« Politique de civilisation » : Edgar contre Morin
Les archives télé sont parfois cruelles envers les politiques (qui parlent toujours trop). Elles ne le sont pas moins envers les intellectuels pipolisés. Quelle stupéfaction ce dimanche matin (10 février) au cours de l’émission de France-5 qui diffuse un portrait d’Edgar Morin. En un raccourci saisissant, une de ses déclarations ancienne me ramène à sa récente réaction extravagante envers Nicolas Sarkozy. Le président de la République n’avait-il pas eu l’outrecuidance d’employer l’expression « politique de civilisation » lors de ses vœux à la nation? J’avais souligné en son temps, ce qu’à mes yeux cette réaction nombriliste avait de détestable (Consternante réaction d’Edgar Morin dans Le Monde). Le nouvel éclairage m’est servi sur un plateau par Edgar Morin soi-même.
Son portrait diffusé dans l’émission Empreinte montre un homme chaleureux, à l’image qu’on peut se faire de lui à travers ses écrits. Le personnage a des qualités, certainement mu par un fond humaniste qu’il n’est pas question ici de mettre en doute. Mais, humain, trop humain, les bonnes intentions ne préservent pas de l’égolâtrie. Il avait fait lui-même il y a bien longtemps, par avance en quelque sorte, la critique acerbe de sa propre attitude de ce début d’année 2008. Elle avait pour cadre une émission de Bernard Pivot Apostrophes datant de 1981 dont le portrait du jour reprenait des extraits.
Assurance et arrogance
Voici donc sa belle déclaration; on devrait même dire déclamation tant elle avait l’allure d’une profession de foi, tant Edgar Morin semblait habité par ses propres paroles: «Il y a une chose qui est frappante chez l’intellectuel moderne. Il est l’héritier de deux traditions contradictoires. L’une, c’est la tradition des Lumières, la fonction critique, la fonction qui détruit les mythes. Et l’autre c’est que c’est eux, les intellectuels, qui fabriquent les mythes dans la société moderne, c’est eux qui fabriquent les idées.» Jusque-là c’est plutôt bien vu, et cela entre bien dans sa démarche de chercher à pénétrer le monde dans sa complexité. Puis il enchaine: «Et effectivement, la maladie naturelle de l’intellectuel c’est de prendre l’idée qu’il fabrique pour la réalité. C’est la maladie typique de l’esprit et de l’intelligence. On prend le concept pour la réalité.» Avant de conclure péremptoire: «Alors je dis que l’intellectuel aujourd’hui devrait perdre son assurance et son arrogance. Il devrait, dans la situation où il est, reprendre le travail de recherche de la vérité et cesser de se considérer comme le propriétaire de la vérité.» Visionnaire le grand Edgar, sacrebleu. Plus fort que Madame Soleil. Des prédictions à trente ans qui se vérifient!
« Je crois en moi Seigneur »
Quel bel éclairage sur la perte de repères de certains universitaires dans leur propre pratique professionnelle. La pipolisation des intellectuels n’échappe pas aux effets délétères. A force d’être interviewé sans contradiction, comme un expert, implicitement donc au-delà du doute, à force d’être adulé par la sphère médiatique comme un savant au-dessus des contingences, l’universitaire aussi finit par prendre la grosse tête. Caution commode des médias en quête de certitudes, sa parole est délivrée avec déférence comme l’expression de la vérité, en toute indépendance scientifique bien sûr. Hormis la contrepartie d’une promotion commerciale du dernier ouvrage paru.
Humain, trop humain, certains de ces scientifiques experts indépendants finissent par croire en eux.