Délices inépuisables de la posture de victime

Écrit le 19 janvier 2008 par Jiceo

Les mentalités françaises sont affectées par un penchant dominant, étouffant, prohibant toute créativité: celui de victime perpétuelle. Et comme il ne peut y avoir de victime sans bourreau, la conclusion tombe sous le sens: chacun s’échine à chercher ses bourreaux, et les trouve. Corollaire non-dit: chaque victime est donc le bourreau en puissance d’un autre. Mais chuuut, se dresse ici le mur de l’indicible, propre à conserver la nature exorciste du subterfuge. Par lui, la victime supplante l’acteur de sa propre vie. Quoi qu’il arrive « c’est pas sa faute ». Nous nous glorifions d’avoir décapité un roi. Mais, cette mise à mort nous a rendus orphelins. Et depuis nous recherchons en vain un succédané.

Le citoyen (?) français n’est jamais responsable de ses choix, de ses actes. Le salarié est victime du patronat, et victime de la mondialisation: complot capitaliste. Le chef d’entreprise est victime des charges imposées par l’État et de l’entrave des syndicats: complot bureaucratique. Le paysan est victime de l’Europe, comme le chasseur, le pêcheur, le traditionaliste, le villiériste: complot technocratique. Le fonctionnaire est victime du gouvernement, victime des hommes politiques: complot hiérarchique ou syndrome du lampiste; a fortiori l’enseignant. Lui tient le pompon: victime en chaîne du ministre (qui forcément n’a rien compris), du recteur, du président de Région, de l’Inspecteur d’académie, du président de Conseil général, et du maire bien sûr, qui ne sait pas ce qu’est une priorité: complot de l’incompétence contre le savoir bafoué.

Le citoyen piéton s’insurgeant contre la vitesse des automobilistes est victime du laxisme des pouvoirs publics. Le même, dans le rôle soudain d’automobiliste contrevenant est victime de la police. Le plaignant insatisfait est victime de la justice. L’éditorialiste non cité dans la revue de presse de France-Inter est victime de la liberté d’informer. Le petit commerce est victime du grand. L’automobiliste accidenté est victime du platane qui le guettait au bord du virage, voire du maire, cet incapable qui ne les avait pas fait abattre. Un refus de permis de construire fait une victime immédiate; un accord en fait une victime en puissance dès que la moindre nuisance pointera. Le fumeur est victime des fabricants de tabac. Le contribuable est victime du fisc. Le médecin hospitalier est victime de la direction. Le médecin libéral est victime conjointement de la Sécu et du gouvernement. Le patient non guéri en 24h est victime du médecin incompétent… etc… etc.

Le citoyen-consommateur est victime du marketing, victime des industriels de l’emballage, victime des grandes surfaces… mais victime consentante sinon jouissante, si l’on s’en tient à l’augmentation continue des chiffres d’affaires concernés et des déchets à traiter en proportion… Le même, citoyen-contribuable, est derechef victime des élus qui augmentent la taxe d’enlèvement des ordures ménagères sans vergogne.
Le citoyen assuré social est à son tour doublement victime. Rien ne lui sera épargné. L’assuré rétif à toute règle de bonne gestion de ses dépenses, est victime et de la Sécu et du gouvernement qui veulent lui en imposer. Le même, cotisant, exige des règles de bonne gestion contre l’augmentation de ses cotisations. Le salarié français est un retraité en puissance depuis le jour de sa naissance. A ce titre encore il est doublement victime du gouvernement qui augmente les prélèvements destinés à la financer et diminue les reversements auxquels il pourra prétendre. Rien que pour lui nuire. Juste par plaisir de jouir du mal qu’on fait; privilège des élus, n’est-ce pas?.

Peuple de victimes, peuple à l’agonie ! Debout les morts vivants et en avant. Redressez la tête, ouvrez les yeux, ouvrez les oreilles. Aérez vos neurones. Retroussez vos manches. Votre misère n’est pas sur la terre. Votre misère est dans vos têtes. Laissez l’air frais vous pénétrer. Laissez l’oxygène régénérer l’image du monde que vous avez en tête. C’est une vieille image, jaunie, racornie, craquelée… Elle a du charme, mais un charme tout nostalgique, sans avenir.

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