Surprise : Jacques Chirac déclaré coupable
Il tapait dans la caisse et c’était illégal ; ça alors !

Écrit le 15 décembre 2011 par Jiceo

Ah bon, ce n’était pas normal tout ce qui s’est passé pendant des décennies? Si l’on en croit les attendus du tribunal correctionnel (15/12/2011), Jacques Chirac, était un délinquant:

« Attendu que la responsabilité de Jacques Chirac, maire de Paris, découle du mandat reçu de la collectivité des Parisiens ; qu’elle résulte également de l’autorité hiérarchique exercée par lui sur l’ensemble du personnel de la Ville de Paris et singulièrement sur ses collaborateurs immédiats au premier rang desquels son directeur de cabinet ;

Attendu que le dossier et les débats ont établi que Jacques Chirac a été l’initiateur et l’auteur principal des délits d’abus de confiance, détournement de fonds publics, ingérence et prise illégale d’intérêts ;

que sa culpabilité résulte de pratiques pérennes et réitérées qui lui sont personnellement imputables et dont le développement a été grandement favorisé par une parfaite connaissance des rouages de la municipalité ainsi que la qualité des liens tissés avec les différents acteurs administratifs et politiques au cours de ses années passées à la tête de la Ville de Paris ;

qu’en multipliant les connexions entre son parti et la municipalité parisienne, Jacques Chirac a su créer et entretenir entre la collectivité territoriale et l’organisation politique une confusion telle qu’elle a pu entraîner ses propres amis politiques ;

que le gain en résultant, nonobstant les économies des salaires payés par la mairie de Paris, a pu prendre la forme soit d’un renforcement des effectifs du parti politique dont il était le président soit d’un soutien à la contribution intellectuelle pour l’élaboration du programme politique de ce parti ;

Attendu que par l’ensemble de ces agissements, Jacques Chirac a engagé les fonds de la Ville de Paris pour un montant total d’environ 1 400 000 euros ;

Attendu que l’ancienneté des faits, l’absence d’enrichissement personnel de Jacques Chirac, l’indemnisation de la Ville de Paris par l’UMP et Jacques Chirac, ce dernier à hauteur de 500.000 euros, l’âge et l’état de santé actuel de Jacques Chirac, dont la dégradation est avérée, ainsi que les éminentes responsabilités de chef de l’Etat qu’il a exercées pendant les douze années ayant immédiatement suivi la période de prévention, sont autant d’éléments qui doivent être pris en considération pour déterminer la sanction qu’il convient d’appliquer à son encontre ;

Attendu que ces éléments ne sauraient occulter le fait que, par son action délibérée, en ayant recours au cours de ces cinq années à dix neuf emplois totalement ou partiellement fictifs, Jacques Chirac a manqué à l’obligation de probité qui pèse sur les personnes publiques chargées de la gestion des fonds ou des biens qui leurs sont confiés, cela au mépris de l’intérêt général des Parisiens ;

que dans ces conditions, le recours à une peine d’emprisonnement avec sursis dont le quantum sera fixé à deux années apparaît tout à la fois adapté à la personnalité du prévenu et ainsi qu’à la nature et la gravité des faits qu’il a commis. »

On s’était habitué aux affaires

Jacques Chirac, alors maire de Paris, tapait dans la caisse et ce n’était pas normal! Quelle surprise! Parce qu’on s’était habitué. On avait fini par penser que tout cela allait de soi. Des décennies durant, on a entendu parler de marchés truqués de la ville de Paris (attribués au « mieux donnant »);

– on a entendu parler de l’affaire des HLM (OPAC, office public d’aménagement et de construction, dont les fournisseurs devaient contribuer au financement des activités politiques du donneur d’ordre);

– on a entendu parler des marchés truqués d’Ile-de-France (les marchés de rénovation des lycées qui donnaient lieu à prélèvement de commissions) dont tous les grands partis ont bénéficié (RPR, UDF, PS, PC, par dizaines de millions de francs); c’est peur-être le motif qui a conduit Bertrand Delanoé a accepter aussi facilement le désistement de la ville de Paris dans le procès Chirac;

– on a entendu parler du domaine privé de la ville de Paris, ces logements de standing attribués aux familles, aux proches, aux copains à des loyers deux ou trois fois inférieurs au prix du marché;

– on a entendu parler de billets d’avions payés en liquide;

– on a entendu parler de frais de bouche abracadabrantesques prélevés jour après jour, année après année sur les fonds de la mairie de Paris;

– on a entendu parler de listes électorales parisiennes revues et corrigées selon des méthodes corses;

– on a entendu parler de rapports bidons payés à prix d’or…

– et puis, et puis, vue l’étendue des savoir-faire, tout ce dont on n’a pas entendu parler.

Mais on avait fini par trouver cela banal, comme une facette ordinaire de l’action publique, puisque les faits se succédaient sans coup férir, la justice ayant à lutter à la fois contre les pressions exercées par l’entourage des prévenus, contre les manœuvres dilatoires de leurs avocats, contre le zèle relatif de quelques procureurs, contre le temps qui passe et dissout la culpabilité dans la prescription.

Les emplois fictifs, une péripétie

Oh, certes, l’affaire des emplois fictifs n’est qu’une péripétie dans la litanie des libertés prises avec la loi. Pour autant le jugement du tribunal correctionnel est sans ambiguïté; rappelant par ses attendus ceux du jugement prononcé contre Alain Juppé condamné dans la même affaire (en janvier 2004):

«Attendu que les valeurs de la République et les valeurs du service public constituent le cœur de l’enseignement dispensé dans les grandes écoles de la République, qu’Alain Juppé a précisément été formé dans celles-ci, qu’il a ensuite exercé comme haut fonctionnaire puis joué un rôle éminent dans la vie publique notamment comme membre du Parlement, ceci excluant qu’il ait ignoré l’état du droit au regard des faits dont il est déclaré coupable […]

Attendu qu’aux termes de l’article 4 de la Constitution « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale… » ; qu’ainsi est notamment rappelé leur soumission à la loi, expression de la souveraineté nationale, devant laquelle « tous les citoyens » sont égaux ; qu’Alain Juppé dans la quête de moyens humains lui apparaissant nécessaires pour l’action du RPR a délibérément fait le choix d’une certaine efficacité en recourant à des arrangements illégaux […]

Que la nature des faits commis est insupportable au corps social comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi ; qu’agissant ainsi, Alain Juppé a, alors qu’il était investi d’un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain. […]»

Attendus qu’à son tour la cour d’appel a enrichis le 1er décembre 2004: «Il est regrettable qu’au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l’occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n’ait pas appliqué à son propre parti les règles qu’il avait votées au parlement.» Qu’en termes cruels…

En tout état de cause, ce qui frappe c’est la grande mansuétude des Français à l’égard de leurs élus. Le nombre d’élus condamnés qui, à leur retour sur la scène publique, sont à nouveau réélus fait foi; à moins que l’anosognosie soit une pathologie beaucoup plus répandue qu’on ne l’imagine.

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Un commentaire sur “Surprise : Jacques Chirac déclaré coupable
Il tapait dans la caisse et c’était illégal ; ça alors !”

  1. jiklem dit :

    qui es-tu jiceo?
    citoyen,sujet,ou « la Vérité » ?

    ___________________________________

    Qui es-tu cher lecteur anonyme? Ta question te dispense-t-elle d’argumenter? Dois-je préciser que ce n’est pas moi qui rédige les attendus du tribunal correctionnel, non plus que ceux de la cour d’appel?

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