Notre-Dame-des-Landes : la mort du projet ressuscite les réflexes politiciens archaïques

Écrit le 22 janvier 2018 par Jiceo

Sursaut de dépit après l’annonce (17/01/2018) du gouvernement, l’abandon du projet de nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes. En un éclair, les nostalgiques du vieux monde politicien ont réactivé leurs automatismes rhétoriques, récupéré leurs vieux réflexes partisans: mélange de dénigrement, d’anathème, d’arrogance destiné à disqualifier l’autorité politique qui n’a pas eu l’intelligence de penser comme eux, d’aboutir à la même conclusion qu’eux.

On en est donc encore là ? Ces jeux de posture n’ont donc pas disparu ? L’outrance des propos, la dramatisation des enjeux, la réduction d’une situation complexe à une option exclusive (chacun la sienne), le dénigrement de l’autorité décisionnaire, une quasi-annonce de fin du monde dès lors que l’option par soi préconisée n’est pas celle retenue: autant de réactions démesurées qui nous replongent dans l’univers immature des professionnels de la politique. Ceux-là même qu’on espérait pourtant capables enfin de prendre la mesure de ce que les électeurs leur ont signifié en mai et juin 2017.

 » Lorsque Bruno Retailleau était mon bras droit… « 

Quelques exemples de ces postures caricaturales, en commençant par celles des acteurs qui ont cru pouvoir, 25 ans durant, enfermer le département de la Vendée dans leur univers idéologique étriqué, les ci-devant conseillers départementaux Philippe De Villiers et Bruno Retailleau.
L’ancien président du Conseil général de Vendée, Philippe de Villiers a tweeté:

« On a gagné ! Le bon sens l’a emporté. Et l’intérêt général a fini par prévaloir. La Vendée est dans le camp des vainqueurs. MERCI et BRAVO aux entrepreneurs vendéens qui se sont mobilisés! » Sans se priver du malin plaisir de souligner: « Lorsque @BrunoRetailleau était mon bras droit en Vendée pendant 25 ans, il était hostile à #NDDL : aujourd’hui, il est pour. Où est la sincérité? » @PhdeVilliers #BourdinDirect #NDDL.

La vengeance est un plat qui se mange froid.

Quant à Bruno Retailleau, les chemins de la pensée complexe semblent lui être définitivement inaccessibles. Pour lui tout ce qui n’est pas blanc est noir. Les nuances de gris, même en politique, il ne connait pas:

« C’est une capitulation malheureusement. Les zadistes dansent sur le cadavre de l’autorité de l’État. »

Rien que ça! Spectacle attristant du prince déchu qui avec sa subtilité coutumière se répand sur les ondes, scandant les syllabes de son plaidoyer vengeur les lèvres déformées par ce rictus méprisant qu’il a emprunté à son ancien maitre, lequel aujourd’hui en représailles savoure son triomphe par décision gouvernementale interposée.

L’ancien suzerain en outre, n’est pas le seul à avoir de la mémoire. Lorsque Bruno Retailleau avance sur les réseaux sociaux:

« #NDDL Bruno Retailleau : « Il n’y a aucun mérite à prendre une décision qui donne l’avantage à ceux qui s’opposent au droit, au verdict des urnes. On a donné le dernier mot à ceux qui font du chantage par la violence. » #BourdinDirect »,

des contradicteurs facétieux, lucides et informés, s’ingénient à rappeler :

« Aux membres de @lesRepublicains trop prompts à donner des leçons sur #NDDL rappelez-vous que @BrunoRetailleau le 2 octobre 2013 en sa qualité de président du conseil général de Vendée clamait son opposition à l’aéroport. #Duplicite »,

ou encore

« En 2014 Bruno Retailleau était hostile à l’aéroport et déclarait: « La Vendée s’opposera au nouvel aéroport et je peux vous dire qu’avec les chefs d’entreprise nous ferons du bruit qui s’entendra jusqu’à Matignon. »
Vous avez été entendu M. Retailleau 😂😂😂 #NDDL ».

Et puis comment s’interdire de revisiter l’Histoire, celle de Matignon entre 2007 et 2012 lorsqu’un ami très proche de Bruno Retailleau, l’époux de Pénélope, occupait les lieux et s’efforça de laisser le dossier NDDL dans l’état où il l’avait trouvé.

Vaudeville pathétique

Vaudeville pathétique, car il suffit d’imaginer un choix opposé, l’annonce de la construction d’un nouvel aéroport à NDDL, pour concevoir qu’aussitôt clown blanc et auguste se seraient empressé d’intervertir leurs rôles, d’échanger leurs répliques. Ces deux-là, habités par une haine réciproque irréductible, ont rabaissé leur dessein politique à peu de chose: extérioriser leurs dissensions, s’évertuer à discréditer l’autre. Or, ce sont justement ces jeux-là de postures politiciennes, prisés des hobereaux politiques, que les électeurs ont proscrit en juin 2017.

Car enfin, entendre Philippe De Villiers se réclamer « du bon sens » et invoquer « l’intérêt général » au constat que son intérêt particulier est conforté relève de la farce. Car enfin, l’entendre clamer « On a gagné » évoque une joute de cour d’école, indigne des enjeux de l’aménagement du territoire. Car enfin, l’entendre s’exclamer « La Vendée est dans le camp des vainqueurs » est une insulte au débat démocratique, un mépris du processus de décision dans un dossier complexe. Car enfin, à l’inverse, entendre Bruno Retailleau réduire la décision de l’État à une « victoire des zadistes » illustre une pensée simpliste, élevant son auteur au rang de caricature indigne d’un parlementaire. Parce que tout simplement, dans nos sociétés complexes rien n’est jamais tout blanc, rien n’est jamais tout noir.

