Un commando Green-Peace à l’Assemblée nationale
L’extase de l’abbé Mamère

Écrit le 9 décembre 2009 par Jiceo

A quelques jours du sommet de Copenhague, ce mercredi 2 décembre, un commando de Green-Peace réussit à déjouer le filtrage à l’entrée de l’Assemblée nationale. De la galerie du public certains de ses membres ont tenté de déployer une banderole portant le slogan « aux actes monsieur le Président » tandis qu’une amazone de salon descendait en rappel, du balcon dans l’hémicycle. Réveillé en sursaut par le brouhaha, l’abbé Mamère s’est levé et a applaudi. Le vert Trissotin de l’Assemblée nationale était au bord de l’extase.

L’événement en lui-même n’a d’autre portée que celle du coup d’éclat médiatique: un grand bruit, puis plus rien. En tant que tel il s’insère dans le jeu démocratique, à la limite. Cherchant sa légitimité aux frontières de la légalité, l’opération commando illustre à merveille l’inanité de la pensée politique-écologique qui la porte. Ainsi va la vie des donneurs de leçon, de hoquet médiatique en hoquet médiatique. Se montrer, faire parler de soi, s’agiter, voilà l’enjeu. C’est la politique sans risque. C’est l’antidote préventif par excellence: remplir le vide politique (l’absence totale de proposition politique viable) par un bouillon médiatique. Mais, ne donnons pas à ce fait divers l’importance qu’il n’a pas. Le couac dans cette exhibition d’agit-prop (qui est l’essence de la politique bling-bling puisqu’elle s’affranchit a priori de toute responsabilité politique), c’est la contribution de certains parlementaires au dévoiement du parlement, à l’affaiblissement des institutions.

C’est eux-mêmes qu’ils méprisent

Que des députés puissent se réjouir de voir les travaux de leur assemblée perturbés par une manifestation démagogique en dit long sur la conception qu’ont de leur rôle ces représentants du peuple. Qu’ils se pâment d’admiration pour des exploits médiatiques en dit très long sur le sérieux de leur travail de fond. De fait, ces comportements mettent en exergue leur impuissance de petit curé écologiste. Un catéchisme ne fait pas une politique. Pire, ils renforcent l’image que donnent d’eux-mêmes les représentants institutionnels de la gauche française, qui se perçoivent spontanément et exclusivement en opposant perpétuel. Voilà pourquoi ils se laissent aller à la démagogie anti-institutionnelle. Ils croient qu’en cautionnant les histrions médiatiques c’est la majorité (et donc le président de la République) qu’ils mettent en difficulté. Ils ne voient pas que c’est l’institution qu’ils fragilisent* et au-delà la légitimité du politique en soi. Ils ne voient pas que c’est eux-mêmes qu’ils méprisent, car ils ne réussissent pas à se percevoir comme éventuels membres d’une majorité en charge du destin du pays. La gauche c’est une armée de notables. Ils veulent des places mais ne se voient jamais en acteurs politiques dotés d’une énergie positive propre. C’est le fond de la question.

Sommé d’agir en monarque omnipotent

Que des groupuscules d’agitateurs chroniques croient faire de la politique en sommant le président de la République d’agir, c’est dans l’ordre des choses. Cette perception infantile de la politique est banale depuis 1968. On se croit génial en défiant les institutions. On se croit fort en interpelant le président de la République. La seule chose pourtant qu’on met en scène c’est sa propre pusillanimité. Personnaliser à ce point les affaires politiques c’est afficher un esprit servile puisque ses propres capacités d’agir, notamment en interaction avec autrui, sont annihilées et toutes soumises à un pouvoir sommé soudain d’ignorer ses limites. Le côté amusant de l’affaire est que ce sont les mêmes qui fustigent l’interventionnisme débridé de Nicolas Sarkozy d’un côté, et qui de l’autre le somment d’agir en monarque omnipotent. Félicité du verbe tout puissant qui se plie à tous les fantasmes. Mais, en s’échinant à faire d’une personne légitimement investie d’une fonction politique un personnage souverain sommé de faire la pluie et le beau temps on exhibe surtout son inculture politique. A s’écarter du jeu institutionnel on s’imagine volontiers en animal politique libre, en incarnation de la liberté même, narguant du haut de ses petites certitudes ceux qui y sont immergés, implicitement considérés comme asservis. Cette perception ne peut prendre racine que sur une autolâtrie morbide qui rend l’esprit imperméable aux contingences du monde vivant. C’est alors dans le meilleur des cas une liberté fictive puisqu’établie hors du monde.

