Quand la France s’éveillera, la Chine tremblera

Écrit le 24 mars 2008 par Jiceo

« Les Français veulent un boycott politique des JO de Pékin » amplifie Le Monde du lundi 24 mars. Alors que précisément : « Selon le sondage CSA pour RSF que présente Libération, 53 % des Français sont plutôt favorables au boycottage de la cérémonie d’ouverture par Nicolas Sarkozy (42 % plutôt défavorables) « pour protester contre la situation des droits de l’homme en Chine ». La tendance s’inverse quant au boycottage des J.O. par les sportifs français : 55 % n’y sont plutôt pas favorables, 41 % plutôt favorables. »

Soit. La conscience morale du monde a enfourché un nouveau cheval de bataille à la mesure de son talent: après les succès inespérés des boycotts successifs des oranges en provenance d’Afrique du sud au temps de l’apartheid, du tourisme en Espagne sous Franco, du Coca-Cola symbole de l’american way of life, de l’essence de la Shell suite à je ne sais plus quel naufrage de pétrolier sur les côtes bretonnes, des produits Total après l’Erika… La conscience morale du monde va pouvoir s’adonner pendant des mois à son passe-temps favori : faire la leçon à la Terre entière. Quand la France s’éveillera, la Chine tremblera.

Une bonne leçon

Certes, la Chine n’a pas terminé sa longue marche sur la voie du respect des droits de l’homme. Incontestablement. Cela posé, imaginer le boycott des Jeux Olympiques comme moteur de l’histoire c’est peut-être se méprendre, d’abord sur ses propres forces, mais ensuite et surtout sur son propre génie. Tirant quelque enseignement des éclatantes réussites passées (voir plus haut) les donneurs de leçon ont cette fois mis un bémol à leur supplique. Leurs prétentions se sont ajustées à nos forces. Ce n’est pas le boycott des Jeux Olympiques qu’on réclame, juste celui de la cérémonie d’ouverture. Quoi, c’est tout? Allons courage. S’il faut donner une bonne leçon à la Chine, ne nous arrêtons pas en chemin. Allons-y.

Il faut s’astreindre soi à un boycott actif ; ne plus acheter un seul T-shirt à 1 euro en provenance de Chine ; ne plus ouvrir son porte-monnaie pour des chaussures à 15 euros ; n’acheter aucun produit électronique chinois ; exiger des dockers du Havre qu’ils refusent de décharger les containers provenant de chine ; interdire le transport sur les routes françaises de produits made in China ; organiser des opérations commando contre les transporteurs et les magasins qui passeraient outre… Et puis par dessus tout refuser de vendre des Airbus à la Chine. Voilà qui serait tendance. N’oublions pas non plus de pousser nos amis Africains à dénoncer les contrats de coopération qui les lient à la Chine ; de faire pression sur nos amis Arabes pour qu’ils refusent de lui vendre du pétrole. Exiger du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, qu’il refuse de vendre du pétrole à la Chine, au nom des droits de l’homme, ça aurait de la gueule non?

Mais le plus fort reste à venir : ce serait l’engagement personnel de tous les boycotteurs de ne pas s’abandonner soi-même au spectacle olympique, a fortiori sur son téléviseur made in China; mieux encore, de renvoyer son téléviseur en Chine en « signe fort » de protestation. Et si après tout ça la Chine ne quitte pas illico le Tibet c’est à désespérer de l’humain. Voilà quelques éléments pour évaluer nos forces dans ce domaine.

Notre mémoire si fragmentaire

Quant à notre génie national, qui s’incarne dans cette propension à nous imaginer au centre du monde et de l’histoire comme un modèle universel indépassable, il n’est pas sûr qu’il ait matière à se considérer au-dessus du lot commun. Notre mémoire est si fragmentaire. Nous oublions volontiers que des tabous encore vivaces plombent notre histoire coloniale, notamment algérienne. Que notre démocratie apaisée n’a que 50 ans, puisqu’il a fallu atteindre l’horreur nazie pour que la paix supplante provisoirement le désir de guerre et s’installe relativement durablement en Europe. Nous oublions volontiers que la construction européenne n’est pas un long fleuve tranquille vieux de 2500 ans mais un torrent sanglant. Qu’avant l’émergence de l’idée d’Europe, le continent n’a pas lésiné sur les guerres. Conquêtes territoriales, avancées suivies de reculs ; enchaînement infini de soumissions et de libérations. Nous oublions volontiers que la récente dislocation de l’ex-État yougoslave a replongé la péninsule des Balkans dans des bains de sang qu’on aurait voulu croire disparus sous nos latitudes. Nous oublions volontiers que la chute d’un État fort ouvre la porte à des démangeaisons nationalistes ou ethniques dont nul ne peut prévoir l’ampleur; non plus que le terme. Ici ou ailleurs.

