7 – La gauche française ? (suite)
L’étiquette vous dis-je
Enfermée dans sa tour d’ivoire idéologique, prisonnière volontaire, la gauche française tourne autour du pouvoir. Elle voudrait en avoir les leviers mais sans avoir à en assumer les responsabilités. Même le PS, ébloui par les paillettes rhétoriques de la gauche extrême n’est pas parvenu à se construire une culture de parti de gouvernement en accord avec sa nature de parti de gouvernement: un quart de siècle après mai-1981. Elle demeure déchirée entre sa posture favorite de prescripteur (sa prétention à incarner la conscience morale du monde) et sa nature d’acteur politique (foncièrement contingente et responsable de ses actes comme de ses paroles). Elle ne veut pas choisir et entretient ainsi sa propre impuissance. Elle peut alors impunément* continuer de jouer à croire que c’est le capitalisme son ennemi quand elle n’a sans doute pas de pire ennemi qu’elle-même. A se vouloir l’unique et universelle échelle de la mesure de tout, mais surtout du Bien, elle n’est plus grand chose.
Peut-on imaginer, de l’extérieur ce qu’est la vie du PS, la vie à l’intérieur au long cours? Peut-on imaginer le degré d’abnégation requis pour la supporter lorsqu’on y est allé avec l’idée d’adhérer à un parti politique, pour agir dans la cité; pas pour communier dans le ressentiment? Arrive bientôt ce jour où l’on se dit: «Mais qu’est-ce que je fais ici? Où suis-je? Suis-je vraiment là où je l’avais imaginé?» Il y a un décalage phénoménal entre ce qui se disait au cours de nos réunions et ce que nous sommes (étions) capables de mettre en œuvre ensuite de nos propres préconisations. Deux mondes, ou plutôt deux univers séparés qui ne se recoupent en rien. En rien.
Ce qu’on y fait
A empiler sans limite des litanies de bons vœux qui ne connaissent jamais le moindre début de réalisation, à ressasser sans fin cette bonne parole en forme de réquisitoire perpétuel, la gauche française se contente de nourrir sa gangue verbeuse, qui finit par s’étioler en catéchisme désincarné. A longueur de réunion, à longueur d’année. Les militants croient faire de la politique quand ils se bornent à de vagues injonctions morales. A ressasser sans fin son malheur, on tricote son propre engourdissement intellectuel. Il s’est emparé peu à peu de l’espace militant et a fini par l’envahir tout entier, jusqu’à la stérilisation. Imagine-t-on de l’extérieur ce que la vie militante peut enfermer de pusillanimité? Imagine-t-on l’espèce de mortification qui gagne, lorsque jour après jour seule la répétition infinie du credo moralisateur tient lieu à la fois de projet, de programme, de stratégie, de justification pré et post-électorale. Dans les milieux de gauche on psalmodie des bons sentiments et des revendications comme d’autres récitent des chapelets. Et après, rien. Ou plutôt si: on recommence. A l’infini.
Imagine-t-on l’énergie et le temps perdus en vaines parlotes? Les réunions du PS sont vite devenues pesantes. Le désir s’est mué peu à peu en nécessité puis bientôt en obligation ennuyeuse. Et, finit par émerger le sentiment de devoir se joindre à un groupe de parole qui se retrouve périodiquement pour recommencer toujours le même cycle de dénonciations creuses, celles qui ne débouchent jamais sur rien de positif. Exténuant. Le parti est composé de gens à qui la vie pèse et que rien ne semble pouvoir égayer. Et les mêmes, incapables de s’imaginer en auteur de leur propre ressentiment, l’entretenant avec ferveur, se croient pourtant exemplaires et à ce titre aptes à montrer la voie. Mais comment peut-on apporter quoi que ce soit de positif à quiconque, dès lors que toute sa propre vie n’est un long soupir? Quelle présomption. Dans les rangs du PS «les sanglots longs des violons de l’automne» se font entendre 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Ceux d’un groupe de parole qui se perçoit comme acteur politique mais se contente de sentences morales sur le malheur du monde, et dont l’action politique se limite au dénigrement des gens de droite.
Être ou ne pas être, de gauche: telle est la mesure du Bien
Ce qu’on fait au PS, comme dans toute la mouvance de gauche c’est de l’étiquetage, avec constance et obstination, mais rien d’autre. On jauge autrui. Sans fin on suppute, on soupèse, on juge; puis on étiquette. Tous sont étiquetés selon un critère unique sur une échelle unique. Et cela consiste à évaluer le degré de « gauchitude » des uns et des autres, mais selon des critères inexistants. J’entends par là qu’il n’existe pas de critères explicites, susceptibles de discussion, de mise en débat, de mise en perspective. Rien de cela pour mesurer le degré de gauchitude qui pourtant constitue pour les fidèles l’alpha et l’oméga des qualités humaines, de l’intelligence, du savoir, et même de l’amitié; reste juste la formule magique « être de gauche » fondée sur quelques a priori moraux. Est un type bien, faisant partie du monde du Bien, celui qui ne s’écarte pas du modèle invisible. Fait partie de l’empire du mal quiconque n’est pas conforme au modèle virtuel. «Être de gauche» ou «n’être pas de gauche» voilà la seule question. La conformité à la morale misérabiliste qui tient lieu de pensée en est la mesure; jamais sa propre capacité à mettre en œuvre soi-même ses propres préconisations. Au PS on est exigeant. Mais toujours et exclusivement envers les autres.
Au fond l’étiquette sert de miroir au militant de gauche, qui se voit volontiers sous les traits de Blanche-Neige. Il prétend et croit faire de la politique quand sa motivation cachée essaie surtout d’apaiser sa conscience coupable. Loin de chercher à mettre en œuvre une politique il se contente de pointer du doigt le mal absolu: le capitalisme. D’ailleurs le militant de gauche n’aime pas voir ses dirigeants aux affaires. Il se préfère et les préfère dans l’opposition; à perpète quoi qu’il en dise. L’étiquette dans ce jeu pervers est comme une réassurance permanente de bonne moralité. Elle tient lieu de carte d’identité de citoyen du monde du Bien. Et finalement elle se suffit à elle-même chez des militants qui se piquent de faire de la politique (principe de responsabilité) tout en s’efforçant toujours de se mettre en situation de n’être jamais en situation de responsabilité.
* impunément, dans le sens où sa rhétorique obsolète la tient éloignée du pouvoir politique (législatif, exécutif) ce qui loin de l’attrister la réjouit profondément. Mais en silence. On sait se tenir et donner le change.