Les caïds du scoop ne s’en laissent pas conter :
« On peut prendre l’avion avec un pistolet »

Écrit le 7 janvier 2011 par Jiceo

A quoi reconnait-on un bon reportage journalistique? A sa conformité avec une soirée apéro-saucisson. Vous savez, ces réunions où l’on débite des lieux communs avec  l’assurance d’inventer le monde. Figurez-vous braves gens que si l’on en croit  Le Monde (05/01/2011), « Des journalistes prennent l’avion avec un pistolet« . «Le pistolet, démonté en plusieurs parties, avait été placé dans deux bagages à main différents.» Et les accrocs du micro (phone) -le reportage doit être diffusé le soir même dans Envoyé spécial sur France2- ne s’embarrassent pas de subtilités. Ils ont carrément titré leur reportage: « Police privée : la sécurité au rabais« .

Le filon est riche. Inépuisable. Craignons d’apprendre bientôt que les sacs des millions de voyageurs quotidiens du métro parisien ne sont pas contrôlés. Et comme chaque sac constitue une magnifique cachette à bombinette… Pour nous le prouver un journaliste aussi intrépide qu’ingénieux aura l’idée de filmer l’odyssée du sac qu’il aura abandonné sous un siège, soulignant que si le sac avait contenu une bombe elle aurait eu tout loisir d’exploser avant que quiconque ne le remarque. Et plus tard on vous parlera des milliers de trains, des milliers de tramways et bus urbains, des bus low cost parcourant l’Europe dans tous les sens; des bateaux transportant des milliers de voyageurs à travers la Méditerranée, à travers la Manche… Et chaque fois on vous montrera qu’il est facile d’y déposer une bombe. Le filon est inépuisable. En le creusant encore, on risque même d’apprendre un jour que des étrangers entrent en France illégalement: par la route, par la mer, par les airs. Il se pourrait même que des drogues entrent de manière illicite sur le territoire national. Qu’elles y circulent, qu’on en consomme, bref qu’elles se prêtent à des trafics de grande ampleur. Et pour nous persuader, nous pauvres téléspectateurs abrutis, de la réalité des trafics on finira bien par voir un journaliste se faire filmer au cours d’une transaction montée pour l’occasion. Le filon est inépuisable.

Le fantasme de la perfection achevée

En filigrane, toujours le même fantasme de perfection achevée (ou supposée telle). Ce vieux rêve communiste (identique à son pendant fasciste) d’une société parfaitement organisée de A à Z où rien n’est laissé au hasard, où tout est programmé, analysé, calibré, contrôlé, référencé, piloté, réglementé, supervisé. Rien de la naissance à la mort ne doit venir perturber l’écoulement linéaire du temps, dans un couloir aseptisé; jusqu’au dernier souffle. Voilà l’enthousiasmante perspective que s’autorise une société qui a inscrit le principe de précaution dans sa constitution et qui s’acharne à vouloir  lui donner quelque gage de réalité. Dans ce fantasme-là, s’impose avec naturel la figure tutélaire du contrôleur général: l’État tout puissant qui donne un ancrage inébranlable à la pensée binaire, un problème <=> une solution; puisque dès lors qu’un résultat n’apparait pas conforme à celui fantasmé le coupable illico est convoqué au tribunal médiatico-populaire. Un coupable particulièrement accommodant puisqu’il est dans la nature du contrat implicite entre les électeurs et les élus en charge de l’exécutif que ces derniers fassent le dos rond à chaque bourrasque.

Imagination de copiste iconoclaste

Changeons de domaine un temps, juste pour illustrer la mécanique à l’œuvre. Souvenez vous. La nouvelle carte d’identité préparée et vendue aux Français par Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, devait être infalsifiable. Il n’a pas fallu longtemps pour que les faussaires égalent l’imprimerie nationale. Souvenez-vous. Le passage à la monnaie unique, l’Euro, donna l’occasion de communications enflammées sur la quasi impossibilité de contrefaire les nouveaux billets. De mémoire,  de faux billets de 20 euros ont circulé en même temps que les premiers billets officiels. Souvenez-vous. La carte bancaire devait être ce porte-monnaie inviolable à la disposition de tous. Mais sait-on quel est le budget des banques pour éponger les pertes de leurs clients victimes des trafics de cartes bancaires?

L’idée simplement ici est de souligner que dans une société vivante les trafiquants en tout genre ne sont jamais en reste. Un nouveau document, un nouveau billet, une nouvelle technologie n’est à chaque fois qu’un nouveau défi qui décuple leur imagination de copiste iconoclaste. S’efforcer d’imaginer que des systèmes élaborés par des cerveaux humains, seraient inaccessibles en raison même de leur complexité à d’autres cerveaux humains désireux d’en percer les secrets est un pur fantasme technocratique. La course sans fin entre hackers et sociétés éditrices de logiciels de protection en est juste une illustration dont le mécanisme est accessible à tous. Il en va de même dans la sécurité des transports. Chaque nouvel outil de surveillance, d’investigation, n’est qu’un frein provisoire, le temps de trouver la parade.

Prendre l’idée qu’on se fait du monde pour la réalité du monde

Le journaliste est cet être diplômé (c’est vous dire son niveau de compétence) qui croit que le monde des hommes est soumis mécaniquement aux décrets intellectuels, politiques et moraux. Mais ce penchant est typiquement la maladie chronique de l’éducation nationale qui déteint sur tout le pays: prendre l’idée qu’on se fait du monde pour la réalité du monde. Et la-dessus non plus je ne suis pas un précurseur. Des gens bien plus diplômés que moi l’on déjà dit. Edgar Morin, par exemple. De cette prémisse découle tout naturellement une cascade de conséquences logiques.

