La France en état de mal endémique (suite)
La spasmophilie antisarkozyste, un exorcisme

Écrit le 27 octobre 2009 par Jiceo

La spasmophilie antisarkozyste (1/2)… (Suite)

• Ce vieux pays, la France, mon pays, se racornit. Il se complait dans une sorte de régression, qui serait anodine s’il ne s’agissait que d’une simple passade. Or cette longue plainte, monotone comme une basse obstinée, perdure. Et elle s’est amplifiée depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. L’antisarkozysme virulent et systématique ne peut plus être considéré simplement comme une manifestation habituelle et normale de la liberté d’expression dans une démocratie. Il est le révélateur de quelque chose de plus profond. Et d’autant plus inquiétant qu’il est ignoré, notamment parce qu’il se prend pour ce qu’il n’est pas. Il se croit expression politique quand il n’est bien souvent pas grand chose d’autre qu’étalage de ressentiment. Le sarcasme antisarkozyste a tous les traits d’un exorcisme.

Menacée la liberté de la presse ? Tu parles ! Hiérarques traditionalistes de gauche et journalistes conformistes en ont fait des gorges chaudes pendant des mois. Pourtant le festival des lazzi antiprésidentiels n’a jamais été aussi florissant. Et il tire en longueur. Curieux ce décalage entre les faits bruts et leur perception, comme s’il s’agissait de se fabriquer un objet de haine pour se sentir exister. Puisque les questions de fond (politique, économique, sociale) qui travaillent nos sociétés complexes sont étrangères à la pensée de gauche éculée (opposition systématique puérile) et qu’elles ne se prêtent guère davantage aux simplifications médiatiques, les uns et les autres alors s’accrochent à la langue de bois journalistico-politique. On reste à la surface des choses. On surfe sur les lieux communs. Et quand on n’a pas grand chose de constructif à proposer pour l’avenir du pays on brocarde, on raille, on apostrophe. La vie publique est faite de ce bruit médiatico-politique incessant. C’est le lot commun des démocraties, jusqu’à un certain point. Or, ce changement de régime médiatique, cet emballement antisarkozyste, dénote une rupture.

Ces vieilles habitudes figées en jeu de rôle

Nicolas Sarkozy ne joue plus le jeu pervers dans lequel se prélasse la France depuis des lustres. Ce qui ne signifie pas qu’il est tout blanc et les autres tout noir. Simplement, il rompt avec les vieilles habitudes de la vie publique, dominée et organisée par cette culture de l’irresponsabilité, ce bien partagé en indivision par la classe politique, la classe journalistique et les citoyens militants politiques, syndicaux associatifs… Ces vieilles habitudes figées en jeu de rôle stérile. Il ne joue plus le jeu, Nicolas Sarkozy, ce jeu de rôle dans lequel chacun trouve son compte, mine de rien. Ce jeu de rôle qui organise la stérilisation de la vie publique. Toute intention de réforme étant combattue avant même d’avoir été étudiée, les choses restaient en l’état désespérément (1). Il ne joue plus le jeu de rôle, et donc déstabilise les joueurs, qui réagissent en dépossédés.

Au fond, il concentre sur lui tous les reproches de la terre parce qu’il brise les codes de la duplicité politique ordinaire telle qu’elle a cours en France. Il a réveillé les Français, qui n’acceptent pas avec enthousiasme d’être sortis de leur douce torpeur. Ils la croyaient installée pour l’éternité. Ils adoraient cette routine fondée sur une complicité implicite entre les élus et les « citoyens », sur un partage des tâches subtil. Le centre invisible de toute la vie politique française tient dans ce non-dit : tout part de l’État et tout revient à l’État. Toute initiative qui n’émane pas de l’État est suspecte. Quand quelque chose cloche c’est la faute de l’État. Les Français ne parviennent pas à voir l’État comme catalyseur. Ils ne le conçoivent qu’en acteur omnipotent. Et eux, en face les « citoyens » sont de prosaïques consommateurs de services (publics) d’État, chroniquement mécontents. Au fond la morale politique française se résume à peu de chose. Si l’État veut, il peut. S’il ne fait pas c’est qu’il ne veut pas. Ite missa est.

