L’échec du référendum alsacien, indice de la veulerie ordinaire

Écrit le 9 avril 2013 par Jiceo

A ce train-là, la France va encore dégringoler quelques marches avant de découvrir horrifiée que le fond est proche. Voilà donc qu’une proposition pourtant bénigne, celle de condenser la vie politique d’Alsace dans une entité unifiée en fusionnant Conseil régional et Conseils généraux, voilà que cette proposition de simplifier et clarifier la vie politique a laissé indifférents les citoyens alsaciens. Ils ont répondu « non » à 55% dans le Haut-Rhin mais sur une participation de 37%; « oui » à 67% dans le Bas-Rhin mais sur une participation de 35%, soit 22,9% des inscrits! Les conditions requises (50% des suffrages dans chaque département représentant au moins 25% des inscrits) ne sont pas remplies. Les Alsaciens ont dit « non » à l’Alsace. Avaient-ils au moins de bonnes raisons?

Certes l’innovation proposée n’avait qu’une ampleur limitée. Symbolique tout de même, comme le signe que les Français étaient capables de secouer un peu leurs vieilles habitudes, d’en percevoir les limites afin de mieux les dépasser; peut-être un jour. On serait effectivement passé de trois assemblées délibératives (Conseil régional + 2 Conseils généraux, pour seulement 1,8 millions d’habitants), à une seule assemblée: « Le Conseil d’Alsace ».

Les élus ont pris soin de se ménager

Certes le sens du projet s’est un peu perdu en chemin puisque le nombre total d’élus aurait à peine diminué: de 122 pour les trois assemblées actuelles à 102 pour la nouvelle. C’est dire à quel point les élus locaux avaient pris soin de se ménager. La République des rentiers aurait eu encore de beaux jours à vivre. D’autant que dans le même esprit les promoteurs avaient concocté un « Conseil d’Alsace » aux services éparpillés sur le territoire plutôt que cherché l’efficacité: le siège de la nouvelle assemblée à Strasbourg; l’exécutif à Colmar; une partie de l’administration à Mulhouse! Fichtre comme si l’expérience coûteuse (financièrement et en temps) du parlement européen tiraillé entre Bruxelles et Strasbourg ne pouvait suggérer aucune leçon.

Évidemment, en éparpillant les services sur le territoire les élus locaux « se sont servi », craignant de perdre quelques postes de fonctionnaires ici ou là, craignant de perdre un peu de prestige personnel dans l’opération. Et oubliant au passage que leur petit prestige local est entretenu à grands frais par Marianne qui finance en pure perte la cour (cabinets pléthoriques, services de communication, opérations de communication…) des 95 présidents de Conseil général, rien qu’en métropole. Bref, le projet assurément n’était pas à la hauteur des enjeux mais au moins, il allait dans la bonne direction.

Ouvrons ici une parenthèse. Les Français se sont-ils demandé si les compétences des Conseils généraux avaient quelque légitimité politique? Dans le débat sur la recherche d’efficience des institutions on évoque souvent, par facilité de langage, la suppression des départements, oubliant que le département est une entité administrative sous l’autorité du préfet avant d’être l’aire de compétence du Conseil général. En un mot prenons la peine de distinguer l’assemblée délibérative (Conseil général) de l’unité administrative (le département). Si on considère que le département constitue une unité de gestion opératoire dans certains domaines, la préfecture peut alors chapeauter à cette échelle, aussi bien les services de l’État que ceux qui émanent du Conseil régional. Est en question ici la légitimité d’une assemblée délibérative (lestée des frais et des lourdeurs procédurières qu’elle génère): le Conseil général dont les compétences (collèges, politique sociale) seraient absorbées avec profit par les Conseils régionaux. Moins d’instances décisionnelles; moins de strates d’imposition; clarification des compétences; optimisation de la souplesse opérationnelle; simplification des procédures dans l’élaboration des projets; compréhension plus accessible aux citoyens du fonctionnement de leurs institutions: les bénéfices potentiels ne sont pas minces.

Mais revenons à l’Alsace. Le projet n’était pas à la hauteur des enjeux mais au moins il allait dans la bonne direction. Et les Alsaciens auraient pu ouvrir la voie à un vaste mouvement de libération du pays de ses vieux carcans: 36000 communes, 95 Conseils généraux métropolitains, autant de structures politiques désuètes chéries par des hobereaux soucieux surtout de conserver leur petit pré-carré, et qui pour ce faire, tentent de légitimer leur action sous des intentions aussi généreuses qu’inopérantes.

