4 – La gauche française ? (suite)
Plombée par ses chaînes idéologiques
Voilà donc un Parti Socialiste plutôt « super syndicat » que parti. Une supercherie qui, pour continuer de donner le change, nécessite du soin dans la mise en scène de ses échecs électoraux. En son sein, la revendication tient lieu de projet et de programme politique. Le PS est en quelque sorte la couverture idéologique jetée sur une activité de lobbying, celle de défenseurs intransigeants de statuts anachroniques. Couverture qui voudrait mettre à l’abri des intempéries philosophiques, politiques et sociales quelques principes fondateurs d’une idéologie qui, sans elle, se volatiliseraient au contact direct du monde contingent, du monde vivant. Ces principes s’imposent sous l’apparence d’évidences implicites. Ils affichent une assurance de postulat. Et, un postulat par définition ça ne se démontre pas.
Manifestations du mal
Parmi les chaînes idéologiques qui retiennent le PS dans l’opposition, celle-ci d’abord qui assimile l’économie au mal. Elle conduit à scier la branche sur laquelle on voudrait s’assoir. On jette dans un sac quelques maillons réellement contigus mais dont on se garde bien d’éclairer les liens: économie, argent, entreprise, bénéfice, investissement… Autant de manifestations du mal, et rien d’autre, dont il convient de libérer le monde. Au nom de la morale on voudrait fermer le sac de manière étanche, et après l’avoir lesté de tous les maux de la terre, le marquer du nom infamant de «capitalisme» avant de le faire disparaître dans les ténèbres de l’Histoire. On peut bien vouloir se donner bonne conscience. Mais c’est souvent à bon compte, car la dénonciation du mal ne nous dit rien de ce qui va le remplacer le capitalisme.
Intuition
Voilà comment, par des raccourcis présomptueux, la gauche française s’échine à vouloir résoudre des problèmes sociaux (mieux répartir les richesses) en refusant même, simplement de poser la question qui pourrait l’engager sur le chemin de la mise en œuvre; la question qui fonde toutes les autres: «A quelles conditions, une meilleure répartition des richesses peut-elle prendre corps de façon sinon pérenne, mais au moins durable?» Poser la question c’est mettre ses pas dans ceux de La Palice, puisque cela revient à reconnaître enfin l’intuition que seules les richesses produites peuvent être redistribuées. Décoiffant non ? Mais ce sont semble-t-il des pas nécessaires dans la culture dominante de la gauche, avant de s’attaquer au fond: «A quelles conditions…» Et c’est ici que les choses se corsent.
Provisoire et partielle
Car cette question, dont chacun a remarqué la nature plurielle (à quelles conditions) n’a pas de réponse. Entendons par là qu’elle n’a pas de réponse unique, universelle, intemporelle, préexistante. Dans un monde en mouvement, toute réponse ne peut-être que provisoire. Et ce n’est pas tout. Dans un monde en mouvement et toujours plus complexe toute réponse pourra probablement de moins en moins se prévaloir d’un caractère général. Toute réponse sera donc non seulement provisoire mais encore partielle. Et c’est ici que, pour prendre la mesure du vide sidéral de la pensée de gauche, il convient d’en éclairer l’arrière plan métaphysique.
Destin de l’humanité
La pensée de gauche est figée dans une vision linéaire de l’histoire. Non seulement l’Histoire aurait un sens, mais au surplus ce serait un sens unique. Et, si l’on pouvait donner quelque crédit à la fastidieuse liturgie trotskyste, à laquelle une bonne partie des adhérents du PS est toujours aliénée, on pourrait affirmer qu’en outre elle est écrite, l’Histoire. Mais pour le moment seule l’avant-garde éclairée connaît le scénario. Le destin de l’humanité c’est donc la transsubstantiation de la société capitaliste en socialisme. Et cette vision possède ses messies, ses tables de la loi, ses prophètes, ses martyrs, et son miracle annoncé; rien ne lui manque pour s’engraisser, elle aussi, sur le terreau des peurs humaines.
Pas de solution
L’Histoire a donc un sens. Au surplus il est unique. Le mal qui règne aujourd’hui appelle des lendemains qui chantent. Le monde a un problème: le capitalisme; qui appelle une solution: le socialisme. la messe est dite. Et voilà dans quel enfer intellectuel est engluée la gauche française. Elle croit qu’il y a des solutions aux problèmes humains. Elle passe donc son temps à en chercher, des solutions. Mais il n’y en a pas. La recherche de solutions, est une opération intellectuelle qui présuppose un monde figé, clairement déterminé et repéré dans toutes ses composantes. « La solution » fantasmée est à son tour un nouveau monde figé, mais définitivement bon et apaisé celui-là. Et on peut penser que, pour perdurer dans son essence d’infinie bonté, l’humanité devra avoir été débarrassée de tout désir, de toute perspective d’évolution, pour que l’équilibre harmonieux l’accompagne jusqu’à la fin des temps. Un monde gris comme horizon pour l’humanité. Or le monde est complexe, mouvant, incertain. Il ne se laisse pas enfermer dans un scénario pré-conçu. Il n’y a pas de solutions aux problèmes de l’humanité, hormis la totale annihilation. Il n’y a qu’un travail d’adaptation permanent.