« La leçon de préparation mentale de Jo-Wilfried Tsonga » : une belle ouverture sur le monde

Écrit le 25 janvier 2011 par Jiceo

• Bien au-delà du sport, La leçon de préparation mentale de Jo-Wilfried Tsonga est une belle ouverture sur le monde vivant. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt cet article sur le blog de Cécile Traverse Fortes têtes; l’article et les commentaires. Certains ont un côté plutôt hallucinant sur le mode: «Ah, ah, ah, on ne me la fait pas à moi. Oh, oh, oh, souvenez-vous il y a un an il se plaignait. Eh, eh, eh, il vient de se faire battre» débouchant sur la conclusion implicite: «la préparation mentale, hi, hi, hi, c’est du pipeau. Préférons les (nos champions) dans la défaite; en exigeant qu’ils l’assument avec humilité». Un marqueur de la société française.

En croyant s’exprimer sur autrui, ici sur Jo-Wilfried Tsonga, les commentateurs parlent surtout d’eux-mêmes, involontairement. Certaines réactions reflètent sur un mode presque caricatural le fond culturel du pays entretenu avec une sorte de délectation morbide. La défaite semble pour les Français une seconde nature, mais à double détente, selon qu’il s’agit d’eux-même ou d’autrui. La recherche permanente de justifications extérieures quand eux-mêmes sont concernés par l’échec; le ricanement (sport national) quand les élites sont concernées, sportives ou autres.

Toutes les activités humaines sont concernées

Car cette belle réflexion de Cécile Traverse va bien au-delà du cas particulier de J.W. Tsonga. Elle intéresse un domaine bien plus vaste que le sport. Toutes les activités humaines sont touchées par le questionnement qu’elle met en lumière. Dans toutes leurs activités les acteurs ont beaucoup à gagner à s’interroger sur la manière d’aborder l’adversité.

Le sport a juste la particularité d’être un exemple parlant, accessible, où les relations entre investissement personnel et résultats sont plus faciles à établir. Dans le sport de haut niveau la préparation mentale est une clé de réussite au moins aussi importante que la préparation physique. Et plus le niveau est élevé, plus la réussite est tributaire de la préparation mentale, dans les sports individuels comme dans les sports d’équipe. L’épopée des équipes françaises dans les coupes du Monde de football, de 1998 à 2010, est éclairante.

Au fil de sa réflexion Cécile Traverse nous livre quelques clés:

  • «savoir s’adapter à tout ce qui se passe»;
  • «ne pas céder au discours intérieur négatif»;
  • «il ne sert à rien, sinon à perdre ses moyens, de se révolter contre les éléments qui font partie intégrante de la réalité quotidienne»;
  • «rester centré sur la tâche et exploiter au maximum les possibilités du moment.»
  • «la clé c’est de savoir s’adapter».

Voilà de quoi nourrir le désir de se dépasser. Mais à ce stade, l’erreur serait de croire que le sport est un monde à part, qu’il est seul concerné par cette invitation. Dans toutes les activités humaines, l’économie, la politique, la recherche, l’éducation… l’aboutissement dépend des dynamiques qui en soutiennent la mise en œuvre. Et plus les sociétés se complexifient, plus les enjeux sont élevés, plus la réussite s’appuie sur la prégnance d’une force mentale en adéquation avec eux.

Imaginons-nous, non pas en victimes mais en acteurs…

Imaginons qu’en France on apprenne à aborder la globalisation de l’économie, non pas en victimes, mais en acteurs conscients de nos faiblesses, certes, mais aussi et surtout de nos forces; et qu’on décide de s’en servir. Imaginons qu’on se prenne à aborder la chose politique avec un moral de gagnant. Imaginons que prenne corps l’idée que l’état de notre pays dépend de nous.