Postures outrancières qu’on retrouve à l’identique chez certains chefs d’entreprises vendéens. Drôle de mimétisme. Les uns dans l’attente de cette décision crient « au génie! » Les autres, dans l’attente de l’autre option crient « trahison! » Les uns veulent croire que « La Vendée a gagné », les autres croire que « La Vendée a perdu ». Comme si l’aéroport du grand-ouest était l’affaire particulière des seuls Vendéens; bel oxymore en réalité. « Croire » est le mot clé. Mais là n’est pas le pire. Le pire est le caractère factice parce qu’interchangeable de ces croyances. Inversez la décision du gouvernement et aussitôt les jeux de rôle s’inversent, les arguments s’inversent, les croyances demeurent identiques mais changent de camp! Ceux qui veulent croire à la victoire de la Vendée avec le maintien de Nantes-Atlantique y verraient alors le signe de son déclin. Ceux qui veulent croire à la défaite de la Vendée avec le maintien de Nantes-Atlantique y verraient alors le signe de son salut.

Postures déshonorantes car cette décision gouvernementale, au même titre que l’autre option qui aurait pu advenir, ne mérite en réalité « ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. » Elle est simplement le résultat imparfait, nécessairement imparfait, d’un processus complexe assujetti à un nombre considérable de paramètres. Si tel n’était pas le cas, l’unanimité aurait surgi, le débat n’aurait pas eu lieu. L’option « naturelle » se serait imposée d’elle-même.

Des préjugés bientôt érigés en totems à défendre

D’autres, et parmi eux nombre de députés En Marche (LaREM), manifestent un esprit autrement mature. Ils savent prendre du recul et de la hauteur. De ce point de vue décentré ils construisent une conception holiste de leur environnement socio-politique. L’enjeu principal (du moment) s’insère alors dans un tout plus vaste intégrant les contingences conjoncturelles et structurelles, à court et moyen terme (politiques, économiques, sociales, environnementales…). Cette vision globale des enjeux caractéristiques d’une société développée, donc complexe, irréductibles à un choix binaire, leur donne la capacité d’aborder les problèmes complexes sans préjugé, avec pragmatisme, avec lucidité, avec mesure.

Ils savent qu’au bout du processus la décision (le choix) ne concentrera pas toutes les qualités. Simple logique procédurale: si plusieurs options se dessinent c’est que chacune a de l’intérêt. Si tel n’était pas le cas elles n’auraient jamais vu le jour comme option pertinente (comme hypothèse de travail éventuellement). La tâche alors consiste à évaluer parmi les options présentes celle qui présente le meilleur rapport coût/contraintes/service. Démarche de liberté qui s’épargne l’auto-enfermement dans des préjugés bientôt érigés en totems à défendre.

Sachant que plusieurs options s’offrent à eux ils considèrent ipso facto que nulle d’entre elles n’est parfaite. Double corollaire: le premier, aucune option aéroportuaire ne garantit en soi le développement de la Vendée (pour reprendre l’abord fétichisé du projet adopté par certains Vendéens); le second, aucune option aéroportuaire ne prélude en soi au déclin de la Vendée. On peut juste espérer que le territoire départemental a des ressources propres et qu’il ne dépend pas pour son développement de ressources extérieures dont il n’a pas la maitrise. Ce qu’il a, sauf erreur, montré depuis quelques décennies.

Et pendant ce temps-là 74% des Français approuvent la décision du gouvernement.

Travail d’adaptation permanent, jamais achevé

Au final, on voit se dessiner de façon un peu plus appuyée les deux voies qui ont divergé en mai et juin 2017. L’une faite de postures antagonistes, ancrées sur des préjugés idéologiques surannés mais qui ont permis à des carriéristes politiques de prospérer pendant des décennies au prix d’une indécision morbide; un univers manichéen dans lequel il était de bon ton de prétendre détenir « La solution » aux problèmes politiques et sociaux qui travaillent la société, de lancer des promesses intenables lors des campagnes électorales qui finissaient inéluctablement en eau de boudin une fois au pouvoir. L’autre, pragmatique, fondée sur la dynamique de l’intelligence collective, assurée qu’il n’existe pas de « solution » aux problèmes économiques et sociaux qui travaillent la société, mais tout simplement un travail d’adaptation permanent, jamais achevé; certaine que toute avancée est partielle, provisoire, sujette à reconsidération perpétuelle.

Et au lendemain de la décision gouvernementale 74% des Français l’approuvent.

Les postures agressives, vindicatives, sont souvent la marque d’un ego hypertrophié, investi dans des processus qu’il ne maitrise pas, qui le dépassent, un ego surdimensionné qui se contente de commenter une responsabilité à l’œuvre, une responsabilité qui ne l’engage pas puisqu’elle n’est pas sienne, puisqu’il n’a pas à l’assumer. S’imaginer qu’on détient seul la vérité contre ceux qui ont quelque légitimité à décider, qui ont des comptes à rendre, est une illusion morbide, aux effets délétères.

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