Contre Sarkozy, le culte de la laïcité (4/4)

Écrit le 21 janvier 2008 par Jiceo

[4/4] La quête d’absolu peut prendre des voies dangereuses. Pour autant, je ne suis pas en train de plaider pour une société austère où tout écart serait prohibé. Il n’y a aucun jugement moral dans le tableau, ci-dessus. Mais interrogeons-nous sur l’ampleur de ces phénomènes. Si vraiment la société n’était pas travaillée par une quête de sens, une quête de spiritualité, de transcendance, assisterions-nous à cela à cette échelle-là?

Se pourrait-il que l’évolution des sociétés occidentales vers un matérialisme toujours plus poussé finisse par susciter un appel d’air spirituel; appel qu’il serait préférable de reconnaître et travailler plutôt qu’ignorer. L’évolution des sociétés occidentales vers une individuation toujours plus poussée, exige de ses membres la capacité d’élaborer une morale personnelle pour affronter le monde. Cette capacité-là, non plus, n’est pas également distribuée. Comme pour le reste la palette des possibilités est vaste.

Pourquoi ceux qui auraient besoin d’un point d’appui extérieur devraient être laissés à eux-mêmes, au risque de sombrer? Au nom de la laïcité universelle? Est-on assuré que cette espèce de rationalité froide qui constitue le fondement de la laïcité compose une nourriture spirituelle suffisamment riche; pour tous, de la même manière, indifféremment? N’y aurait-il qu’un seul modèle admissible de développement de la personne? Et du coup, quiconque ne pourrait ou ne voudrait s’y conformer serait condamné à l’inexistence, au moins symboliquement?

Joie de vivre contre langueur monotone

Dernière notation dans ce registre. J’avais été frappé il y a quelques années par un reportage d’un magazine de télévision. Le journaliste avait suivi pendant quelques jours un groupe de jeunes gens participant aux JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) organisées à l’initiative du pape Jean-Paul-II. La vitalité de ces jeunes interviewés, leur désir de vivre qui transparaissait dans leurs propos, dans leurs attitudes, dans leur capacité à se projeter joyeusement dans l’avenir m’avaient bluffé, moi qui ai été élevé dans un milieu agnostique, sans éducation religieuse, sans catéchisme, sans communion…

Mais le véritable choc s’est produit à quelques jours de là, lors d’une interview de Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU (Fédération syndicale unitaire) au journal télévisé. Le ton monocorde, la tristesse infinie qui se dégage du personnage, de sa voix, de son débit, de son regard; cette lassitude qui l’enveloppe et ne le quitte jamais; la grisaille de son monde étriqué qui suinte de ses propos. Bref, l’impression qu’il dégageait, si pesante, m’a inconsciemment conduit à l’association d’idée avec le reportage sur les JMJ. Le contraste était violent.

Les jeunes Français à l’image de leurs ainés

Y a-t-il personnage public plus accablé que lui par le poids de la vie? Comment se fait-il que les enseignants, qui se veulent le fer de lance de la laïcité, choisissent le plus gris d’entre eux pour les représenter publiquement? D’où vient cet état d’esprit? Que peuvent transmettre aux jeunes qui leur sont confiés des adultes aussi peu enthousiastes; aussi peu désireux de vivre? D’où vient cette langueur monotone qui affecte la République laïque, ou plutôt ceux qui se considèrent comme ses seuls défenseurs légitimes, assujettis à un sentiment de propriété déplacé?

Et puis, comment n’être pas tenté de mettre ces considérations en perspective à la lumière de l’enquête de la Fondation pour l’innovation politique sur Les jeunesses face à leur avenir (www.fondapol-org), réalisée en 2006 et publiée il y a quelques semaines.

Les jeunes Français sont à l’image de leurs ainés:
– ils sont les moins confiants en leur avenir dans la liste des dix-sept pays concernés;
– ils sont ceux qui redoutent le plus le libre échange et la concurrence;
– et le pire: 54% des jeunes Français (record mondial) estiment que le regard des autres est déterminant dans leurs choix professionnels.

Promesses non tenues

Finalement ils n’ont pas appris à se sentir libre les enfants de Marianne, malgré les promesses de la République laïque. Finalement ils n’ont pas appris que la liberté n’est jamais donnée mais se construit chaque jour, pas à pas. Finalement ils n’ont pas appris que chaque génération doit se réapproprier la liberté, que chacun doit s’en saisir. Qu’elle ne peut pas tomber d’en haut, achevée, éternelle. Qu’a fait la République laïque de ses enfants, pour les rendre aussi peu désireux de s’insérer dans la marche en avant du monde? Comment expliquer cette propension au repli sur soi, joliment enveloppée dans l’habillage rhétorique de « modèle français » ou « d’exception française », au lieu d’une dynamique de la confrontation positive, saine, au monde tel qu’il va, au monde vivant?

La République comme une relique

Pour une République qui a fait de la laïcité la quintessence de la liberté, le résultat n’est pas flatteur. Sous cet angle, quelle légitimité ont ses apôtres à vouloir une nouvelle fois faire la leçon? A  moins qu’ils aient succombé au péché mignon de tous les gourous: l’essentialisation de leur vision du monde, enfin figée pour les siècles des siècles? Comment les militants les plus intransigeants de la laïcité ne parviennent-ils pas à percevoir que la froide rationalité laïque n’est peut-être pas une source suffisante de chaleur humaine? Comment justifier que chaque intervention publique d’un représentant de l’État en France sur la religion déclenche ces tirs de barrage d’armes automatiques: Laïcité! Laïcité! Laïcité! La société française n’a-t-elle pas changé depuis un siècle? La République laïque est-elle à ce point fragile, qu’elle devrait être protégée sous une cloche de verre, comme une relique; à l’abri des controverses qui pourtant, seules, attestent qu’elle est toujours vivante?

Il ne serait pas superflu parfois de s’interroger sur ses propres pratiques et sur ses propres résultats, avant de prétendre façonner le monde à son image.

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