note2be.com : au lieu de gémir ouvrons le débat

Écrit le 7 mars 2008 par Jiceo

Si au moins cette initiative de noter les profs avait la capacité de provoquer un débat, quelle avancée! Rien qu’un débat, un simple débat mais ouvert, serait un sacré progrès. Le site note2be.com pourrait se targuer d’être à l’origine d’une évolution considérable. Un débat ouvert signifie explicitement que tous les intéressés potentiels acceptent d’y participer avec l’a priori qu’ils ont eux aussi quelque chose à apprendre d’une confrontation; et non pour certains avec l’a priori d’avoir là aussi, et exclusivement, des leçons à donner et jamais rien à entendre. Un débat portant sur les relations malsaines parce qu’hypocrites, entre la corporation, les syndicats, l’institution, les pouvoirs publics, les élèves et leurs parents; bref un débat sur les relations sclérosées entre l’Éducation nationale et la société, au-delà des tabous fossilisés. Un débat ouvert sur les attentes de la société à l’égard de l’école, sur les représentations en jeu, comme sur les représentations que l’institution se donne à elle-même de son rôle dans la société. Un débat de fait sur le degré d’adéquation des systèmes de représentation en conflit.

A l’abri des critiques

Car elle est pathétique cette ré-action des syndicats d’enseignants, sur ce sujet là aussi de l’évaluation. Elle renforce cette image de caste s’imaginant à l’abri, par sa nature, de toute critique; pour les siècles des siècles. Elle met en lumière le problème culturel de fond dans notre société. Les représentations que se font les enseignants de leur rôle et de leur statut dans la société sont datées, dépassées. Un sentiment de supériorité tenace les empêche de se faire une représentation ajustée d’eux-mêmes et de leur place dans le monde. Et les conduit à s’enfermer dans leur tour d’ivoire.

La difficulté majeure est que, comme dans tous les autres domaines de la vie publique (en France), le débat est focalisé par les parties prenantes (syndicats d’enseignants, associations de parents d’élèves, partis politiques) sur des approches exclusivement institutionnelles de la question. Il en va ainsi de l’Éducation nationale comme de la politique sociale ou économique du pays. On fait semblant de rechercher des solutions institutionnelles à des problèmes essentiellement culturels. Évidemment cela ne marche pas. Mais ce décalage offre aux protagonistes cette latitude de ne jamais s’interroger sur l’évaluation des résultats rapportés aux attentes, mêmes celles par eux formulées et par là, cette latitude de ne jamais s’interroger sur leurs propres pratiques liées à leurs représentations. Pour le dire d’une autre façon, si l’Éducation nationale n’atteint pas les résultats attendus ce n’est pas forcément et exclusivement toujours la faute du ministre. Ce décalage offre surtout la possibilité de s’échapper à l’infini dans des querelles idéologiques oiseuses, de chercher systématiquement ailleurs les faiblesses de l’institution; et ce en toute irresponsabilité parce qu’en vain.

Effet miroir

La première qualité de cette initiative de noter les profs tient à son effet miroir, c’est-à-dire à la richesse potentielle de son exploitation; à condition de s’y mettre. Les syndicats d’enseignants sont passés à côté, mais le fait pour eux de se découvrir soudain eux aussi susceptibles d’évaluation, au vu et au su de tous, devrait leur mettre la puce à l’oreille. L’effet miroir vous dis-je. Dans un sens l’évaluation serait légitime, dans l’autre non ? Tiens ? Mais quid du rôle du maître dans sa relation avec l’élève me rétorque-t-on, fort justement ? Certes. Mais pourquoi l’institution scolaire entretient-elle cet aspect humiliant de l’évaluation que des contingents d’élèves subissent sans discontinuer, des années durant ; avec cette bonne conscience de la profession ignorant les effets induits de ces pratiques, bien au-delà de l’école. L’effet miroir peut avoir du bon, assurément, à condition de s’efforcer de ne pas fermer les yeux lorsqu’on se trouve devant le miroir.

D’où vient cette double assurance des syndicats d’enseignants que l’évaluation de l’élève est toujours légitime (selon les modalités habituelles connues) et que l’évaluation des enseignants serait ontologiquement illégitime ? Faut-il avoir mauvaise conscience pour se sentir ainsi persécuté lorsqu’on parle d’évaluation. Ah mais, me rétorque-t-on, les enseignants sont évalués. Oui, j’oubliais, évalués par le corps des inspecteurs de l’Éducation nationale. C’est vrai, mais elle est si peu crédible cette évaluation interne! Tout juste un accompagnement de carrière avec des notes qui montent régulièrement d’un demi point à chaque nouvelle inspection. Évaluations en outre effectuées par des inspecteurs qui font carrière, dépendant en cascade de leurs inspecteurs généraux, eux-mêmes auteurs parfois de théories fumeuses et/ou de publications, et qui ne sont pas moins imprégnés de préjugés idéologiques que les enseignants qu’ils évaluent.