Contrat tacite

A partir de là les choses se mettent en place naturellement. Et c’est donnant-donnant. Dans le contrat tacite la classe administrativo-politique estampillée ENA est habilitée à occuper les charges d’État avec les honneurs et les avantages y afférent. En contrepartie de cette habilitation ses titulaires endossent toute responsabilité. Responsabilité politique s’entend et symbolique exclusivement, qui ne peut en aucun cas se répercuter sur le déroulement de leur carrière. En un mot ils acceptent le rôle de bouc émissaire contre la garantie de carrière.

En pratique la classe administrativo-politique concède aux citoyens soulagés la licence de s’affranchir de toute espèce de responsabilité. Supérieurement diplômée, c’est-à-dire supérieurement compétente dans la vulgate républicaine, l’élite s’occupe de tout. Les Français ont ainsi tout le loisir de s’immerger dans l’irresponsabilité, chaque corporation se sentant légitimement autorisée à ne s’occuper que de ses intérêts à court terme. Ils ont le loisir de n’accepter aucune réforme, de bloquer le pays, en même temps que d’accuser perpétuellement l’État de tous les maux en toutes circonstances. Qu’il fasse quelque chose et il lui sera reproché son inefficacité; qu’il ne fasse rien et il lui sera reproché son inertie. Tout cela est dans le contrat tacite. Et ça dure.

Dynamiques régressives

Le fond idéologique de l’énarchie repose sur ce postulat : ENA=diplôme=compétence. Son fond culturel c’est : « pas de vagues ». Il faut éviter de se laisser prendre dans une confrontation durable avec une partie de l’opinion. Ce n’est pas bon pour la carrière. Voilà pourquoi dans ce pays, les pouvoirs publics font marche arrière très rapidement. Ces dynamiques régressives sont d’autant plus exacerbées que l’élite, tellement assurée de son génie, se préoccupe peu de tenir les Français informés, de travailler en amont et dans la durée à adapter le pays aux changements qu’il connait, en associant les Français à l’élaboration des changements.

La langue de bois joue le rôle d’amortisseur, jusqu’à ce que la situation devienne intenable et impose la prise de décisions dans l’urgence. Préparées dans le secret celles-ci suscitent un fort refus a priori dans la population, à la mesure de l’ignorance dans laquelle elle est tenue; et se complait. Processus qui vient alimenter le folklore national du dénigrement systématique de toute forme de pouvoir. Et ni les partis, lorsqu’ils sont dans l’opposition, ni les syndicats ne jouent ce rôle positif indispensable dans une société complexe de recherche en commun de l’intérêt général. L’opposition assez systématiquement joue à savonner la planche de l’exécutif, avant de se retrouver à son tour lorsqu’elle revient aux affaires face à des situations qu’elle-même a aggravées par son refus de coopérer en amont. Alors bien souvent il faut retirer les projets de loi dans la précipitation, ou bien les vider de leur substance. Et les choses restent en l’état jusqu’à la prochaine fois.

Ils conservent leurs privilèges en narguant l’avenir

Voilà comment le pays s’est enfermé dans un conservatisme où chacun (parmi les insiders exclusivement) y trouve son compte, tant que les circonstances le permettent. Les énarques poursuivent leur carrière impunément. Les insiders conservent leurs privilèges en narguant l’avenir. C’est sur ce terrain-là que se sont construites les relations perverses entre les Français et leur classe administrativo-politique. Cet arrière plan est quasi invisible tant que la croissance (les 30 glorieuses), puis l’inflation (lorsque la croissance s’effondre après le premier choc pétrolier), puis l’endettement (depuis l’adoption de l’euro qui interdit de fait de laisser courir l’inflation) demeurent acceptables, permettant à chaque Français (les insiders essentiellement), peu ou prou, de conserver les « avantages acquis »; jusqu’à ce que les conséquences de ce conservatisme deviennent rédhibitoires.

