« Le sarkozysme est-il un révisionnisme ? »
Déclamation de garde-champêtre

Écrit le 18 novembre 2009 par Jiceo

Ce n’est pas parce qu’on n’a rien de consistant à dire qu’on est obligé de se taire. On a aussi le droit de le faire savoir haut et fort. Dominique Hasselmann ne s’en est pas privé dans son blog, Le chasse-clou, mardi 10 novembre, en publiant «Le sarkozysme est-il un révisionisme?» Un amalgame de petites choses qui sent la bile, bien dans l’air du temps, mais qui se prend assez facilement pour la quintessence du génie intellectuel. Pensez-donc, «Le sarkozysme est-il un révisionnisme?» ça a une autre portée que « Nicolas Sarkozy est-il narcissique? ». Et une portée rien moins qu’universelle. Dans les pas d’Alain Badiou la France vient encore de faire un grand bon vers le néant.

J’ai longtemps hésité à publier ce billet; parce que c’est le genre même d’écrit qui alimente des querelles stériles. J’ai fini par m’y résoudre non pour relever l’indigence du propos qui s’étale sous ce titre ronflant mais parce que ce jour-là LeMonde.fr avait placé cette note-là de ce blog-là en page d’accueil, sous la rubrique «Les meilleurs blogs des abonnés du Monde.fr, sélectionnés par la rédaction». Et ça c’est plutôt troublant. Un choix qui en dit bien plus long sur les ressorts cachés d’une rédaction, que sur le sujet qu’elle croit éclairer. Et c’est parce que son titre est l’expression assez caricaturale de cette insignifiance verbeuse bien française que j’ai voulu aller y voir de plus près. Qu’est-il dit dans cette note? Quelle est l’idée?

Déclamation de garde-champêtre

La note commence par une déclamation de garde-champêtre: «Le blog « Les décodeurs » a démontré de manière implacable que Nicolas Sarkozy n’était pas à Berlin (Allemagne) le 9 octobre mais le 16 octobre, soit sept jours (de réflexion ?) plus tard.» Fermez le ban. Le ton n’incite pas à la rigolade. S’rait foutu de vous demander vos papiers le garde si vous ne parvenez pas à masquer votre sourire. Diable, on ne badine pas avec le puritanisme chez Dominique Hasselmann. Noir c’est noir. Blanc c’est blanc. Et on chasse le clou bien profond à la fin du paragraphe suivant: «l’affaire n’est pas anodine». Bien m’n’adjudant ! Le chasse-clou vous savez c’est cet outil qui sert à enfoncer la tête du clou dans le bois. Pour la masquer à la vue. L’outil de celui qui veut un monde lisse, sans aspérité, un monde plat sans une seule tête qui dépasse. Un monde des apparences qui ne laisse rien deviner des petits travers qui pourtant constituent, eux aussi, notre humanité.

Et voilà comment ce qui, traité sur le mode humoristique pourrait être léger et plaisant en donnant à l’événement l’importance qu’il a, devient lourd et sentencieux. Bien sûr, cette envie de réécrire l’histoire en l’enjolivant un peu, en y inscrivant son nom a posteriori pour laisser entendre qu’on y était à Berlin lors de la chute du Mur, bien sûr que c’est mesquin. Et ça devrait être traité comme tel. C’est-là la manifestation d’un narcissisme ordinaire. Comme l’est pareillement, manifestation d’un narcissisme ordinaire, ce désir apparemment tout aussi irrépressible de Dominique Hasselmann d’endosser les habits de redresseur de torts dès que Nicolas Sarkozy fait un pas de travers ou dit un mot de travers. Quand on détient la vérité au fond de son stylo, comment résister à l’envie d’en faire profiter autrui?

Le triomphe de Tartuffe

Et la suite est un amalgame improbable dont on cherche en vain la colonne vertébrale. Premier ingrédient, le rappel plutôt amphigourique que l’accusé avait promis «de ne pas mentir». Ce qui du coup offre à notre confesseur janséniste l’heur de fabriquer un «cinglant démenti». La prude Amérique aussi adore ces séances de télé-réalité où un homme public est astreint à venir s’autoflageller devant les caméras. Non pas pour s’être laissé aller à une gâterie sur canapé. Mais pour avoir menti sur le sujet. Le triomphe de Tartuffe. Puis l’amalgame s’alourdit d’un zeste de bile noire puisée chez Adrien Le Bihan, qui a «brillamment dézingué le livre de Nicolas Sarkozy sur Georges Mandel.» Ajoutez-y une pincée de ressentiment à propos de la lecture obligatoire de la lettre de Guy Mocquet «dont l’origine communiste fut soigneusement masquée». Bigre, c’est donc de là que vient ce désir de vengeance? Pas un journaliste, pas un professeur n’avait précisé l’engagement communiste de Guy Mocquet? Black out total? Tout le pays l’ignorait. Tout le pays, sauf Dominique Hasselmann. Le redresseur de torts veillait; mais d’une oreille distraite ou calcifiée. Dernier ingrédient, une épice non identifiée, au goût bizarre: «Au fait, Nicolas Sarkozy ne roulait-il pas déjà, à l’époque, en Trabant?»

