Gérald Dahan viré de Rire et Chansons
Ne faisons pas d’un imposteur un martyr

Écrit le 24 février 2012 par Jiceo

«Gérald Dahan viré de Rire et Chansons après son canular», titre leParisien.fr du 22 février 2012. Et de préciser: «Spécialiste des canulars politiques, Gérald Dahan s’était cette fois attaqué à Nicolas Dupont-Aignan en se faisant passer pour Eric Cantona. Et le candidat de Debout le République est tombé dans le piège: « Si Sarkozy est réélu, ça finira dans le sang. Après, ça finira dans la rue. Tu vois le pays supporter encore Sarkozy cinq ans? demande-t-il au faux Eric Cantona (…) François Hollande, c’est un mec bien au fond. Le pansement Hollande est bien mieux que le pansement Sarkozy »».

Et l’auteur de l’article poursuit: «L’humoriste, qui assure qu’on lui avait donné carte blanche..». Aïe, aïe, aïe. Voilà du journalisme ordinaire; très ordinaire mais banal par l’étendue de sa pratique. Présenter comme allant de soi l’appartenance du mythomane à la catégorie « humoriste » c’est une facilité d’écriture, certes, mais qui dénote au passage une réelle difficulté à prendre de la distance à l’égard du sujet dont on rend compte. LeMonde.fr n’en est pas davantage préservé qui, reprenant une déclaration de l’intéressé, a titré: «L’humoriste Gérald Dahan estime être « viré pour une raison politique »». On note une même absence de recul, donnant à penser qu’il suffit de se proclamer humoriste pour être reconnu comme tel. Le journalisme ordinaire est moutonnier. Mais ce n’est pas le sujet du jour.

Posture de l’imposteur démasqué : victime

Le titre du Monde a toutefois cet intérêt d’éclairer la personnalité de Gérald Dahan. En s’estimant « être viré pour une raison politique » il se drape (comme avant lui son compère Stéphane Guillon) dans la posture de l’imposteur démasqué: celle de victime. Et quoi de plus noble que la victime d’un pouvoir politique? C’est un adoubement, une intronisation dans le cercle étroit des résistants. N’est-ce pas la plus haute distinction morale dans le combat pour l’émancipation des hommes? Comment ne pas comprendre qu’en virant Gérald Dahan c’est la liberté d’expression qu’on outrage? Sauf que, virer un humoriste pour une raison politique, présuppose l’existence de l’humoriste. Et c’est ici que le bât blesse puisque le préalable n’est pas avéré.

Un humoriste agit à visage découvert et fait rire en tordant la représentation d’une image convenue. Les protagonistes (auteur, cible, auditeurs) sont alors reliés par une règle du jeu commune; partagée par tous. Et, sachant à quoi s’en tenir les uns et les autres peuvent à leur tour accepter ou non ou partiellement le décalage proposé; bref se positionner en homme libre puisque chacun des intéressés dispose des mêmes informations que les autres.

Ce piège est une imposture

A contrario, la pratique de Gérald Dahan qui se voudrait un canular n’en relève surtout pas. Ici, deux des protagonistes connaissent la règle du jeu: l’auteur et les auditeurs; alors que le troisième, la cible, l’ignore. Disparité qui change tout. Non seulement l’auteur masque son identité, mais en outre il se fait passer pour un autre, pire encore pour un personnage public et ce n’est pas tout, puisque l’intérêt du personnage public dont il prend l’identité pourrait rejoindre celui de la cible. Un tel scénario ne peut en aucun cas s’inscrire à la rubrique canular. Ce piège est une imposture.

Chacun, chaque être humain (personnage public ou non) a le droit de construire son image publique. Chacun a la liberté de décider ce qu’il veut dire publiquement et ce qu’il veut ne pas dire. Que des journalistes cherchent à évaluer la pertinence de l’image d’un personnage public est la contrepartie de cette liberté. Mais l’investigation ne peut s’appuyer que sur des méthodes journalistiques. A visage découvert.

Or, la méthode de Gérald Dahan s’apparente davantage à celle d’une police secrète: se faire passer pour ce ou celui qu’on n’est pas et, ayant construit une relation de confiance sur des bases perverses, faire parler son interlocuteur sur le ton de la confidence avant de le livrer en pâture à un public ravi d’être du côté de ceux qui savent.

On s’amuse avec autrui, pas aux dépends d’autrui

Ainsi persuadé de son génie, Gérald Dahan oublie l’essentiel. On s’amuse avec autrui. Lorsque c’est aux dépends d’autrui on change de registre; pas très honorable celui-ci: piéger son interlocuteur sur le mode de la confidence complice pour le déconsidérer ensuite en rendant public un échange qu’à aucun moment il ne pouvait concevoir comme appartenant à un autre domaine que privé. Le génie ne peut se prévaloir de telles méthodes. On s’amuse avec autrui, pas aux dépends d’autrui.

Quant à la liberté d’expression dont se réclament certains lecteurs pour fustiger le renvoi de Gérald Dahan, elle est ici un alibi commode, expression d’une paresse intellectuelle banale. Rire et chanson (groupe NRJ), la station de radio qui l’employait n’est pas propriétaire des fréquences qu’elle utilise. Elle doit pour en conserver l’usage se conformer à un cahier des charges établi par le législateur. L’utilisation de fréquences publiques suppose de prendre en compte l’intérêt de tous les protagonistes: l’exploitant, ses employés, ses auditeurs, et ce en s’appuyant sur des valeurs communes. Et, tout comme NRJ n’est pas propriétaire des fréquences, Gérald Dahan n’est pas propriétaire du créneau qu’il utilisait pour diffuser ses frasques. L’exploitant est responsable de ce qui est diffusé sur ses fréquences.

Gérald Dahan touché par le principe de Peter

La liberté d’expression n’est en rien bafouée par le renvoi d’un imposteur. Rien ni personne ne lui interdit de s’exprimer y compris sur ce registre-là. Il lui faut simplement trouver un canal qui accepte sa pratique du respect de la personne humaine. Et s’il n’en trouve guère il pourra toujours écrire un livre vengeur. La promotion gratuite en sera assurée par le milieu. Les renvois d’ascenseur entre journalistes et animateurs télé semblent être constitutifs du code de déontologie médiatique, base d’une carrière durable. Mais promotion gratuite ne signifie pas best-seller en vue.

Virer un humoriste pour raison politique présuppose l’existence de l’humoriste. Il faut ici remettre les choses à leur place. Virer un type touché par le principe de Peter est une entreprise salutaire. Cela n’a rien à voir avec une atteinte à la liberté d’expression.

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Un commentaire sur “Gérald Dahan viré de Rire et Chansons
Ne faisons pas d’un imposteur un martyr”

  1. Thomas Savary dit :

    Merci, Jacques, pour ce billet qui remet les pendules à l’heure. J’ai longtemps trouvé ces impostures téléphoniques odieuses… avant hélas que de m’y accoutumer au point d’être incapable de continuer à ressentir cette indignation face à ces manipulations lamentables qui se veulent drôles, ce que parfois elles sont, malheureusement. Il me semble que c’est Montherlant qui se demandait jusqu’où de rire en rire l’on descendrait.

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