Les « services publics », ce palliatif universel

On voit bien (depuis le temps que ça dure) que l’invocation des « services publics » comme palliatif universel de l’activité économique sur un territoire est une chimère destinée à le rester. D’autant que les intéressés (maires et présidents de Conseil général) ne parviennent pas à se débarrasser du réflexe jacobin: se tourner vers l’État pour remplir les caisses. A l’État de financer leurs dépenses; à eux la gloriole locale! Or, l’État qui commet des budgets en déficit depuis 35 ans est exsangue. Et le côté piquant de l’affaire est que ce sont les mêmes, les maires et les présidents de Conseil général, qui ont entretenu leur carrière locale en faisant payer l’addition par l’État et qui ont voté les budgets en déficit; jusqu’à la dernière goutte, dans une irresponsabilité totale; les mêmes puisqu’ils sont aussi député ou sénateur. Gagner sur tous les tableaux ça dure un moment. Pas éternellement. Et on voit bien ici en outre le côté pervers du cumul des mandats.

A entretenir dans le pays des attentes hors de portée on s’épargne provisoirement des décisions difficiles. Mais on prolonge l’illusion, rien de plus. L’aménagement du territoire conçu et administré d’en haut est inefficace. On ne contraint pas l’activité économique par des décisions bureaucratiques. L’activité économique répond à des dynamiques propres qu’aucun pouvoir administratif ne pourra canaliser. On peut l’accompagner; on doit accompagner l’activité économique. On ne peut guère l’administrer; a fortiori la contraindre. Le fantasme français d’un territoire national homogène, où activités et services seraient également répartis sur son étendue est pervers. A saupoudrer moyens et projets sur l’ensemble du pays on ne construit rien de substantiel, rien qui soit à la hauteur des enjeux à l’heure de la globalisation. Un traitement palliatif ne peut avoir d’autre effet que celui d’un traitement palliatif. Pire, en laissant croire à des objectifs qui ne se réalisent jamais puisque hors d’atteinte, se cristallise dans la durée le discrédit des professionnels de la politique qui ont fait du déficit budgétaire (depuis bientôt quarante ans) leur principal outil de gestion de carrière.

Les micros-trottoirs, ce degré zéro du journalisme

Ah, qu’ils sont horripilés les Français de l’impuissance des notables qui pourtant trustent les places depuis des lustres! Les sondeurs ne ratent jamais une occasion de le leur faire dire. Ah qu’ils sont écœurés les Français du comportement des mêmes, placés sous le feu médiatique pour de mauvaises raisons! Les micros-trottoirs (ce degré zéro du journalisme) ne ratent jamais une occasion de l’illustrer. Et que croyez-vous qu’ils fassent les Français outrés, lassés, révoltés lorsqu’enfin l’occasion leur est donnée de mettre un peu d’ordre dans la maison, lorsqu’on leur demande de s’occuper de leurs affaires? Eh, c’est dimanche. Ils vont se promener pardi: plus de 60% d’abstention tout de même.

Et du coup on nous ressert sur les écrans ces micros-trottoirs de circonstance où l’on fait dire aux abstentionnistes (en induisant la réponse par une question ad-hoc) que c’est l’affaire Cahuzac qui les a dissuadés, bien sûr, d’aller voter. Le monde est si simple planqué derrière un micro. Le journalisme semble parfois réduit à une expression élaborée de la paresse intellectuelle. Ou alors c’est parce que « on » (qui « on »?) ne leur a pas bien expliqué le comment du pourquoi que les électeurs ne se sont pas déplacé comme certains se le laissent à nouveau suggérer par des journalistes en mal d’explications mécaniques. Bref les électeurs sont de pauvres victimes, comme on va le voir.

Touchants citoyens victimes

Car ils sont touchants ces citoyens écœurés par le comportement des politiques professionnels, qu’ils s’empressent cependant de réélire dans le secret de l’isoloir après les avoir maudits sur le trottoir. L’échec du référendum alsacien pourrait bien être un nouveau témoignage de la veulerie ordinaire. Voici des extraits d’un article publié le 22/06/2009 par l’Express: « Avec 40% des suffrages, Jean-Paul Alduy est arrivé en tête du premier tour des élections municipales organisées à Perpignan le 21 juin 2009 après l’invalidation de son élection en mars 2008 pour fraude électorale dite « fraude à la chaussette« . Il n’est pas le premier homme politique à qui les électeurs ont pardonné ses égarements. Dans les années 1990, on a même parlé de « prime à la casserole » à propos des élus condamnés par la justice puis réélus, parfois largement, par leurs concitoyens.« 

Parmi les bénéficiaires:

Patrick Balkany (UMP): condamné en mai 1996 (15 mois de prison avec sursis, 200 000 francs d’amende et deux ans d’inéligibilité) pour avoir fait fait travailler à l’entretien de son domicile et de sa résidence secondaire trois employés municipaux; condamné mais réélu (en 2001).

