Contre Sarkozy, le culte de la laïcité (1/4)

Écrit le 21 janvier 2008 par Jiceo

Loi de 1905, discours au Vatican ou à Riyad… Nicolas Sarkozy invite les Français à réfléchir à leur relation au monde (entendez au « monde qui va », le monde vivant qui change), en questionnant le statut de la religion dans notre conception du monde. Il ne joue pas à provoquer les citoyens comme font semblant de croire ses détracteurs. Sur ce sujet aussi, le débat serein semble impossible dans la République. Quel serait l’intérêt d’un président de la République à un tel comportement? Les sempiternelles réactions instinctives crispées desservent les défenseurs de la laïcité. Comment ignorer que la France de 2005 n’est plus la France de 1905? Comment ignorer la quête de transcendance qui travaille nos sociétés? En rationaliste proclamé, comment ne pas accepter la question et son étude approfondie au lieu de son rejet a priori? Il est vain d’imaginer s’en affranchir à l’abri d’un paravent idéologique, s’appellerait-il laïcité.

Car voilà sans doute une singulière attitude: brandir la laïcité comme un contre-feu à toute interrogation de nature spirituelle, y compris religieuse, revient à la rétrécir en un culte qui s’oppose à d’autres cultes, sur le même registre qu’eux et sur un mode concurrentiel. Sur cette pente, pourrait-elle être autre chose à son tour qu’une idéologie désireuse d’incarner la quintessence de l’humanité? Unique, universelle et ultime. Pour les siècles des siècles. Sauf contresens colossal, telle n’est pas sa nature.

« Respect » édulcoré en « tolérance »

La constitution, par bonheur, est limpide. L’article 2 concentre à peu près tous les aspects du débat. Il débute ainsi: «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.» Se poursuit par la célèbre formule: «Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion». Et s’achève par ce rayon lumineux: «Elle respecte toutes les croyances». Oui, vous avez bien lu: la République respecte. Elle ne se contente pas de tolérer. Or, la vulgate qui s’est imposée dans le pays, a fini par édulcorer le « respect » en « tolérance », incorporant une restriction implicite à la liberté. Une liberté conditionnelle en quelque sorte: vous pouvez bien penser ce que vous voulez, à condition de ne pas l’exprimer publiquement; au nom de la liberté de conscience probablement.

Pourtant « La République… laïque… respecte toutes les croyances ». Et l’affirme positivement. Manifestement, le « respect » invite à une tout autre dimension humaine que la « tolérance ». Autrement porteuse d’enrichissement réciproque qu’une tolérance frileuse, toujours prête à se recroqueviller sur elle-même à la moindre alerte; comme un rempart contre l’incertitude qu’introduit l’échange positif d’égal à égal. Pourquoi donc la liberté fait-elle si peur? Dans notre belle France on adore brandir la liberté au bout d’une pique. Mais on n’aime pas la faire vivre, lui donner du corps. L’incarner. Trop exigeant.

Principe intégrateur

Le caractère laïque de la République est un principe intégrateur. Voilà son fondement. Mais il est sans avenir lorsqu’il s’élève en culte face à d’autres cultes pour occuper tout l’espace social au nom d’une quelconque supériorité. C’est pourtant ce sentiment que suscitent les réponses automatiques à tout questionnement sur la place et le statut de la religion; négligeant qu’il est principe intégrateur justement parce qu’il reconnait à chacun, d’emblée, le statut de citoyen en y incorporant sans condition, a priori, la légitimité de ses croyances. Sur ce socle-là -la liberté individuelle dans sa plénitude- la société est fondée à se montrer exigeante, mais il en est le préalable. Elle peut alors légitimement demander à chacun, en contrepartie de la reconnaissance pleine et entière de sa qualité de citoyen, la reconnaissance et le respect de la loi fondamentale du pays, ainsi que de l’ensemble des lois qui le constitue.

Ce qui fait problème c’est l’acception commune du vocable « laïcité » dans la frange militante qui s’en proclame le héraut. Elle n’est souvent rien d’autre qu’un simple déni du fait religieux, porté par certains qui se croient affranchis de toute sujétion; persuadés d’incarner l’absolu de la liberté par le simple fait de se revendiquer athée, ce qui ipso facto ferait d’eux des êtres supérieurs. Le débat sur le caractère laïque de la République est étriqué, parce que la notion de liberté chez ceux qui tentent de s’approprier le vocable ne réussit pas à s’élever au-dessus de leur propre problématique. Liberté y est implicitement réduit à n’être qu’un synonyme d’athéisme; libre à synonyme d’athée. Du coup, il n’y a plus rien à débattre.

La levée de bouclier qui suit chaque intervention de Nicolas Sarkozy sur le sujet est assez emblématique de cet état d’esprit. Il est légitime en soi d’interpeler le président de la République, comme tout autre élu de la nation, en raison du respect dû à la constitution comme à la loi. Mais d’une part, comment penser que le président de la République s’amuserait à évoquer ces questions, juste pour le plaisir de la provocation? N’aurait-il pas comme d’autres, perçu un malaise dans la société? Comme une quête de spiritualité qu’il jugerait légitime en sa qualité de chef de l’Etat de renvoyer au pays pour qu’il s’en saisisse et la travaille? Et d’autre part, n’oublions jamais, que ce que la loi a fait, la loi peut le défaire. Mais, s’il est interdit de s’interroger sur les modalités de la loi du 9 décembre 1905, alors il faut chacun s’en retourner cultiver son jardin. C’est que le monde parfait est enfin arrivé sur terre, et par bonheur c’est en France; le monde parfait, créé en un jour, le 9 décembre 1905. Depuis toute évolution est bannie, puisque la perfection règne. La laïcité serait-elle une variation créationiste? (Suite ->)

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