Le service public otage des 36000 communes

Écrit le 10 février 2008 par Jiceo

La bonne conscience en écharpe, des armées de redresseurs de torts parcourent les tribunes du pays en clamant «maintien des services publics, maintien des services publics…» Mais, jamais les porte-voix du slogan ne réussissent à le dépasser. Lieu commun sans matérialité il s’épuise tout seul en vaine répétition. Comme si la notion de service public avait une réalité objective, en soi, indifférente aux caractéristiques de lieux et de temps. Pourtant, la question de services publics, seule, n’a aucune consistance si elle n’est pas accolée à son corollaire: comment peut-on adapter les services publics aux changements de la société?

Posée en ces termes la question dévoile les enjeux qu’elle recèle. Elle révèle que l’organisation, le fonctionnement des services publics ne sont plus adaptés, et qu’ils ne remplissent plus leurs missions. Elle révèle qu’il y a donc un travail à entreprendre : un travail d’analyse justement et de reconstruction (tiens donc), et les deux volets en même temps.

Les modes de vie changent

Ce travail repose sur un constat. Les territoires ont changé, parce que les mouvements de population se poursuivent; parce que les technologies évoluent, vite (transports, technologies médicales, technologies de communication…); parce que de nouveaux outils sont accessibles au plus grand nombre; parce que tout cela et bien d’autres choses encore changent les modes de vie. Les territoires ont changé et continuent de changer et les services publics devraient eux, simplement être maintenus, en l’état? La réaction est-elle vraiment à la hauteur?

Quelques exemples: – Est-il légitime de payer six heures par jour des salariés d’un bureau de poste de campagne qui ne voient que trois ou quatre clients par jour? Sachant qu’au même moment dans une banlieue de grande ville on a vingt ou trente minutes d’attente avant d’accéder au guichet? Cela était légitime dans les années cinquante, quand seuls quelques notables possédaient une automobile, et que les habitants des environs profitaient du marché hebdomadaire pour effectuer les démarches au chef-lieu de canton. Mais aujourd’hui quand on adore prendre sa voiture pour aller faire ses courses à la ville, à vingt kilomètre? Il serait légitime de prendre sa voiture pour remplir le réfrigérateur, mais illégitime de devoir acheter des timbres et poster son courrier par la même occasion? Sans compter que même en l’absence de bureau de poste, le facteur continue lui de faire la tournée et que ces services de base font partie de sa mission.

– Est-il légitime de payer un instituteur pour neuf ou dix élèves dans telle école de campagne quand des regroupements pédagogiques permettraient d’améliorer le fonctionnement d’une école plus grande à cinq ou six kilomètres?

– Est-il légitime de payer les gardes d’un chirurgien, d’un obstétricien, d’un médecin anesthésiste, 365 jours par an dans un petit hôpital alors que les trois quarts de ces gardes sont sans activité? Sachant qu’au surplus on sait qu’il faut aux praticiens un minimum d’activité, dans toutes les spécialités médicales, pour que les patients soient assurés d’un niveau de sécurité acceptable. Sachant qu’au surplus les patients ont droit au meilleur de la technique où qu’ils soient, et qu’un petit hôpital ne peut pas suivre financièrement l’évolution des matériels. Alors que faut-il? Un hôpital à sa porte mais pas forcément doté des dernières technologies ou bien un hôpital plus éloigné mais mieux équipé, servi par des équipes plus aguerries? La question à propos de la poste, de l’école, de l’hôpital, etc, n’est pas entre le statu quo et la table rase. Elle est dans l’appréciation particulière de chaque situation; dans notre capacité d’adaptation, permanente.

36000 communes, voilà le handicap

De fait, ce qui est intéressant c’est le «non dit» qui se cache dans le discours militant du maintien des services publics. Il ignore les évolutions de la société depuis un demi siècle; il ignore la situation des autres pays européens à ce sujet. La revendication implicite est que les 36000 communes de France devraient toutes êtres dotées de façon identique d’un bureau de poste, d’une école, d’un hôpital… Oubliant ce simple détail. Du temps de l’Europe des quinze, la France à elle seule totalisait autant d’unités territoriales de base (communes) que l’ensemble des quatorze autres pays d’alors. Sacré handicap… N’est-ce pas cela le vrai problème?

Le problème des services publics en France, au début du XXIe siècle ce n’est pas le service public, c’est l’existence anachronique de 36000 communes (sans parler des 95 départements métroplitains). Communes qui en outre ne peuvent s’imaginer sous d’autres traits que le modèle unique existant. Aujourd’hui, il y a de la place pour 6000 à 7000 communes vivantes, comme en Allemagne; pas 36000. Perspective qui tient compte de nos modes de vie, au lieu d’être seulement l’extrapolation de ce qui fut.

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