De l’usage abusif des études statistiques
Et une de plus, de ces études de sociométrie qui croient éclairer le mystère du monde quand elles ne sont que bavardage aux prétentions scientifiques. Sous le titre «La crèche accroît les chances de réussite scolaire» Ouest-France du 5 mars publie en page 3 cette info: «Fréquenter une crèche dans les premières années de la vie augmente les chances d’avoir, par la suite, de bons résultats à l’école, selon une étude réalisée par l’Institut Bass, de Berne. Elle a été révélée par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. La moitié des jeunes Allemands ayant fréquenté une crèche ont été acceptés dans la filière d’études de second cycle la plus sélective, contre seulement un tiers parmi les jeunes n’ayant pas été en crèche. Les enfants issus de milieux défavorisés, souvent d’origine immigrée, sont ceux qui profitent le plus de l’expérience de la crèche: leurs résultats scolaires ultérieurs sont alors bien meilleurs.»
Fantaisie scientifique
Le côté stupide de l’info ce n’est pas le fait brut en lui-même, ni sa quantification. Que la moitié des jeunes allemands ayant fréquenté la crèche accède à la filière d’études la plus sélective, c’est fort probable. Et cela n’a rien d’étonnant. La stupidité commence avec la tentative d’explication. Le critère « ayant fréquenté la crèche pendant les premières années de la vie » est pris isolément et considéré comme ayant une existence autonome, une existence en soi. Mais le délier de toute contingence familiale lui donne un caractère plutôt fantaisiste que scientifique. Quel scoop tout de même! Si on veut vraiment accorder à la donnée statistique un quelconque sens social mieux vaudrait la croiser avec d’autres critères. Prise isolément elle est proprement insensée et la présenter comme ayant une existence objective autonome relève de la pensée magique. Si tel était le cas il faudrait avoir vérifié ce présupposé: que toutes les familles, tous paramètres confondus, ont un attrait identique pour la crèche et que le seul choix qui s’impose à elles c’est d’y inscrire leur enfant ou non.
Résultats scolaires
Est-ce si évident? Pourquoi les parents auraient-ils le même rapport à la crèche, partout uniforme et identique? Faudrait-il écarter le fait que les familles qui cherchent de façon plus systématique à utiliser les services d’une crèche sont celles où les deux parents travaillent ou bien cherchent activement à s’insérer dans le monde du travail? Et ce faisant un nouveau critère entre en lice: la force du désir des parents de s’insérer dans la vie sociale de leur pays de résidence. Qu’ils y vivent depuis des générations ou qu’ils y soient de récents immigrants le critère vaut, mais pas forcément avec la même vigueur. Que l’écart soit mesurable entre l’effet sur les enfants issus de familles vivant sur place depuis des générations ou de familles récemment installées n’a rien d’un scoop. Et nos apprentis scientifiques de découvrir ébahis que «les enfants issus de milieux défavorisés, souvent d’origine immigrée, sont ceux qui profitent le plus de l’expérience de la crèche: leurs résultats scolaires ultérieurs sont alors bien meilleurs.»
Désir d’insertion
Soit, mais l’explication reste un peu courte si elle tient à la seule fréquentation de la crèche. Le principal critère de réussite scolaire est le désir des parents de voir leurs enfants s’insérer au mieux dans la société où ils vivent; par imprégnation osmotique de leurs propres efforts d’insertion. La force de ce désir se traduit de leur part par des efforts plus ou moins importants, plus ou moins constants, visant à cette intégration et cela si nécessaire en utilisant les services sociaux accessibles. Il n’est alors pas étonnant que l’écart soit plus important entre les familles d’origine immigrée. L’écart initial avec la culture de la société qui les accueille, ses normes, ses usages, est bien plus important pour elles que pour les familles de condition modeste équivalente mais vivant sur place depuis des générations. L’écart initial étant plus important, un effort plus soutenu d’intégration de la part de certains parents se traduira par un « rattrapage » nettement plus conséquent pour leurs enfants que pour ceux de leurs semblables moins touchés par cette dynamique interne.
Pression familiale
Autrement dit, la réussite scolaire des enfants tient d’abord à la « pression » du milieu familial. Dans la dynamique de cette « pression familiale » la fréquentation de la crèche est un facteur valorisé par ces parents comme l’un des outils sociaux à leur disposition, puisque nécessaire à leur organisation pratique et d’autant plus qu’il sert leur désir d’intégration positive. Vécu positivement par les parents, il l’est davantage alors par les enfants qui y sont confiés. Mais pris isolément comme élément d’explication, le critère « fréquentation de la crèche » n’explique rien. Si une corrélation existe (plausible en effet) entre fréquentation de la crèche et résultats scolaires elle n’est, cette corrélation, qu’un révélateur; le révélateur d’une dynamique dont elle n’est pas la source. Jouer à le croire, une fois de plus, c’est forger un nouvel ectoplasme idéologique. Ayant cru pendant des décennies que la solution des problèmes sociaux était incluse entière dans la seule fréquentation obligatoire de l’école jusqu’à 16 ans, on veut continuer à chercher des solutions globales et définitives. On veut se rassurer, mais à bon compte, accrochés à ce désir fou de réduire la société à une mécanique. Et puisque l’école a montré ses limites forgeons un nouveau credo: tous à la crèche dès 3 mois.