Après un tel déluge de griefs la conclusion tombe sous le sens. Comment, ça vous a échappé? C’est pourtant élémentaire. «La question se pose donc tout simplement : le sarkozysme est-il un révisionnisme ?» Fatche de con! C’est du lourd ça coco. Il ne reste plus qu’à lui trouver un directeur de thèse, et le voilà bientôt docteur le cher Dominique, abstracteur de quintessence hors pair. Le cheminement intellectuel mérite qu’on s’y arrête deux secondes. Prenez un premier mensonge proféré par votre sujet d’étude; faites en un péché. Ajoutez-y un deuxième mensonge par négligence ou par omission et validez le tout par une bibliographie d’au moins deux titres. Et voilà le travail. Vous l’avez votre thèse. De ces petits travers humains si largement répandus (narcissisme et mensonge) vous avez fait « LE sarkozysme ». Il ne vous restait plus qu’à accoler « révisionnisme » à « sarkozysme » pour donner du poids à la thèse. Deux « ismes » dans le titre c’est imparable, ça vous pose le caractère scientifique d’une argumentation, non? Et, pour parachever le travail, ajoutez-y un point d’interrogation. Ça donnera du sérieux à votre propos et cela atténuera votre angoisse née de votre propre audace.

Tableau de chasse

Mais l’amalgame ne s’arrête pas là, servi par une agilité intellectuelle remarquable. D’un saut de puce (puce savante évidemment) Dominique Hasselmann passe du Mur de Berlin à ce pauvre Éric Raoult, empêtré dans son désir de contraindre Marie N’Diaye, prix Goncourt 2009, à un devoir de réserve. Une ineptie qui n’a recueilli aucun soutien dans la cité, ce qui donne la mesure de sa portée, et qui donc est appelée à tomber dans l’oubli au plus vite. Sauf à l’instrumentaliser dans une démonstration hallucinante. Jugez du peu: «A quand, dans notre beau pays, une Union des écrivains à la soviétique, avec « imprimatur » avant publication de toute interview et tampon servant de sauf-conduit (« Aussweiss ») délivré par le pouvoir central avant toute parution d’un livre ?» Un vrai tour de force, de pouvoir agglutiner dans la même phrase « soviétique », « imprimatur », « aussweiss » et « pouvoir central ». Il faut chasser le clou bien fort pour suggérer la vérité aux pauvres Français, pour faire contrepoids à la censure officielle. Voire. Tant qu’on pourra lire de pareilles billevesées, le danger de censure me paraît écarté. Mais en France on adore jouer à se faire peur.

Et n’oublions pas Marie Drucker dans ce tableau de chasse. Citée à comparaître au tribunal de l’orthodoxie sémantique parce que «on entendit, au journal de 20 heures de France 2, la dénommée Marie Drucker (la compétence a un nom) parler de « chanson » après que L’Hymne à la joie de Beethoven a retenti en présence d’Angela Merkel !» Elle mérite bien qu’on lui coupe la langue la pauvresse, elle qui doit à l’occasion commenter les événements en direct quand son censeur prend le temps, lui, de choisir ses mots à l’écrit. Ce qui n’est en rien la garantie d’une qualité d’expression supérieure soit dit en passant. Résumons: prenez un mensonge narcissique; ajoutez-y un mensonge politique puis une ineptie de député puis un mot de journaliste mal ajusté. Secouez bien fort et, miracle. Vous avez votre potion magique: le sarkozysme est un révisionnisme. Trop fort non? Comme s’il fallait à tout prix se construire un objet de haine pour penser. Résumé qui induit une question. Quelle légitimité a-t-on à se montrer aussi exigeant envers autrui quand on l’est si peu envers soi-même?

Mais on voit bien que le processus intellectuel est renversé. Ce n’est pas le fait épinglé qui conduit à considérer la politique (?) ou l’idéologie (?) ou le discours (?) de Nicolas Sarkozy comme un révisionnisme. C’est en érigeant la proposition « le Sarkozysme est un révisionnisme » en postulat (ce qui au demeurant est insensé) qu’on est conduit à chercher désespérément dans le monde vivant quelque fait qui pourrait conforter ledit postulat. En d’autres termes, c’est parce qu’on est soi-même en immersion idéologique périscopique qu’on réduit sa propre perception du monde; et qu’on réduit autrui à un caractère unique en « isme » par paresse intellectuelle. C’est parce qu’on voit le monde par le faisceau étroit de son propre périscope qu’on est incapable d’insérer ce petit morceau de vérité dans une vision du monde élargie à 360°. Cela dit, on peut comprendre qu’il est rassurant de réduire la complexité du monde au petit bout qu’on perçoit dans sa lunette. La question est secondaire. La principale concerne LeMonde.fr, mon « journal de référence » qui avait placé cette note-là en tête de la rubrique «Les meilleurs blogs des abonnés du Monde.fr, sélectionnés par la rédaction ». C’est troublant.

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