3 – La gauche française ? (suite)
C’était mieux avant
Pour sûr, tout était mieux avant ou, sinon mieux, assurément plus facile. Avant ce glorieux 10 mai 1981 par exemple, au temps béni du «Programme commun» dans les années soixante-dix. Depuis le retour de De Gaulle et l’avènement de la Ve République, la gauche semblait devoir être écartée du pouvoir pour un bon bout d’éternité. C’est ce sentiment qui dominait alors, dans ses composantes politiques, syndicales ou associatives. Marqué d’une pointe de fatalisme assortie d’un indicible soulagement, ce sentiment d’exclusion revenait sans cesse dans son discours sur elle-même. «La droite se comporte en propriétaire du pouvoir; elle s’imagine en être le dépositaire naturel», tel était le leitmotiv. Justification implicite et par avance de sa propre irresponsabilité, le credo donnait de l’allure à son désespoir. Confort quatre étoiles du statut de victime.
Péché mignon
Quand tout va mal, seuls les gouvernements sont en cause. Cela va de soi. Et dans ce scénario là, la gauche joue avec naturel. Sans se forcer. Peau blanche, ongles curés, un must pour s’adonner impunément à son péché mignon: le réquisitoire implacable pointant un doigt immaculé vers l’abominable coupable : la droite et le capital associés. Et si, malgré cet agitation verbale le peuple persistait à refuser ses suffrages à la gauche, la gauche n’y était pour rien ; naturellement. La répétition de ses échecs aux différents scrutins ne devait sa régularité qu’à la conjonction de motifs dont elle n’était pas responsable. Le peuple berné par l’alliance de la droite et du capital, le peuple subjugué, le peuple aliéné mais le peuple bientôt libéré! «C’est la luuutte finaaale… Union! Action! Programme commun!»
Brevet d’honorabilité
La gauche dans les années soixante-dix arborait son infortune électorale comme un brevet d’honorabilité. Gage d’authenticité prolétarienne, n’est-ce pas. Le drame c’est que cette lubie est toujours vivante trente ans plus tard. Elle pouvait à l’envi trépigner, se lamenter, récriminer, reprocher aux gouvernements successifs une «politique de classe», les accuser de se coucher devant «le grand capital». Sous couvert d’une rhétorique conquérante associée à cette incessante litanie, la situation procurait un confort inégalable. A nous les délices des sermons moralisateurs et des péroraisons accusatrices, sans être exposé jamais, à être contredit par les faits! L’idéal de tout prédicateur. Ah, cette jouissance du réquisitoire sans risque; sans risque de devoir assumer les conséquences de ses propres exigences. Jusqu’en mai 1981, lorsque va enfin «Changer la vie».