Relaxé, Dominique de Villepin injurie le tribunal

Écrit le 28 janvier 2010 par Jiceo

« Je salue le courage du tribunal qui a su faire triompher la justice et le droit sur la politique » a déclaré Dominique de Villepin, suite au jugement (jeudi 28 janvier) qui l’a relaxé dans l’affaire Clearstream. Cette déclaration qui se veut un compliment à l’adresse des juges, saluant leur indépendance à l’égard du pouvoir politique, est en fait une injure. Elle jette une suspicion rétrospective féroce. Le simple fait de se croire autorisé en tant que justiciable (mais ancien secrétaire général de la présidence de la République, ancien ministre) à « saluer le courage du tribunal » incite fortement les justiciables ordinaires à penser que cela ne va pas de soi. Parce que, s’il est un homme bien placé pour connaitre les relations entre le monde politique et le monde judiciaire c’est bien le dénommé Dominique de Villepin.

Ses fréquentations politiques l’attestent depuis 1993 où il est nommé directeur de cabinet d’Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères (gouvernement d’Édouard Balladur). Un Alain Juppé en délicatesse avec la justice à propos de l’appartement loué à son fils sur le domaine privé de la ville de Paris pour un loyer défiant toute concurrence.

L’homme du « cabinet noir »

Sa carrière s’accélère subitement en mai 1995. Jacques Chirac, élu président de la République, nomme Dominique de Villepin secrétaire général de la présidence de la République. A ce titre il sera l’animateur, à l’Élysée, d’une cellule juridique que les journaux de l’époque surnomment le « cabinet noir », auquel apportaient leur concours des avocats, des hauts fonctionnaires, des politiques. Son rôle, pardon sa mission: suivre et étouffer les multiples affaires politico-financières liées au RPR et à la Mairie de Paris. « Jacques Chirac a été directement et personnellement mis en cause à plusieurs reprises dans des affaires qui touchent à ses anciennes fonctions de chef du RPR et de maire de Paris (1977-1995). Des HLM de Paris aux emplois fictifs du RPR, des « faux électeurs » aux billets d’avion payés en argent liquide, les « affaires » ont mis en lumière l’univers d’un système politique » résume fort à propos le site de Sciences-Po Bordeaux. Mais il n’y a jamais eu à l’époque tentative d’entrave à la justice, n’est-ce pas Monsieur de Villepin ? Rassurez-nous.

Un bouclier judiciaire inviolable

Malgré les efforts des uns et des autres sous la baguette de Monsieur le secrétaire Général la pression judiciaire demeure. Il faut donc recourir aux grands moyens. Le Conseil constitutionnel, alors présidé par un certain Roland Dumas, se dévoue et affirme le 22 janvier 1999 que la responsabilité pénale du président en exercice « ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice ». Puis le bouclier judiciaire du président de la République deviendra inviolable grâce à la sollicitude de la Cour de cassation. Le 10 octobre 2001 elle décide que le président de la République ne pourra pas être mis en examen ni même interrogé en qualité de « témoin assisté », voire de simple témoin, tant qu’il exercera la fonction présidentielle.

Les services rendus méritaient bien récompense. La carrière de Dominique de Villepin se poursuivra désormais en pleine lumière. En 2002, Jacques Chirac, réélu, le nomme ministre des Affaires étrangères. En mars 2004 il déménage place Beauvau, avant d’être nommé Premier ministre le 31 mai 2005. Autrement dit, voilà un homme qui par les fonctions exercées et les missions acceptées a acquis une sacrée expérience des relations entre l’exécutif et les instances judiciaires. Au point de rendre trouble le sens de sa déclaration : « Je salue le courage du tribunal qui a su faire triompher la justice et le droit sur la politique. » Ah, bon ? Cela n’allait donc pas de soi que la justice triomphe de la politique Monsieur de Villepin ? C’est l’expérience qui parle ? La perception de l’indépendance de la justice changerait-elle selon le lieu d’où s’ouvre la perspective? Selon qu’elle s’ouvrirait de la rue du faubourg Saint-Honoré ou bien de  la rue du Palais?

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