Oui, l’évaluation des enseignants est indispensable. Mais elle reste à élaborer, de A à Z. Et ceci bien sûr dans leur intérêt, l’intérêt des enseignants pour les aider eux aussi à se situer dans la grande maison; à se situer dans le pays; à se situer dans le monde. Évaluation qui doit évidemment écarter tout caractère humiliant. Car l’intérêt bien compris des enseignants conditionne la capacité de l’école à répondre aux attentes de la société. Et dans l’évaluation globale à construire, la part revenant aux élèves est évidemment légitime.

Modèle unique

Notons en passant que le jour où le monde enseignant admettra que quiconque n’est pas d’accord avec lui n’est pas nécessairement un ennemi, ce jour marquera le début d’une ère nouvelle. Ce propos ne s’élève pas contre les enseignants; simplement contre des pratiques culturelles sclérosantes, contre des représentations surannées. Objectif: que l’école retrouve sa vitalité originelle. C’est-à-dire le désir d’engager chaque petit d’homme sur la voie de son épanouissement. Entendons par là, la réalisation par chacun de ses potentiels, car commence avec cette précision l’énonciation du problème culturel de l’école française. Sa certitude de posséder le modèle universel et indépassable de la perfection humaine, incarné de façon on ne peut plus naturelle par ses propres enseignants. Conséquence pratique pour les enfants, l’enseignement en France est entièrement construit sur un modèle unique de réussite. Il ne dispose que d’un seul modèle de réussite humaine, puisque la réussite scolaire conditionne implicitement la réussite sociale future. Et toutes les intentions pédagogiques ne visent qu’un seul but: ramener coûte que coûte tous les élèves dans ce moule unique. Une tragédie. Car toutes les concessions faites au monde vivant consistant en l’acceptation de « voies moins nobles » que l’enseignement général sont des concessions accordées à regret, en attendant le jour béni où tous les élèves ressembleront enfin à leurs enseignants. Dans l’institution, les enseignements qui n’ont pas l’heur de pouvoir être qualifiés de général ne sont jamais considérés positivement, mais uniquement comme pis aller. Voilà son incommensurable faiblesse: n’avoir à sa disposition qu’un modèle unique de réussite. Et, enfermée dans ce carcan l’institution ne sait comment se comporter avec tous ceux qui n’entrent pas dans le moule. D’où le mépris ou l’ironie ou l’indifférence ou l’agressivité à l’égard des malheureux. D’où l’énorme ressentiment à l’égard de l’institution, devenu chronique. Conséquence pratique pour les enseignants: assurés d’être l’incarnation de l’unique modèle de réussite, ils ne parviennent pas à s’imaginer perfectibles puisque déjà parfaits. Voilà leur drame. Ils savent. Les diplômes et les concours administratifs l’attestent. Une fois pour toutes. Plus jamais besoin d’évaluation dans ces conditions. CQFD.

Carrière mécanique

Et dans quoi s’incarne à son tour cette incarnation de la perfection? Nous y voilà, au cœur de l’idéologie, au blocage idéologique insurmontable, ce soubassement du drame social qui se joue en France depuis des décennies : le statut de la fonction publique. Il repose pour l’essentiel sur l’idéologie républicaine de l’égalité des chances, dans laquelle « examen » et « concours » sont synonymes implicites de compétences professionnelles. Conséquence pratique: vous réussissez à 20 ou 25 ans un concours de la fonction publique et vous voilà assuré jusqu’à la fin de vos jours d’un statut hyperprotecteur. Et quelles que soient vos qualités professionnelles qui ne se révèleront que plus tard, quels que soient votre engagement professionnel et personnel ultérieur, votre carrière se déroulera imperturbablement vous assurant protection et immunité jusqu’à votre dernier souffle. Cette dynamique de la carrière automatique est une dynamique régressive; qui engendre rapidement une perte de dynamisme professionnel quasi mécanique, sauf personnalités fortes.

Voilà pour l’idée première, la justification de l’évaluation. Sur le fond, ce hiatus culturel entre l’école-institution et la société française, nous aurons l’occasion de revenir. L’incapacité de l’école à répondre aux exigences que pourtant elle formule pour elle même, a entraîné toute la société dans une dérive idéologique pernicieuse.

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