«En Allemagne, la CDU et le SPD explorent dans un climat détendu la voie d’une grande coalition»

Écrit le 26 septembre 2009 par Jiceo
(Ce texte écrit en octobre 2005 fut suscité par un article du Monde. L’occasion de se demander, cinq ans plus tard si le bilan est à la hauteur des motivations de l’époque.)

Arrêtons-nous encore à ce titre du quotidien Le Monde dans son édition du 30 septembre 2005 : « En Allemagne, la CDU et le SPD explorent dans un climat détendu la voie d’une grande coalition ». Vous avez bien lu: «… explorent dans un climat détendu… ». Titre magnifique qui a fait tilt.

Prenons le temps d’observer ce rai de lumière venu de l’est. Les élections législatives allemandes du 18 septembre ont ouvert un beau chemin, semé d’embûches certes, mais riche de potentialités. Imaginons la transposition du titre en France: « L’UMP et le PS explorent dans un climat détendu la voie d’une grande coalition ». Incongru non?

Pourtant, les questions sociales, économiques, politiques qui focalisent l’attention des Allemands depuis des années ressemblent comme des sœurs de lait à celles qui agitent la vie publique française: déficits publics, chômage élevé, dépenses de santé et retraites non financées…

Certains, là-bas comme ici, à droite comme à gauche, reconnaissent les pesanteurs qui freinent l’adaptation de nos pays de vieilles industries à la nouvelle donne mondiale. Mais d’un côté du Rhin on sait que la voie de la négociation et du dialogue, seule, est à même de produire des politiques viables. De l’autre on préfère la paralysie réciproque à la résolution des problèmes, même aigus.

Certes la France et l’Allemagne ce n’est la même chose, et ce qui vaut pour l’un ne vaut pas pour l’autre à l’identique. Doit-on pour autant renoncer à un questionnement plus poussé? Il me paraît digne d’intérêt d’évoquer l’évolution de pays engagés comme le nôtre dans le processus de mondialisation. Comment se fait-il que dans certains pays on parvienne à mettre en œuvre des solutions viables et pérennes? Question qui par ricochet nous interroge sur l’état d’esprit requis par ces processus.

Le loup et l’agneau

Les Danois, par exemple, ont lancé une politique courageuse orientée vers le plein emploi; les Suédois, par exemple, ont réformé avec succès leur système de santé depuis plus de dix ans; les Norvégiens sont engagés dans une refonte en profondeur du leur; les Finlandais ont redynamisé leur système scolaire; les Allemands se sont engagés courageusement sur la voie de réformes douloureuses, avec l’agenda 2010 de Gerhard Schröder. Mais nous Français, adorons chercher des boucs émissaires à nos malheurs, prolongeant l’illusion que c’est le monde qui doit changer et s’adapter à nous; renforçant jour après jour l’idée que nous ne serions que de frêles victimes. Et jamais acteurs de notre vie. Eh, bien, désolé. Je ne me vois pas dans la peau de bête d’un agneau traqué par le méchant loup. Ce ne sont là que des histoires que l’on raconte aux enfants, dans l’espoir de les aider à grandir en dépassant leurs peurs. Encore faut-il vouloir grandir…

Le monde change, vite. Il ne nous attend pas. Et personne d’autre ne fera ce travail d’adaptation à notre place. Soyons-en sûrs, le monde survivra à la disparition de la France éternelle.

S’adapter ou s’étioler

Alors France-Allemagne? D’abord la question de fond: les modalités de régulation sociale élaborées au sortir de la guerre sont devenues caduques. L’alternative devient donc: s’adapter ou s’étioler. Puis, à côté, la question de forme. Comment se fait-il que droite et gauche en Allemagne parviennent à collaborer, dans l’intérêt général, et pas en France?

Premièrement, il est clair que les Allemands ont voulu la coalition. Même s’ils s’engagent avec réticence ils ont mesuré l’ampleur de la réforme nécessaire, et probablement ont-ils perçu que vue l’ampleur, la dialectique classique droite-gauche ne permettait pas d’en venir à bout. Il fallait peut-être momentanément au lieu de se stériliser mutuellement s’accorder sur un noyau dur de réformes capables de remettre l’Allemagne sur les rails de la dynamique économique.

Notons en passant que l’Allemagne d’après guerre a largement privilégié le dialogue, la recherche du consensus, et pour cause. Les deux principaux partis, certes contraints à la coalition par leurs électeurs, s’y sont engagés. C’est une façon élégante de respecter leurs mandants, à la mesure des enjeux qui la sous-tendent. Petite note qui ramène à la question du jour: travailler à s’accorder sur un programme de gouvernement c’est bien et c’est beau. Cela suppose un fond commun. Et ce fond commun c’est la reconnaissance chez les deux grands partis de gouvernement que la mondialisation est une donnée, pas une option idéologique. Et que la redistribution des richesses (protection sociale, santé, retraite) suppose la production de richesses, ce qui suppose l’adaptation au commerce mondial.

Nos coalitions s’appellent cohabitations

En France, nous avons aussi nos coalitions qui s’appellent cohabitations. Elles donnent l’impression de consensus, mais rendent le changement encore plus difficile puisque chacun des cohabitants est davantage porté à mettre des bâtons dans les roues de l’autre qu’à coopérer dans l’intérêt du pays. Retour à la question. Si droite et gauche s’accordent sur un fond commun en Allemagne, en Suède, en Grande-Bretagne, aux USA… et aussi en France maintenant en pratique (puisque le PS a fait l’expérience dans la durée des responsabilités gouvernementales, sans parvenir à l’intégrer dans sa vision du monde) mais pas encore en discours, si droite et gauche donc s’accordent sur un fond commun, il serait peut-être aussi intelligent de s’interroger sur le sens de cet accord implicite et de le rendre explicite, plutôt que de persister à le nier a priori, à la lumière blafarde de vieilles lunes idéologiques.

Pas un nouveau modèle unique, exclusif, définitif

Mais il se peut aussi que nous Français n’ayons rien à apprendre des autres. Et puis, dans l’état actuel de la France, il n’y a peut-être aucune décision difficile à prendre:

– la dette publique au-delà des 1000 milliards d’euros; l’annuité de la dette devenue le deuxième budget de l’État; l’État qui profite de la décentralisation pour transférer des compétences sans même pouvoir mettre fin au déficit budgétaire; les dépenses d’assurance maladie qui galopent loin devant les recettes (11 milliards de déficit pour la seule année 2004); le financement des retraites qui devra être remis sur le tapis d’ici quelques années parce que les réformes du gouvernement Raffarin ne sont pas allées au bout du processus pour rendre le système viable à long terme…

De ces quelques broutilles, nos enfants feront leur affaire. En attendant jouissons, jouissons, jouissons. Certes la coalition recèle aussi ses propres dangers. Celui notamment de rejeter vers les extrêmes ceux qui ne savent exister que dans une opposition systématique. Cependant, la coalition n’est pas destinée à devenir un nouveau modèle unique, exclusif, définitif. Elle n’est, dans l’esprit des Allemands,  qu’un recours temporaire pour passer un cap difficile.

Alors, un gouvernement de coalition en France? Nécessaire? Possible? Envisageable? Inutile? Nuisible? Coupable hérésie?

(Challans le 18 octobre 2005)
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