5 – La gauche française ? (suite)
Continuellement en porte-à-faux

Écrit le 3 février 2008 par Jiceo

Autant dire que la gauche historique paraît continuel­lement en porte-à-faux, elle qui s’est toujours entichée de dédaigner les questions économiques, sauf celles sorties du chaudron de potion magique sous le gentil nom de nationalisations, ou encore de mondialisation et bientôt, comme l’économie non plus n’échappe pas à la mode, celui si sibyllin « d’alter ».

En porte à faux quand elle est dans l’op­position, par le caractère démagogique de nombre de ses interventions et propositions, qui au demeurant ne font plus guère illusion. En porte à faux quand elle est aux af­faires, se prenant les pieds dans les pièges qu’elle se tend elle-même, par la densité de ses promesses de campagne; et par ses décisions non maîtrisées, dont la loi sur les 35 heures constitue l’exemple emblématique.

La sève de l’idéologie

Il en va de même avec cette autre chaîne aux maillons tellement figés qu’ils semblent soudés par la rouille: ser­vice public, collectivité publique, fonctionnaires, statut (français) du fonctionnaire. Un bloc compact. Impossible d’imaginer l’éventualité d’en délier les éléments. Ils forment un tout*. Impossible d’imaginer que «service pu­blic» n’implique pas mécaniquement «domaine réservé des fonctionnaires». D’ailleurs l’assimilation de l’un par l’autre, bien que parfaitement invisible, joue à plein. Dans l’imaginaire de gauche, service public contient fonction­naire; comme fonctionnaire contient service public. Ils sont contenus l’un dans l’autre. La confusion est la sève de l’idéologie.

Impossible dans cet univers mental d’imaginer un fonctionnaire sans le statut (français) du fonctionnaire. Impossible d’imaginer pour les fonctionnaires un contrat de travail identique à ceux qui ont cours dans l’activité pri­vée. Tous les éléments de cette chaîne tiennent entre eux par une énergie phénoménale; sa force d’inertie. Et, c’est à s’efforcer de conserver cette inertie que s’épuise l’énergie de la gauche française, au lieu de chercher à l’utiliser pour promouvoir une réorientation.

Chaînes de présupposés

Pourtant il suffit de lever les yeux. Et sans porter bien loin le regard constater que, bien des fonctionnaires en Eu­rope travaillent pour le bien de leur pays sous un statut qui n’a rien de commun avec celui des fonctionnaires français. Et cependant travaillent probablement tout aussi efficace­ment dans l’intérêt de leurs concitoyens que leurs homol­ogues français. Vingt-cinq ans après le 10 mai 1981 l’iner­tie idéologique est à peine atténuée.

D’autres chaînes de présupposés, depuis des lustres entravent l’évolution de la pensée dans un cliquetis caractéristique. Un raccourci implicite assimile volontiers service public à fonctionnaire. On l’a vu, mais plus fort encore, le tout s’identifie volontiers à l’intérêt général. Un fonctionnaire qui revendique et manifeste ne saurait donc le faire par intérêt personnel; trop trivial. La notion d’intérêt personnel est entachée d’une telle connotation négative! Rédhibitoire dans cet univers-là. Le fonc­tionnaire français ne saurait défendre ses intérêts.

Mystère de la foi

Homme cultivé entre tous (recruté sur concours! ça vous pose un homme ça, pour la vie jusqu’à la mort), il ne connaît que l’intérêt général; le seul qu’il pratique, évi­demment. C’est donc sous couvert d’intérêt général que le sien émerge: le fonctionnaire français comme incarnation du bien universel. Incarnation à la fois du service public et de l’intérêt général: imparable. Tous fonctionnaires et la vie sera universellement douce et bonne. Sauf que surgit d’em­blée la question essentielle, justification de l’énoncé ini­tial; celle enfouie si profondément dans la culture de gôche qu’elle se refuse même à l’énonciation. Si nous sommes tous fonctionnaires, qui finance et les services publics et les fonctionnaires? D’où vient l’argent? Quid de l’économie dans cette société idéale? Mystère. Cette préoccupation-là est tellement triviale qu’elle dénaturerait leur combat politique si elle venait même à n’être seulement considérée que comme question légitime. Quant à réfléchir à lui construire des réponses politiques, l’hypothèse est inaccessible à la pensée. Les questions de financement des politiques projetées, la réflexion sur les dynamiques économiques, les interrogations sur l’interdépendance de plus en plus étroite des échanges à l’échelle mondiale n’existent pas dans la pensée des hommes de gôche. Jamais. Seule la répétition à l’identique des sempiternelles revendications a droit de cité. Comme un catéchisme.


* Tout ou rien. Toujours une posture morale pour aborder (pour évi­ter d’aborder plus justement) des questions concrètes

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