Lieux communs : « citoyen »
Les mots, les tournures du langage sont ambivalents, bien plus qu’on ne le perçoit parce qu’ils sont chargés de sens. Ou, plus exactement, ils sont saturés de sens. En deçà du sens commun par lequel ils servent d’échange, ils recèlent une bonne dose de présupposés. Cela ne peut être autrement, il faut juste le savoir. Faute de quoi ils ne sont plus que des tics de langage.
Avez vous remarqué combien le mot « citoyen » et ses dérivés est devenu un mot magique massivement présent dans la sphère publique. Combien d’associations, et derrière elles de citoyens autoproclamés, se disputent les feux de la rampe en faisant assaut de compassion envers telle une telle catégorie de personnes (chaque association la sienne). Se déclarer citoyen voilà le must aujourd’hui.
Mais en grattant le vernis, la citoyenneté auto proclamée apparaît réduite à une morale désincarnée. On fait semblant de croire qu’être citoyen cela consiste à réclamer continûment l’ouverture de nouveaux guichets, à réclamer de nouveaux services pour telle ou telle catégorie de la population.
Mais, est-il foncièrement citoyen celui qui réclame sans cesse l’ouverture de nouveaux guichets en refusant obstinément de se demander quelles sources vont alimenter ces nouveaux guichets? Le citoyen ne serait-il pas plutôt celui qui marche sur ses deux jambes? Celui qui voulant ouvrir de nouveaux guichets s’enquiert, en même temps, de savoir comment vont être alimentés ces nouveaux guichets. Sinon c’est trop facile. J’accuse, je requiers comme un procureur, je mets en demeure de faire et je vais me coucher pour m’étonner à nouveau le lendemain matin que rien n’est résolu. Mais surtout, surtout, je ne veux pas savoir pourquoi ce que je réclame à cor et à cri n’advient pas. Trop facile de se donner le beau rôle.
Le qualificatif de citoyen ne peut pas s’accoler à une morale désincarnée. Le qualificatif de citoyen ne peut s’appliquer qu’à une pratique citoyenne. Si seule la moitié du chemin est faite, la plus facile, celle qui ne coûte rien hormis un peu de salive, cette moitié de chemin n’est pas le fait d’un citoyen, qui agit, mais d’un citoyen encore potentiel, qui pour l’heure parle en vain. Cela soulage sa conscience, gonfle son égo souvent au-delà du raisonnable, mais il s’apparente alors davantage à un consommateur de services divers et variés, y compris de services publics, plutôt qu’à un citoyen. Tiens, justement, service public, voilà encore un beau lieu commun.
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