Imaginons qu’émerge un jour l’idée que l’État n’est pas le domaine réservé d’un thaumaturge installé là par nous pour nous dispenser de penser, de décider et d’agir, mais juste l’outil sophistiqué sur lequel nous devons nous appuyer pour agir, c’est-à-dire mettre en œuvre ce que nous avons décidé; en évaluer les résultats, les corriger… Imaginons l’avancée lorsque le pays enfin accèdera à l’idée que l’État ce n’est pas «lui» mais «nous» et que à chaque instant l’état de l’État dépend juste de nos décisions, dans lesquelles il faut inclure la place dominante de nos décisions par défaut, enracinant le statu-quo dans nos tergiversations, dans nos regimbements, dans nos aveuglements, dans nos refus des adaptations.

Imaginons que la recherche en France s’émancipe de cette vieille lune idéologique qui voudrait qu’à une recherche noble (fondamentale) s’oppose une recherche vile (appliquée). Imaginons que l’idée de synergie s’immisce dans les esprits et qu’elle débouche sur la révolution conceptuelle que l’université n’est pas plus noble que l’entreprise n’est méprisable, mais qu’elles sont deux expressions complémentaires du génie humain. Imaginons que la pays accède à l’idée que la recherche appliquée d’aujourd’hui est le tremplin de l’activité économique de demain, donc le financement de la recherche fondamentale de demain. Imaginons que le pays se forge les outils de préparation mentale pour exister et briller -tenir sa place- dans ces domaines-là aussi.

Sélection par l’échec au long cours

Imaginons que l’Éducation nationale en vienne à considérer que son modèle unique de réussite est dépassé, dans une société où l’enseignement est généralisé. Un modèle unique dans lequel il s’agit de faire entrer de force tous les enfants de la patrie parce qu’elle le croit universel, justifiant ainsi son caractère unique. Tautologie conservatrice. Un modèle unique de réussite qui doit pour exister, s’appuyer sur un corollaire secret, littéralement indicible: la sélection par l’échec tout au long du parcours. Du collège à l’université, chaque année, des pans entiers de la jeunesse disparaissent du système scolaire; en silence. Pratique honteuse évidemment pour les acteurs de l’institution puisqu’elle heurte l’idéologie-maison séculaire: jouer à croire que la perfection académique qu’elle incarne est l’état final de la perfection humaine; auquel tous doivent se plier au nom d’une conception mécaniste de l’enseignement. L’universalité réduite au clonage en quelque sorte. Et quand par malheur la réalité refuse de se couler dans le moule unique conçu pour elle, c’est la faute au ministre, à la télé, à l’Europe… L’institution Éducation nationale est au-dessus du monde. Elle passe au crible toutes les facettes de la société, sauf son propre rapport au monde.

Imaginons qu’à l’écolier abstrait -contrepartie du modèle unique qu’il doit légitimer- objet de la quête perpétuelle de l’école de la République, se substitue l’idée d’une école flexible au service d’une pluralité d’écoliers singuliers dont il s’agit de favoriser le développement personnel. Imaginons que l’école se donne pour mission d’insérer ses enfants dans une dynamique de la réussite -i.e. de la confiance en soi, de la joie de vivre- en valorisant leurs points forts, au lieu sans cesse de les renvoyer à leurs échecs académiques. Imaginons qu’on encourage ceux qui essaient, et se trompent à l’occasion, au lieu de leur renvoyer sans arrêt une image négative, bloquant toute velléité de recommencer. Imaginons que le pays privilégie le désir d’exister positivement en favorisant la créativité de ses enfants.

Imaginons le chemin qui reste à parcourir

Imaginons que l’idée de diplôme synonyme de compétence à vie vienne à s’effacer. En France on peine à considérer l’expérience comme un apprentissage permanent qui fait grandir, comme un cycle vertueux qui s’enrichit de ses échecs. On aime croire selon une pensée linéaire sommaire que l’expérience est l’enfant légitime du diplôme initial. D’un côté un retour sur soi cyclique qui favorise les rebondissements. De l’autre un point de départ unique considéré comme un tremplin porteur de droits infinis mais qui ne se présente qu’une fois. Et tant pis pour ceux qui ont raté leur premier appel.

Imaginons qu’on se forge les outils mentaux pour considérer un échec comme un point d’inflexion, non comme un point final. Imaginons le chemin qui nous reste à parcourir pour nous défaire de ce titre qui nous colle aux basques: celui de champion du monde du pessimisme. Le sport n’est pas seul concerné.

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