situation comparable, le montant de la prestation s’établit sur une échelle de 1 à 4,5 selon les départements. Autrement dit l’égalité républicaine est mise à mal par l’interprétation libre de chaque département dans l’application de la loi. Et que fait le législateur qui vote l’APA? Eh bien il définit les critères d’attribution, ne laissant aucune marge d’appréciation à l’assemblée délibérative du Conseil général. Autrement dit, dans la mise en œuvre de la loi, le Conseil général se retrouve dans la position d’une administration chargée justement d’appliquer la politique voulue par le pays. Est-il besoin d’une assemblée délibérative pour mettre en œuvre une loi dont les modalités d’application sont légitimement définies par le parlement?

Frontières rigides

La compétence en matière d’enseignement secondaire dévolue aux Conseils généraux (les collèges) est encore une vieille hypocrisie. C’est une concession démagogique faite lors des lois de décentralisation, alors que celles-ci auraient dû être l’amorce de la disparition du département. Leur exigüité, justement, n’offre pas une flexibilité suffisante pour une gestion fluide. D’autant que les frontières départementales sont aussi rigides que des frontières étatiques. Scron-gneu-gneu, c’est mon territoire; c’est ma compétence, pas question que je la partage. Il eût été bien plus cohérent d’attribuer aux Conseils régionaux l’ensemble de la compétence sur le secondaire (lycées + collèges). On a là un territoire un peu plus grand qui offre davantage de souplesse d’adaptation, notamment en limitant les concurrences aux frontières. Et donnerait davantage de cohérence au maillage du territoire dans le domaine des infrastructures scolaires. Quant à la compétence associée, celle du transport scolaire, est-il besoin encore une fois d’une assemblée délibérative pour la mettre en œuvre, tant ses caractéristiques sont avant-tout techniques? Par surcroit, une organisation à l’échelon de la Région donne davantage de souplesse. Toujours la même histoire, la recherche d’équilibre dans une perspective d’efficacité.

Joyeusetés technocratiques

Et lorsqu’il s’agit de la compétence routière, on sombre dans le grotesque. Alors qu’on établit des liaisons autoroutières continues entre la Belgique et l’Espagne; alors qu’on cherche à développer le ferroutage; alors qu’on veut développer le TGV; alors qu’on veut créer des autoroutes de la mer entre St-Nazaire et Bilbao, on vient donner au Conseil général la compétence en matière de routes. Il y a vraiment un problème d’échelles incompatibles. Soit ce sont des projets d’envergure (création, entretien) d’intérêt au moins national, voire européen, comme ceux que l’on vient d’évoquer, et alors ils relèvent (sous l’angle de l’efficacité) d’une autorité un peu plus large: l’État associé à un syndicat interrégional conçu pour un projet spécifique. Sinon, bonjour les joyeusetés bureaucratiques en conflits de compétences. Mais imaginer cela au plan départemental? Vraiment? Soit il s’agit de projets d’intérêt plus localisé, et la Région a compétence pour organiser les voies de circulation à cette échelle-là. Soit il s’agit de projet d’intérêt local, et cela les communes et communautés de communes savent faire.

Conservatisme chatouilleux

Commune, canton, communauté de communes, département, région, État, Europe: le Français est un être qui aime être encadré, pris en charge, un citoyen qui a si peu confiance en ses institutions qu’il les multiplie a l’envi. Au final, tout de même, je ne vois pas bien quelle compétence pourrait bien légitimement justifier l’existence des Conseils généraux; sinon servir la gloire de quelques hobereaux en mal de notoriété. Et, aux frais du contribuable, cela va de soi. Terminons en illustrant le propos de départ: notre grand pays cultive un conservatisme chatouilleux. Constatons le savoureux retournement qui a pour protagoniste le ci-devant vicomte Le Jolis de Villiers de Saintignon (Ouest-France 24/01/08). Lui le pourfendeur de la Révolution française fait du département, création de l’assemblée Constituante, un hochet précieux qu’il ne veut surtout pas lâcher. Conservatisme chatouilleux; et très intéressé.

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