2 – La gauche française ? (suite)
Mais c’est la conscience morale du monde !

Écrit le 20 novembre 2007 par Jiceo

Au fond, «l’homme de gôche» se voudrait la conscience morale du monde. Et rien d’autre; surtout rien d’autre. Un rôle sur mesure pour discoureur invétéré, dans une pièce dont il est également auteur, metteur en scène et seul critique accrédité. Avec des personnages et des ré­pliques modelés à sa guise, toutes les conditions d’un suc­cès éternel sont enfin réunies. Succès éternel peut-être, mais de patronage. Car, dans ce beau rôle qu’il semble s’être attri­bué sans vergogne pour l’éternité, il est acteur d’une pièce figée écrite une fois pour toutes, jouée à l’identique jusqu’à l’avènement de la parfaite société. Son intention n’est pas comme dans le théâtre classique d’entrer en relation avec le public, entre complicité et distance comme un miroir vivant proposé au spectateur; en posant le préalable que le spectateur est lui aussi un homme libre qui s’approprie la pièce par une reconstruction personnelle. Dans le petit théâtre de gauche, le héros n’interpelle pas le spectateur. Il fait la leçon. Il est là pour indiquer le chemin. Il y a sur scène et dans la coulisse ceux qui savent. Et puis dans la salle tous les autres, proches ou éloignés, ceux qui ont à apprendre.

La morale est noble

L’acteur de gôche ne peut s’imaginer que dans le beau rôle. Celui de prescripteur, mais prescripteur ir­responsable, comme toujours, s’efforçant d’ignorer que cette qualité-là ne peut pourtant pas reposer sur l’auto-désignation. Le prescripteur n’est crédible que s’il est reconnu comme tel par ceux qu’il sollicite, en raison notamment de ses compétences, lesquelles se mesurent assez bien par l’évaluation des résultats obtenus, en regard des attentes affichées.

L’interrogation pourtant est inexistante chez lui sur les qualités requises, les siennes, qui lui permettraient de s’ériger en expert. La principale étant la capacité de mettre en œuvre soi-même ses propres préconisations ou injonctions. Car il y a au bout du compte cet oubli massif que, si le prescripteur est aussi celui qui recueille les lauriers lorsque sa potion a été suivie des résultats escomptés, il ne peut esquiver les mises en perspective et les mises en cause dans le cas contraire. Or, le militant prescripteur n’est jamais là quand il s’agit de prendre sa part de responsabilité. Lorsque l’échec survient, toujours la cause est extérieure. C’est la faute du capitalisme, de la société, de l’Etat, de l’Europe, de Bruxelles, de la mondialisation… La panoplie des bonnes raisons mauvais prétextes est infinie. L’origine du mal n’est jamais perçue comme sa propre incapacité à mettre en perspective ses propres actes dans la contingence d’un monde complexe, mouvant, incertain. La morale est noble certes; toujours assurée d’une forte cohérence interne car jamais prise en défaut, n’est-ce pas; quand l’action quotidienne est vile car jamais assurée des résultats promis et escomptés.

Délices des stratégies perdantes

Ainsi, dans toute la mouvance de gauche, y compris au PS à des degrés divers, on redoute la victoire comme la guigne, et on préfère se laisser glisser avec volupté sur la pente accommodante des stratégies perdantes. Gagner les élections expose à devoir rendre des comptes, et pas nécessairement conformes à ceux présumés. Aussi, dès lors qu’une possibilité de victoire se laisse pressentir, de consternants mécanismes de défense éclosent en contre-feu; mis en œuvre avec le succès que l’on sait ce glorieux dimanche 21 avril 2002 de sinistre mémoire. Un des arguments favoris qui resurgit régulièrement dans les milieux de gôche émarge encore au registre de la sempiternelle morale: «Plutôt perdre les élections que perdre son âme.» Avec ça accroche-toi bonhomme! Voilà une assurance tous risques contre tous les échecs électoraux, toujours justifiés par avance. Aucun risque d’être pris en défaut sur ses promesses. Aucun risque de se découvrir un peu de boue sous les ongles. Et la morale sera sauve, immanquablement. Celui qui ne fait rien ne fera jamais rien de mal; et restera toujours propre sur lui.

Pureté originelle

De lancinantes stratégies d’échec sont cultivées, comme une thérapie continuelle sans laquelle le château de cartes de la société idéale, dont cependant on suppute confusément la fragilité, s’écroulerait irrémédiablement. Elles sont réactivées en permanence comme s’il importait pour leurs adeptes, avant tout de préserver leur être dans sa pureté originelle, elle-même promise à l’éternité de la future société parfaite, lorsque la parenthèse du monde corrompu aura été refermée; et dans cette attente prophétique, d’éviter toute souillure morale. Là est le cœur de la tragédie qui paralyse la gauche française: sa culture du rejet des responsabilités, écho logique du refus infantile d’accepter comme fondement de la pensée et de l’action politiques, les vicissitudes du monde tel qu’il va. Posture commode pour ses partisans. Leur conviction d’incarner la perfection morale leur interdit la possibilité de l’échec. Or s’engager dans l’action c’est reconnaître cette possibilité. Insupportable.

Le pouvoir sans la responsabilité

L’action publique ne serait acceptable pour eux qu’assortie d’une immunité plénière. On voudrait le pouvoir sans la responsabilité des actes et de ses conséquences; on voudrait la capacité de décision sans l’incertitude du résultat. L’antinomie des désirs conduit à l’impuissance, même pas assumée. Alors au nom de l’idéal et pour survivre dans un monde hostile, forcément hostile, on s’offre des vacances intellectuelles dans les nuages. A rêvasser sans fin une société parfaite et achevée, qui jour après jour pourtant résiste farouchement à sa mise en œuvre terrestre, on ne fait pas grand chose d’autre qu’organiser sa fuite en avant dans l’utopie. Position inexpugnable assurément. Mais, se rêver acteur et se réveiller prêcheur, quel cauchemar! Plutôt ne pas se réveiller. Continuer de dormir. La gôche c’est la belle au bois dormant. Destin tragique pour un parangon de vertu politique. Miroir, oh, mon beau miroir, ne suis-je pas la plus belle? Quel est ce ce reflet qui m’éblouit? N’est-ce pas l’éclat de mon âme si pure?

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