Alors, il faut soudain réagir. Mais dans l’urgence, mais dans l’impréparation, mais dans la panique. Les Français sont ces drôles de gens qui n’acceptent de modifier le cap que lorsque la falaise se dresse droit devant eux, lorsqu’ils sont déjà dans les rouleaux qui risquent de les drosser à la côte. Ce peuple si fier préfèrerait disparaître corps et biens avec son « modèle français » moribond que de vivre en s’adaptant (pléonasme, puisque c’est la définition de la vie).

Chacun pour soi, l’État pour tous

La France semble n’être plus qu’un conglomérat de corporations accrochées à leur statut anachronique. Chacun pour soi, l’État pour tous. Et qu’il se débrouille pour payer nos retraites jusqu’à la fin des temps sans toucher ni à la durée de cotisation, ni au taux de remplacement, ni à l’âge de départ. Et qu’il se débrouille pour remplir le tonneau des danaïdes de la sécu, sans augmenter les cotisations, sans limiter la consommation de soins, sans limiter le remboursement de médicaments, sans rationaliser l’offre de soins. Et qu’il se débrouille pour dépenser toujours plus dans l’éducation nationale sans tenir compte des résultats, qu’il se débrouille pour éradiquer le chômage, pour maintenir le niveau de vie de chacun en multipliant les aides, pour construire les centaines de milliers de logements décents qui manquent, pour offrir une cellule individuelle à chaque prisonnier, pour accueillir sans limite les immigrés, etc; et le tout évidemment sans augmenter nos impôts. Qu’il se débrouille avec la dette publique! Tout peut bien changer autour de nous, pourquoi voulez-vous que pour autant nous devions changer quoi que ce soit de nos habitudes ?

Un bouclier idéologique blindé

Depuis des lustres les Français se sont endormis sur leurs lauriers, bercés par des notables qui n’ont d’autre ambition que conserver les places. Nicolas Sarkozy arrive. Et lui, au lieu de venir les border dans leur berceau comme le faisaient François Mitterrand ou Jacques Chirac il soulève l’édredon. Il demande à la France de se réveiller. Il bannit les berceuses (cette vieille langue de bois énarchique) que l’élite susurrait à l’oreille des Français et il se met à leur parler comme on parle à des adultes, ce qu’ils n’apprécient guère apparemment. La France alanguie attendait le prince charmant et c’est le chevalier Bayard qui arrive. Fichtre ! Quel réveil. Alors vite, les piques et les faux contre l’importun.

Plus personne dans ce pays ne semble concerné par l’idée de destin commun. Les Français se reconnaissent dans des corporations et des associations qui leur servent de support pour défendre chacune indépendamment ses intérêts à court terme. Que tout soit interdépendant ne les concerne en rien. C’est à l’État de se débrouiller avec ça. On voit les retraités descendre dans la rue le samedi pour réclamer l’augmentation des pensions et les mêmes se joindre à la manifestation du lundi pour réclamer des mesures contre le chômage. Sans faire le lien entre les deux. Sans concevoir que plus les charges sur les salaires augmentent plus l’emploi en France est fragilisé.

Et c’est ce travail-là que personne ne fait de mise en relation des intérêts en jeu. Hormis la CFDT et dans une moindre mesure Bernard Thibault qui butte sur le bouclier idéologique blindé de la CGT. Les médias dans ce jeu-là ne sont guère plus courageux. Ils se contentent de surfer sur la langue de bois des lieux communs. Ils servent de porte-voix aux corporations, jour après jour,  l’une après l’autre, mais peu font l’effort de mettre en relation l’ensemble des problèmes qui touchent nos sociétés. Peu s’attachent à mettre les innombrables demandes qui remontent vers l’État en perspective avec l’état des comptes de la nation.

