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Vu de l’intérieur
Le PS n’est pas un parti politique

Écrit le 19 novembre 2008 par Jiceo

Huit ans de cotisation au PS, huit ans de bavardage stérile, le prix d’une leçon de réalisme : le PS n’est pas un parti politique. Et, la gauche française n’est pas prêt de gagner. Elle n’en a d’ailleurs pas envie. Il lui faudrait pour cela élaborer un projet politique en prise directe avec les contingences terrestres. Et ça, elle n’en veut pas. Certes, elle sait jouer à la conquête du pouvoir. Elle en maîtrise les codes, les tics et le langage. Mais elle ne veut pas des responsabilités associées.

Congrès de Reims ou pas, le cirque continue. Oui, mais tout le monde (militants, journalistes…) fait semblant de croire que le problème du PS est un problème de leadership, que le spectacle n’est qu’un combat de chefs. Rien n’est plus faux. Cela n’est que la surface des choses, à l’instar de l’océan qui se laisse voir comme un reflet scintillant jeté sur des gouffres sombres. Mais, la surface de l’océan n’est à chaque instant que la résultante des forces qui lui donnent vie (soleil, courants, marées, vent, ressac…) comme la direction du parti n’est que la résultante des forces internes qui le constituent. Et le problème du parti socialiste n’est pas un problème politique, ce n’est pas un problème d’organisation. C’est un problème culturel, un problème de représentation du monde. Le militant du PS c’est Don Quichotte qui se voudrait homme d’État, mais sans descendre de sa mule, sans mettre les pieds et les mains dans la boue de l’action terrestre. Impossible. Boire le nectar enivrant de la morale ou conduire le char de l’État, il faut choisir.

Nombreux parmi les gens de gauche, adhérents ou sympathisants ne sont pas des acteurs politiques, quoi qu’ils disent d’eux-mêmes. Ils adorent les campagnes électorales, les grands meetings où l’on vibre aux bons mots censés clouer au pilori l’adversaire. Ils ne se lassent pas de manifester « contre », forcément « contre » et de brocarder tous ceux qui n’ont pas l’intelligence de penser comme eux. Ils se délectent le mercredi des séances de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, trépignant de bonheur chaque fois que, croient-ils, le coup porté par l’un des leurs va clouer le bec au gouvernement. Ils tombent en pâmoison devant « Les Guignols » dès que Nicolas Sarkozy entre en scène.

Voilà l’horizon politique de la culture (dominante) de gauche. La politique n’est pas le lieu légitime de l’affrontement entre des vérités à jamais partielles et provisoires. Dans la culture (dominante) de gauche la politique est ce lieu de pouvoir occupé (usurpé serait plus juste) par la droite (incarnation du mal) qu’il convient de déloger pour qu’advienne, ipso facto, le bien ; car c’est à partir de là que va s’enraciner puis rayonner sur la terre entière la future société idéale, parfaite, achevée. Même s’il n’est plus explicite, le mythe du grand soir demeure l’arrière plan métaphysique de la pensée de « gôche ». Dans cet univers mental la droite est une survivance illégitime du passé. Sa dissolution naturelle dans la future société parfaite signera le salut de l’humanité.

La politique oui, mais dans l’opposition

Mais curieusement elle est vivante elle, la droite, puisqu’elle accepte de déployer sa vivacité dans la contingence du monde tel qu’il va ; vivacité justement conçue comme une composante de cette contingence, comme l’expression d’une subjectivité en acte. Alors que la pensée de « gôche » est incapable elle de se penser comme subjectivité. Elle se croit essence en devenir, et du coup ne peut se résoudre à la confrontation d’égal à égal avec les pensées de droite.

Elles adorent la politique nos grandes âmes de gauche ; oui mais dans l’opposition, état naturel sous lequel s’identifie instinctivement la gauche française. En revanche elles la supportent mal lorsque les partis de gauche sont en charge de l’appareil d’État. Leur image se brouille à leurs propres yeux puisque la caractéristique principale du travail gouvernemental, dans une démocratie, est de composer en permanence avec la diversité des intérêts, avec l’impondérable, avec l’incertain, avec l’imprévu. Bref le gouvernement, enserré dans la contingence du monde terrestre, transige sans cesse. Or, «l’homme de gôche» lui ne transige pas. C’est un saint. Voilà son drame.

