Dix ans après, l’altermondialisme est sans avenir (1/2)
Communier dans le ressentiment ne fera jamais une politique

Écrit le 4 février 2010 par Jiceo

La communion dans le ressentiment ne fera jamais une politique. Ce n’est pas un scoop. C’est pourtant ce que semblent découvrir les altermondialistes, si l’on en croit LeMonde.fr (29/01/09). «Dix ans après sa naissance, le mouvement altermondialiste s’interroge sur son avenir politique» titre le journal. L’auteur nous entraine dans la dynamique même de l’échec, cultivée avec soin par les protagonistes, s’efforçant de ne jamais prendre la moindre distance ou hauteur pour jauger leur pratique. Ils s’accrochent à la problématique altermondialiste posée dans les termes altermondialistes. Même s’ils font semblant de vouloir peser sur la marche du monde cela ne leur donne aucune prise sur le monde vivant. Et non seulement ils s’en accommodent, mais cela les comble. Entretenir le fantasme altermondialiste, dernière métamorphose du mythe de la table rase, voilà qui suffit à leur bonheur.

« Les altermondialistes vivent une crise d’identité qui s’est reflétée dans les débats du Forum social mondial (FSM) qui ont pris fin vendredi 29 janvier à Porto Alegre (Brésil). » Voilà l’idée qui parcourt l’article. Le paragraphe suivant essaie d’ouvrir l’explication. Mais, à son insu, il scelle en trois lignes cette crise d’identité, en illustrant magistralement l’impuissance intrinsèque de l’altermondialisme. « Les participants à cette rencontre, qui marquait le dixième anniversaire du mouvement, ont émis peu d’autocritiques ex cathedra. Mais beaucoup ont exprimé leurs frustrations, sur les estrades et en coulisses, face à la difficulté de transformer leur réseau d’influence en un contre-pouvoir planétaire capable de résister au “capitalisme néolibéral prédateur” ». La messe est dite.

« Acteur-passif » : le fabuleux destin d’Alter Mondialiste

Les éléments clés sont énoncés et, en s’enchainant de façon aussi concise prennent un sens tragique pour les acteurs.

  1. Les participants ont « émis peu d’autocritiques ». Mais c’est le contraire qui étonnerait. Si l’altermondialisme se montrait auto-critique, ne serait-ce qu’un poil, il ne serait plus l’altermondialisme. Il signerait sa fin en tant que tel.
  2. Ils ont « exprimé leurs frustrations ». Un sentiment qui, associé à l’élément précédent (peu d’autocritiques), renforce la perception du caractère passif des « acteurs » de l’altermondialisme, spectateurs impuissants de leur propre échec. Non seulement impuissants à mettre en œuvre leur propre songe, ils sont surtout impuissants à porter le moindre regard critique sur leur échec et à le considérer comme tel. C’est pourtant l’étape nécessaire pour ramener discours politiques et actes politiques sur des voies convergentes. Rien de tel ici. Ils sont frustrés et n’en tirent aucune leçon. Mais c’est en cela justement qu’ils sont cohérents. L’une des caractéristiques commune à tous les imprécateurs qui croient faire de la politique est de prescrire des objectifs hors d’atteinte. La deuxième caractéristique consiste à faire endosser par autrui (les politiques et les institutions en place) leurs objectifs hors d’atteinte. C’est ainsi en combinant les deux qu’ils préservent leur fonds de commerce. Les choses ne pouvant évoluer conformément au dogme, le dogme se survit en permanence à lui-même. D’autant que, s’ils prescrivent la potion, ils ne sont jamais comptables du résultat, puisqu’ils ne sont pour rien dans ce qui se produit ou ne se produit pas. C’est la tâche implicite des politiques et institutions (nationales et internationales) de transformer le monde selon leurs songes à eux; hommes politiques et institutions qui ne sont jamais jaugées sur leurs propres engagements mais sur les injonctions des altermondialistes. Royal. Juge et partie à la fois pour l’éternité: le fabuleux destin d’Alter Mondialiste. De ce sanctuaire ils peuvent tirer tous azimuts sur tout ce qui bouge sans crainte d’être touchés en retour. Si ce n’est pas ça le paradis intellectuel, ça y ressemble fichtrement.
  3. Difficulté de transformer leur réseau « en un contre-pouvoir planétaire ». La formulation d’une ambition aussi puérile contient toute la vanité du discours altermondialiste. A quoi ça rime de psalmodier un discours politique global pour un objectif si médiocre, se constituer en contre-pouvoir? Comment accorder du crédit à ces revendications politiques qui refusent la pratique politique? Courage camarades: rien n’oblige à rester enfant toute la vie. L’essence de la politique est la conquête du pouvoir pour agir au nom de ses propres options. Et agir en politique c’est arbitrer sans cesse entre tous les intérêts en jeu. La politique c’est trivial, par nature. La quête politique qui refuse l’exercice du pouvoir politique? Mais ce n’est pas de la politique. C’est de la mystique. Se rêver en « contre-pouvoir » c’est en quelque sorte le couronnement institutionnel des deux points précédents. Prescripteur universel mais irresponsable perpétuel, posture qui devrait inciter à l’humilité. C’est pourtant le contraire qui se produit.