Pierre Bédier (UMP): condamné en 2006 (18 mois de prison avec sursis, 50 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité) pour corruption passive et recel d’abus de biens sociaux. Il fait appel ce qui a un effet suspensif. Condamné (suspendu) mais réélu (président du Conseil général des Yvelines en 2008). Le 20 mai 2009, la Cour de cassation de Paris confirme la condamnation; il est démis de ses fonctions deux jours plus tard.

François Bernardini (dissident-PS): maire d’Istres (13) de mars 2001 à novembre 2002, il est condamné pour une série d’affaires politico-financières à 18 mois de prison avec sursis, 400 000 francs d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Condamné mais réélu (en mars 2008) à la mairie d’Istres.

Christian Cuvilliez (PCF): maire de Dieppe de 1989 à 2001, il est condamné en 2003 par la Cour d’appel de Rouen à un an de prison avec sursis et à deux ans de suppression des droits civiques, civils et de famille pour « détournement de fonds publics et recel ». Il récupère ses droits civiques en 2007, est de nouveau candidat aux élections municipales à Dieppe en 2008 sur la liste d’union de la gauche conduite par Sébastien Jumel (qui remporte les élections). Condamné mais réélu au conseil municipal.

Harlem Désir (PS): condamné en 1998 à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 francs d’amende pour recel d’abus de biens sociaux. De novembre 1986 à octobre 1987, il a reçu un salaire fictif mensuel de 10 500 francs de l’Association régionale pour la formation et l’éducation des migrants, basée à Lille. Condamné mais rééludéputé européen en 1999. Elu conseiller municipal à Aulnay-sous-Bois en 2001. Réélu député européen en 2004 (tête de liste du PS pour la région Île-de-France). Réélu en 2009.

Xavier Dugoin (UMP): maire de Mennecy en 1989, réélu en 1995, ne put se représenter en 2001. Dans le cadre de la disparition de 1200 bouteilles appartenant à la cave du Conseil général de l’Essonne, il est condamné en 2000 pour abus de confiance, détournement de fonds publics, falsification de documents administratifs et prise illégale d’intérêts, à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 100 000 francs d’amendes et deux ans d’inéligibilité. Condamné mais réélu maire de Mennecy en 2008.

Alain Juppé (UMP): maire de Bordeaux de 1995 à 2004, il est démissionnaire en 2004 lorsqu’il est condamné à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’éligibilité. En sa double qualité de secrétaire général du RPR et d’adjoint aux Finances à la mairie de Paris, Juppé est reconnu coupable d’avoir employé, pour son parti, sept permanents censés travailler à la ville de Paris. Condamné mais réélu maire de Bordeaux en octobre 2006 dès le premier tour, et réélu, en 2008 toujours au premier tour.

Jean-François Mancel (UMP): président du Conseil général de l’Oise de 1985 à 2004 et député depuis 2002. En 2000, il est condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Beauvais pour prise illégale d’intérêts dans une affaire mettant en cause ses relations financières avec une société de communication, Euro2C. Relaxé en 2001 par la cour d’appel d’Amiens, mais l’arrêt est censuré par la Cour de cassation. En 2005, il est condamné par la cour d’appel de Paris à 18 mois de prison avec sursis, 30 000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité. En 2006, la Cour d’appel de Paris annule son inéligibilité, tout en confirmant sa condamnation avec sursis et son amende. Condamné mais réélu président de la Communauté de communes du Pays de Thelle en 2001; élu député de l’Oise en 2002 et réélu en 2007.

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2 commentaires sur “L’échec du référendum alsacien, indice de la veulerie ordinaire”

  1. Agnes Avila dit :

    L’ancien sénateur et ancien président du Conseil Général du Gers, Yves Rispat est jugé en appel à Agen pour abus de confiance.Il lui est reproché d’avoir détourné des fonds alors qu’il présidait une association. En 1ère instance, il avait été condamné à 18 mois de prison avec sursis.

  2. Rocco Weber dit :

    Maire de Dieppe de 1989 à 2001, Christian Cuvilliez est condamné en 2003 par la Cour d’appel de Rouen à un an de prison avec sursis et à deux ans de suppression des droits civiques, civils et de famille pour « détournement de fonds publics et recel ». Après avoir récupéré ses droits civiques en 2007, Christian Cuvilliez est de nouveau candidat aux élections municipales à Dieppe en 2008 sur la liste municipale d’union de la gauche conduite par Sébastien Jumel (qui remporte les élections). Il est réélu au conseil municipal.

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