Dormez en paix braves gens

Et voilà comment la République est bloquée. Les citoyens s’accrochant à des statuts anachroniques (ceux qui en ont un, statut protecteur) avec l’énergie du désespoir, les élus de la classe administrativo-politique (au statut très très protecteur) s’accrochant à leur carrière. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette… Tant que chacun y trouve son compte. La culture de l’ENA c’est : « dormez en paix braves gens, on s’occupe de tout ». Même le nuage radioactif échappé de la centrale de Tchernobyl (en 1986) s’est arrêté aux frontières françaises sur injonction de nos grands experts. Les élites de ce pays traitent ses habitants en enfant. Et ça dure probablement parce que ceux-ci adorent cela, et tentent d’exister malgré tout en ronchonnant.

Seulement, la superficialité inhérente à ce jeu de rôle produit des effets pervers qui finissent par devenir criants. A la longue, la force de l’habitude conduit à cette perception étriquée du monde qui considère les hommes politiques en charge de l’exécutif d’abord comme des ennemis, puisque les limites de leur toute puissance escomptée se manifestent tous les jours. L’idée de considérer positivement l’action du chef légitime de l’exécutif, de la considérer comme l’expression de la volonté du pays, comme l’expression hic et nunc de la recherche des intérêts du pays, cette idée somme toute banale est complètement absente du fond culturel politique du pays. Cet ambitieux est au pouvoir. Il est donc suspect.

Faut-il que le monde soit noir ou blanc ?

En France, la mesure de l’intelligence s’exprime par la profondeur de la capacité à dire « non », a priori. Mécaniquement. Oh certes, j’entends déjà la clameur du chœur des défenseurs aussi outragés qu’intransigeants de la liberté de penser. Je perçois sans difficulté la teneur de l’acte d’accusation. Je sais, je sais. J’abandonne la liberté de penser en la jetant, acte d’allégeance, aux pieds du souverain. Tu parles. Faut-il que le monde soit noir ou blanc?

L’esprit critique que manifestent nos accusateurs publics consacrés (militants politiques, syndicalistes, associatifs, journalistes, éditorialistes) se limite à cette posture intellectuelle d’une platitude accablante : je critique, donc je suis contre. Stérile. Stérilisante. Sa nature même l’écarte de l’accès à l’esprit critique, au sens plein, qui est mise en perspective, dans l’espace et dans le temps, donc en continuelle réévaluation. Mais c’est plus facile de considérer l’exécutif du pays comme adversaire que de se considérer soi (citoyen, journaliste, militant…) comme partie prenante de l’avenir du pays. C’est trop facile de se mettre au bord du chemin pour regarder de l’extérieur ce monde honni dans lequel pourtant chacun des accusateurs fait partie des mieux intégrés, et d’attendre que le bien arrive sans y prendre part soi. Ce n’est pas cela la nature de citoyen.

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(1) Toute intention de réforme étant combattue avant même d’avoir été étudiée, les choses restaient en l’état désespérément : je pense par exemple à tous ces projets de réforme qui reviennent sur la table par intermittence, parce qu’ils n’aboutissent pas sous la pression de la rue ; parce que la culture française (dominante) profondément conservatrice ne sait pas se projeter dans l’avenir et se montre donc incapable d’anticiper les effets négatifs à moyen terme d’une situation présente perçue comme éternelle ; parce que la culture française ne connait que deux couleurs, le noir et le blanc ignorant complètement les nuances de gris ; parce que la culture française méprise la négociation préférant jouer à la confrontation sur le mode du tout ou rien. Comme s’il fallait surtout que rien ne change pour nous, même si tout change autour de nous. Comme si chaque corporation se sentait en droit d’exiger toujours plus de la société, en s’affranchissant royalement de la réflexion sur l’origine des ressources dont elle exige l’attribution.

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