Altermondialistes extralucides

La prétention de faire de la politique en s’exonérant des contraintes politiques est extravagante. De quel savoir supérieur seraient donc nantis les altermondialistes pour s’autoriser à s’en affranchir? De quel génie transcendant tireraient-ils leur légitimité supra-contingente? De quelle extra-lucidité pourraient-ils se prévaloir pour mépriser ainsi tout ce qui n’est pas eux? Pour ignorer tout ce qui n’est pas eux, tout ce qui se fait autour d’eux, sans eux et malgré eux, et qu’ils ne voient pas? Si au moins ils avaient quelque résultat à présenter, politique, économique. On cherche. En vain. Restons au Brésil puisque c’est au soleil de Porto-Alegre que murit la bonne parole. Souvenons-nous de l’année 2002, de la campagne pour l’élection présidentielle brésilienne, de l’élection de Lula en octobre à sa  prise de fonction en janvier 2003.

En France cette année-là, Lionel Jospin avait été congédié dès le premier tour (21 avril) par le peuple de gauche, fidèle à sa marotte: la posture révolutionnaire. Il retrouvait enfin un état d’équilibre conforme à sa nature: l’opposition perpétuelle. Et c’est donc l’esprit libre, libéré du poids de la responsabilité politique du pays, que le peuple de gauche a investi le débat politique brésilien. Nul n’est prophète en son pays? Qu’à cela ne tienne, portons la bonne parole loin du sol natal. Ce que nous sommes incapables d’assumer chez nous, prescrivons-le ailleurs, l’esprit d’autant plus léger qu’aucune responsabilité politique ne nous incombera.

La gauche française avait donc pour l’occasion ressorti les vieux songes du placard, le verbiage gauchiste cacochyme se réincarnant en avatar altermondialiste. Libération retrouvait les frissons de la RSR (révolution sans risque), ce radicalisme verbal qui, dans les années 70 avait donné l’illusion d’exister à quelques prêcheurs avant-gardistes réfugiés dans la nostalgie de délires politiques pourtant déjà archaïques. Le journal vibrait à nouveau de débordements émotionnels indécents. La révolution brésilienne serait la leur. Lula élu président allait incarner le basculement irrémédiable du monde corrompu vers le paradis terrestre.

La Révolution par procuration, un must

L’idylle dura ce que durent les roses. Les plus fervents supporteurs français de Lula l’abandonnèrent en plein combat. Courageux les camarades. Dans Libération du 28 octobre 2003 (10 mois après sa prise de fonction) on pouvait lire: « dans une note interne adressée aux membres du bureau d’Attac au lendemain d’une rencontre avec Lula, Jacques Nikonoff exhortait dès le 3 juin ses troupes à «prendre (leurs) distances». «La victoire de Lula étant perçue, à tort ou à raison, comme la première victoire politique des altermondialistes, son succès ou son échec aura nécessairement des répercussions sur Attac. Or la politique économique et sociale de Lula, sous réserve d’inventaire, reprend les canons de la Banque mondiale et du FMI. Elle donne le sentiment qu’il n’existe aucune alternative à la mondialisation libérale», écrit le président d’Attac.

Eh, oui, Lula avait été élu par les Brésiliens pour améliorer le sort des Brésiliens; élu pour gouverner. Et dans cet esprit il s’attachait à créer les conditions d’un retour de son pays dans le concert des nations, prélude au redémarrage du développement économique. Donc il collaborait avec le FMI. Il tenait à honorer les dettes du pays: un gage pour l’avenir, condition au retour des investisseurs. C’en était trop pour les donneurs de leçon altermondialogauchistes. Quelques mois après l’élection ils passaient de l’adulation à l’excommunication. Que Lula réussisse ou pas à remettre le Brésil sur les rails de la croissance, cela est pour eux très secondaire. La seule chose importante pour un altermondialiste conséquent est la célébration de l’orthodoxie idéologique; par procuration c’est encore mieux.

Séduction infinie des rêveries politiques

Le schéma intellectuel est archiconnu. Les altermondialistes (avatar de la culture gauchiste) jugeaient le gouvernement de Lula non pas sur ses objectifs à lui, les objectifs sur lesquels il avait été élu, mais sur l’investissement idéologique dont ils avaient eux-mêmes chargé l’élection de Lula. Ce qui lui est reproché est de tenir pour quantité négligeable l’orthodoxie idéologique. Impardonnable. Et que pourtant le sort des Brésiliens s’améliore, leur est complètement indifférent. Leur problème à eux n’est pas de nourrir les Brésiliens. Leur seul problème est la quête infinie de témoignages vivants pour valider (ne serait-ce qu’un peu) leurs fantasmes. Ce ne sont pas les altermondialistes qui ont relancé le Brésil. C’est Lula. C’est la gouvernance pragmatique de Lula qui réamorce le développement économique et du coup améliore le sort des Brésiliens. Pas l’observance rigoureuse de préceptes fumeux, ces grandes généralités généreuses désincarnées. Les donneurs de leçon sont ces gens extraordinaires qui investissent le combat d’autrui; qui de loin entendent lui donner une direction; qui jugent son action à l’aune de leurs propres lubies. Et qui sont toujours absents à l’heure du bilan. Une conception révolutionnaire de la politique: 1°- Je prescris. 2°- Tu fais. 3°- Je juge et condamne. Mains propres et conscience pure! Séduction infinie des rêveries politiques. Mais, la communion dans le ressentiment ne fera jamais une politique.

Tout le reste de l’article est une tentative désespérée de dédouaner les altermondialistes de leurs propres faiblesses, une tentative désespérée de conserver une façade présentable à l’altermondialisme. Mais la tâche est devenue insurmontable.  ( à suivre)

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