Dans ce monde plat soumis aux décrets intellectuels, la suppression des paradis fiscaux par exemple ne serait qu’une conséquence logique de leur mise à l’index. C’est pourquoi les journalistes ne comprenent pas leur persistance puisqu’ils les ont condamnés. Dans le monde virtuel le plus élaboré, celui de la presse, il suffit donc de ranger un quelconque événement dans le tiroir du Mal pour ipso facto considérer qu’ainsi il doit disparaitre de la surface de la Terre. Et lorsque les choses refusent de se conformer aux décrets intellectuels, c’est donc que quelque part un coupable se cache. Cherchez l’incompétent et vous aurez le coupable, voilà le leitmotiv journalistique. Je soulève le voile… Gagné! C’est le ministre l’incompétent.  Pari gagné certes, mais victoire sans mérite pour quiconque lit les journaux depuis des lustres.

L’application de la loi n’est pas simple prolongation mécanique de l’intention du législateur

On vous fait l’article sur la facilité de passer un pistolet démonté dans les bagages à mains, en passant sous silence  la technique qui a permis de masquer la présence de métaux aux rayons des systèmes de surveillance.  Pourtant on est juste dans la course classique que se livrent les hommes depuis la nuit des temps; entre gendarmes et voleurs; entre douaniers et contrebandiers;  entre agents du fisc et cabinets spécialisés en droit fiscal; entre autorités médicales de lutte contre le dopage et sportifs de haut niveau; etc… On vous fait l’article sur la possibilité de passer un pistolet démonté dans des bagages à main, en passant sous silence la banalité de la possession d’armes à feu, y compris d’armes de guerre dans certains quartiers de villes françaises; possession et usage.  Je n’ai pas fait le décompte des jeunes gens, y compris des enfants, qui l’ont payé de leur vie ces derniers mois.

Autrement dit on découvre que l’application de la loi n’est pas que la simple prolongation mécanique de l’intention du législateur. Que ce soit dans les banlieues, que ce soit dans les aéroports. Mais on fait comme si c’était le cas et on se donne bonne conscience en laissant croire que la sécurité absolue est accessible. Idée délétère. Idée criminelle si l’association peut prendre quelque sens parce qu’elle tend à faire de nous, citoyens, de gentils petits schtroumpfs passifs et victimes universelles potentielles. Quand nous ne sommes pas victimes des malfaiteurs nous sommes victimes de l’État. Et voilà comment les Français sont devenus les gens les plus sinistres de la Terre, si l’on en croit une étude internationale récemment publiée. Quel avenir pouvons nous bâtir sur un socle aussi inconsistant?

Bonne conscience journalistique

Voilà l’idéologie pernicieuse que charrie cette bonne conscience journalistique. Laisser entendre que les sociétés humaines pourraient être contrôlées de A à Z; qu’elles pourraient se déployer en toute innocence dans un monde lisse débarrassé de toute aspérité; que tous les aspects de la vie et dans le moindre détail pourraient être contrôlés, calculés, anticipés. Que plus jamais la mer ne sera méchante en prenant des vies innocentes; que plus jamais la montagne n’arrachera à l’affection des leurs des sportifs aussi imprudents qu’intrépides; que plus jamais la neige ne viendra troubler si peu que ce soit l’emploi du temps des bons citoyens; que plus jamais quiconque prendra l’avion ne risquera sa vie, quel que soit le motif: météorologique, technologique, humain… etc. Mais les choses ne se passent pas ainsi. Les sociétés humaines, vivantes, résistent. La vie est plus forte que les décrets intellectuels qui voudraient en limiter les manifestations. Si nous ne savons pas admettre cela nous demeurerons des enfants incapables d’adaptation; incapables d’incarner la vie dans la complexité des vicissitudes qui la constituent; incapables donc de porter la vie et par conséquent de la transmettre.

On vous fait l’article sur la possibilité d’introduire un pistolet en pièces détachées dans un avion de ligne, malgré les contrôles à l’embarquement. Mais ce faisant on passe sous silence outrageusement ce fait majeur: si les contrôles devaient être encore renforcés, ce n’est pas deux heures avant l’embarquement que les voyageurs devraient se présenter mais trois, quatre ou cinq heures avant. La sécurité n’a pas de prix n’est-ce pas? Cinq heures d’attente pour une fouille minutieuse? Une peccadille quand la sécurité est en jeu, si l’on suit l’idéologie qui porte cette quête silencieuse parce qu’implicite dans le reportage.  Quête qui le demeurera implicite, puisque nous savons bien que si pareille hypothèse devait voir le jour, les mêmes journalistes seraient les premiers à dénoncer la gabegie des pouvoirs publics. Quoi, autant de personnels affectés à ces tâches fastidieuses pour des résultats aussi dérisoires!  Quoi, des fouilles systématiques de tous les passagers avant l’embarquement? Mais c’est une atteinte intolérable aux libertés individuelles! Et le temps perdu par ces milliers de voyageurs chaque jour soumis à des contrôle routiniers! L’incurie de nos gouvernants est sans bornes. Air connu.

Sur les milliers de vols quotidiens qui touchent la France, intérieurs et internationaux, on peut donc éventuellement passer à travers les mailles du filet sécuritaire. Eh bien oui. Le désir de sécurité absolue est un fantasme d’inspiration religieuse et de mise en œuvre technocratique. Quel que soit le domaine de l’activité humaine dans le quel il se déploie.

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