Il est facile du haut de notre piédestal moral de jeter de l’huile sur le feu tibétain. Mais sommes-nous assurés que si une brèche s’ouvre dans l’ex-empire du milieu ce n’est pas tout l’ex-empire qui va sombrer dans la confrontation. La revendication tibétaine n’est pas isolée dans le vaste territoire chinois. Qu’on donne l’illusion aux différentes ethnies ou peuples qui composent le pays, qu’un développement séparé leur sera plus favorable et c’est à un affrontement généralisé qu’on va ouvrir la porte, pour la maîtrise des ressources économiques, des ressources naturelles. Le développement économique de la Chine est tributaire entre autres choses de l’eau qui descend de l’Himalaya. Ressource devenue stratégique. Les niveaux de développement économique et social sont très différents aujourd’hui entre la Chine côtière et la Chine intérieure. Un État fort peut espérer garder le contrôle des déséquilibres et des flux qu’il engendre. Mais, dans un État central affaibli et délégitimé nul ne sait ce qui peut advenir. N’oublions pas que si l’Afrique a un tel retard sur le plan du développement économique ce n’est pas la faute du capitalisme. Elle le doit à l’absence d’États forts, c’est-à-dire d’États qui doivent jouer leur rôle vis à vis de l’extérieur mais aussi et d’abord à l’intérieur, notamment comme vecteur de l’intérêt général.

Du haut des cieux

La Chine cicatrise ses plaies avec le Japon, la Corée, Taïwan. Les droits de l’homme sont un bien universel. Les tibétains ont droit à la reconnaissance. Mais les droits de l’homme ne tombent pas du ciel. Pas davantage que la démocratie. L’expérience américaine en Irak est sous cet aspect si cruelle pour les donneurs de leçon. La morale seule ne sauvera pas le Tibet de la confrontation avec la Chine. Condamnons la violence. Facilitons le dialogue entre Chinois et Tibétains. Mais appelons au dialogue ; pas au boycott des JO. L’appel au boycott est une opération pour soulager des consciences coupables. Résistons à la tentation de vouloir régler les problèmes d’autrui, surtout par des leçons de morale. La Chine entre dans le cercle des nations développées. L’attribution des J.O. s’intègre dans cette dynamique de reconnaissance internationale. Les tensions internes qui accompagnent nécessairement tout changement profond se chargeront de faire évoluer le pays. L’Asie trouvera elle-même les réponses aux questions qui la travaillent. Au mieux nous pouvons l’aider sur sa voie à elle. Pas tracer la voie à sa place du haut des cieux que nous croyons avoir conquis.

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Un commentaire sur “Quand la France s’éveillera, la Chine tremblera”

  1. fff dit :

    grandes filicitations sur votre méconnaissance sur la Chine et son économie.
    La Chine ne dépend pas du tout de la France tant sur le plan économique que sur le plan diplomatique. je vois à travers votre article une sorte de nombrilisme typiquement français. ayant un peu de confiance en soi et soyez un peu plus ouvert. je vous propose de parcourir de temps en temps les médias américains pour vous mettre au courant du statut quo de la Chine.
    avant cette grande leçon française, la France était le plus populaire pays auprès des chinois. cette époque est résolu, Bravo!

    Réponse de l’auteur

    Cher lecteur,
    Puisque vous amorcez votre commentaire sur le ton de l’ironie, permettez-moi de vous tendre le miroir. La lecture de votre réaction montre juste que vous n’avez pas lu l’article. Vous vous êtes contenté du titre, au 1er degré, ignorant manifestement qu’il s’agit d’une évocation ironique d’un ouvrage célèbre de Alain Peyrefitte, paru dans les années soixante-dix et dont le titre était «Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera». Prenez le temps de lire l’article en entier, et vous verrez que sur le sujet nous avons davantage de points communs que vous ne l’avez imaginé. Mais lisez avant de commenter. Et si vous souhaitez vous conforter dans votre opinion, voyez (pardon lisez) cet autre article sur le même sujet http://www.jiceo.fr/2008/04/08/menard-flamme-olympique-boycott/

    cordialement

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