Le NouvelObs, nouveau chic people. Derniers avatars de cette plongée sordide dans les corbeilles électroniques: la publication du mail de Nicolas Sarkozy adressé à son ex-épouse et ceux échangés par Jérôme Kerviel et son ami Moussa Bakir. Surfer sans retenue sur la vague de la pipolisation, peut-être bien que ça fait vendre, après tout? Le NouvelOs à moelle financière.Europe 1, lundi 11 février 2008, 7h57. En démarrant ce lundi matin, je capte la fin d’un billet d’Axel de Tarlé. Le journaliste répercute l’info du NouvelObs, à savoir la publication de quelques uns des mails échangés par Jérôme Kerviel et son ami Moussa Bakir, courtier à la Fimat (filiale de la Société Générale). A ce que j’ai compris la brigade financière a utilisé les courriels échangés entre les deux amis pour justifier la garde à vue de Moussa Bakir. Le commentaire d’Axel de Tarlé est réduit à peu de chose. Il se contente d’égrener les courriels échangés, ceux significatifs du point de vue de l’enquête. Et termine son propos en soulignant qu’on a vu un Jérôme Kerviel sûr de lui lors des échanges d’octobre s’effondrer en janvier, après la chute de la bourse.

Atteinte au respect de la vie privée

Réflexion immédiate, entre interrogation et indignation, de mon fils de 15 ans que je conduisais au lycée : «Ce n’est pas normal qu’on ait accès aux courriels échangés sur le Web…» Il est lui aussi comme à peu près tous les jeunes de son âge grand producteur-récepteur de courriels. Et cela devrait nous rassurer de constater que les jeunes gens de ce pays sont encore sensibles aux libertés individuelles.

Assurément ce n’est pas normal. C’est même choquant que la police puisse transgresser le caractère privé du courrier, courriel ou courrier papier. Cependant, il y a une différence colossale entre les deux. Un courrier papier est unique et peut être détruit (ou mis à l’abri des regards indiscrets) par son propriétaire destinataire. Le propriétaire du courrier papier garde la maîtrise de sa vie privée. Il décide souverainement si oui ou non il veut publier ce courrier qui lui appartient, ou le détruire, ou le cacher pour la postérité…

Alors qu’un courriel est conservé… Conservé par qui justement? Combien de temps? Le récepteur propriétaire d’un courriel a-t-il la possibilité de l’effacer complètement de tous les serveurs par lesquels il a transité? Qui entre le fournisseur d’accès internet (FAI), le serveur du logiciel de courriel, conserve ainsi les échanges de courriers privés susceptibles d’être jetés en pâture au public? C’est là une source majeure d’atteinte au respect de la vie privée.

D’autant que dans une affaire comme celle de la Société Générale, il doit bien exister suffisamment d’éléments, de traces de transactions (et du côté de la banque, et du côté des bourses et des intermédiaires) sans qu’on ait recours à la recherche, puis à la divulgation de courriers privés.

Le NouveauChicPipol balance

Le NouvelObs balance, mais il a encore quelque difficulté à en assumer les conséquences. La publication du mail, que Nicolas Sarkozy aurait adressé à Cécilia une semaine avant son mariage avec Carla, ne nous regarde pas. Il ne regarde personne d’autre que les intéressés. Après la plainte du chef de l’Etat, Guillaume Malaurie codirecteur de la rédaction essaie de nous la jouer sur l’air de la liberté outragée (le Monde du 09/02/08). Mais, son angle de défense a ce petit côté pathétique de l’homme libre qui n’assume pas les conséquences de sa liberté. «Le président Sarkozy s’en prend à des « boucs émissaires », explique Guillaume Malaurie, codirecteur de la rédaction. Le titre de cette semaine, « Le président qui fait pschitt… » et les reportages que nous avons publiés n’ont pas dû plaire, ajoute-t-il.» Certes, mais le codirecteur de la rédaction essaie de détourner l’attention.

Ajouter la malhonnêteté intellectuelle au manque de courage ce n’est pas digne d’un directeur de rédaction. Ce n’est pas contre le titre de couverture du NouvelObs que Nicolas Sarkozy a porté plainte. Mais contre la publication d’un mail privé. Et, qu’il soit vrai (écrit et envoyé par Nicolas Sarkozy) ou faux (fabriqué par intention malveillante) ne change rien à l’affaire.

Respect des autres et de soi-même

Certes, la liberté de la presse est un pilier de la démocratie. Mais la liberté de la presse n’existe pas toute seule, ontologiquement, au-dessus des hommes et de la société. Elle est en frottement permanent avec les libertés individuelles. C’est sa nature. Et, il n’y a pas de recette miracle capable d’anticiper tous les cas de figure et d’assurer à tout coup si telle info relève de la vie privée ou de la vie publique. Mais il existe des cas où la question peut être tranchée sans difficulté majeure, pour peu que le journaliste ne se croit pas obligé de devenir un robot décérébré dans l’exercice de ses fonctions. Pourquoi les qualités humaines du journaliste, celles qui fondent le vivre ensemble d’un pays démocratique et qui peut bien s’appeler « respect des autres et de soi-même », devraient-elles l’abandonner dès qu’il se met à écrire?