Ni le parlement, ni le président de la République ne sont ces institutions toutes puissantes qui conduisent le pays d’un claquement de doigt. Sauf dans le fantasme d’enfants de chœur médiatiques. Les institutions politiques d’un pays démocratique ne sont capables de mettre en œuvre que ce qui est accepté par la population, puisque la politique est le lieu où se cristallisent tous les intérêts. Les institutions politiques sont en interaction permanente avec la société civile, directement ou par l’intermédiaire de ses représentants, syndicaux, professionnels, associatifs… La politique n’est pas ce lieu extérieur à la société et au-dessus d’elle qui régit le monde d’en haut et d’une main de fer.

Une sorte de loi de Moore médiatique

Seule l’importance donnée par les médias à ces momeries en font un événement politique. Les médias sont devenus de simples canaux de diffusion des bruits du monde, sans mise en perspective, sans hiérarchisation ; piégés par leur propre logique en quelque sorte. Pour les acteurs de la vie publique l’accès à l’existence publique est illusoire sans existence médiatique. De la même manière pour les médias, il n’est pas d’existence viable sans visibilité publique. Et, la multiplication des supports les a embarqués dans une concurrence effrénée, tous azimuts, morbide. La course médiatique (qui inclut la concurrence des médias entre eux aussi bien que la concurrence des acteurs publics entre eux dans la lutte pour l’existence médiatique) semble emportée par une sorte de loi de Moore qui les dépasse. Toujours plus : plus extrême, plus incongru, plus trash, plus gore… Ballottés sur les flots de la surenchère spectaculaire, ils accélèrent l’obsolescence des infos et des effets. Il en faut toujours plus, jusqu’au non-sens. A courir après les événements médiatiques qui se succèdent et se remplacent à vive allure les médias deviennent juste des tuyaux qu’il faut remplir. Le journaliste n’est plus qu’un porteur de micro ou porteur de caméra. « Journalisme » devient un abus de langage. Dans cet univers l’activisme de Green-Peace, sans portée politique, est du fast-food de choix pour tuyau vide.

Et c’est ce vide politique-là qui devient inquiétant lorsqu’il est applaudi par des élus de la république. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’idées qu’on doit se priver de certitudes. Au contraire. Les unes se développent même plutôt en rapport inverse des autres. Noël Mamère, pétri de ces petites convictions qui vous fondent une foi, ne rate jamais une occasion de nous en faire la démonstration. Gavé de prébendes publiques (député et maire), inscrit de surcroît au barreau de Paris, il est tiraillé entre ses multiples activités. Mais, le mercredi est sacré. C’est le jour des caméras à l’Assemblée nationale. Et quand on n’a pas de politique viable à proposer, encore moins à mettre en œuvre, il reste une voie royale: se montrer et faire parler de soi. Ce qu’il continue de faire avec brio, lui qui fut tout de même le député-maire qui viola la loi en instrumentalisant, pour sa propre gloire, un mariage gay illégal dans sa bonne ville de Bègle.

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* Je devrais même dire « qu’ils fragilisent un peu plus », puisque le comportement de certains députés en séance au cours des débats sous caméras (le mercredi jour des enfants) est déjà, en soi, suffisamment affligeant. Cette façon de se donner en spectacle, le bruit et le chahut visant à rendre inaudible l’orateur est au fond une insulte à la constitution du pays, une entrave à la liberté de conscience. Ces gesticulations mettent les élus de la Nation en porte à faux sur les principes fondamentaux, source pourtant de leur légitimité, puisque la violence symbolique de ces comportements enfantins est en quelque sorte une légitimation implicite et a priori des violences de citoyens, manifestants ou délinquants. Pourtant la seule pédagogie efficace est celle de l’exemple, jamais celle « d’un discours sur », a fortiori si les comportements démentent les paroles.

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