La conscience morale du monde

Au fond, «l’homme de gôche» se voudrait la conscience morale du monde. Et rien d’autre ; surtout rien d’autre. Il ne peut s’imaginer que dans le beau rôle, celui de prescripteur, mais prescripteur irresponsable, comme il se doit ; la morale seule est noble. Toujours assurée d’une forte cohérence interne car jamais prise en défaut sur ses intentions, quand l’action quotidienne est vile car jamais assurée des résultats promis et escomptés.

Chez les gens de «gôche» on redoute la victoire électorale autant qu’on vénère la posture morale, toujours victorieuse elle, par essence ; d’où la prédilection pour les stratégies perdantes. Gagner les élections expose à devoir rendre des comptes, et pas nécessairement conformes à ceux présumés. Aussi, dès lors qu’une possibilité de victoire s’ouvre dans l’enchevêtrement des contingences, de subtils mécanismes de défense éclosent en contre-feu. Un des arguments favoris qui resurgit régulièrement émarge encore au registre de la sempiternelle morale : «Plutôt perdre [les élections] que perdre son âme.» Avec ça accroche-toi bonhomme ! Assurance tous risques contre tous les échecs électoraux, toujours justifiés par avance. Aucun risque d’être pris en défaut sur ses promesses. Aucun risque de se découvrir un peu de cambouis sous les ongles. Et la morale sera sauve, immanquablement. Celui qui ne fait rien ne fera jamais rien de mal ; et restera toujours propre sur lui.

Stratégies d’échec

De subtiles stratégies d’échec sont cultivées, comme une thérapie continuelle sans laquelle le château de cartes de la société idéale, dont cependant on suppute confusément la fragilité, s’écroulerait irrémédiablement. Elles sont réactivées en permanence comme s’il importait pour leurs adeptes avant tout, de préserver leur être dans sa pureté originelle, elle-même promise à l’éternité de la future société parfaite, lorsque la parenthèse du monde corrompu aura été refermée ; et dans cette attente prophétique d’éviter toute souillure morale. Là est le cœur de la tragédie qui paralyse la gauche française : sa culture du refus d’accepter comme fondement de la pensée et de l’action (politiques), les vicissitudes du monde tel qu’il va ; propédeutique au rejet chronique des responsabilités effectives. Posture commode pour des militants. Leur conviction d’incarner la perfection morale leur interdit la possibilité de l’échec. Or s’engager dans l’action (au-delà du verbe) c’est reconnaître cette possibilité de l’échec comme constitutive de l’action.

L’action publique ne serait acceptable pour eux qu’assortie d’une immunité plénière. On voudrait le pouvoir sans la responsabilité des actes et de ses conséquences ; on voudrait la capacité de décision sans l’incertitude du résultat. Définition de l’impuissance. Alors au nom de l’idéal et pour survivre dans un monde hostile on s’offre des vacances perpétuelles dans les nuages. A rêvasser sans fin une société parfaite et achevée, qui jour après jour pourtant résiste farouchement à sa mise en œuvre terrestre, on se capitonne un nid dans l’utopie. Rien d’autre. Position inexpugnable assurément. Mais, se rêver acteur et se réveiller prêcheur, quel cauchemar ! Mieux vaut ne pas se réveiller. La gôche c’est la belle au bois dormant qui attend la délivrance. L’attente passive, destin tragique pour un parangon de vertu politique.

Le PS n’est pas un parti politique. C’est une ligue de vertu. Les militants de « gôche » savent toujours ce qu’il faut faire : mais c’est toujours ce que les autres doivent faire. Ou plutôt ce qu’ils auraient dû faire, car naturellement, rien de ce qui est fait ne convient. Jamais. L’opposition ça se cultive, au jour le jour. Ministre, préfet, inspecteur d’académie, maire… sont dans leur bouche des quasi synonymes d’incapable. Le sarcasme souvent tient lieu d’analyse politique. Chef d’entreprise est quasi synonyme d’escroc. Le mépris hautain du « fric » souvent tient lieu d’analyse économique.

Les accents toniques de la démagogie

Mais me direz-vous, les dirigeants, les élus du parti ne tiennent pas ce langage-là. Assurément lorsqu’ils travaillent en qualité d’élu avec tout ce que le pays compte de forces vives. Mais dès le retour au bercail, en professionnels rompus au double langage, ils retrouvent les accents toniques de la démagogie, sans effort. Aliénant atavisme. Si bien que, un quart de siècle après l’élection de Mitterrand, les perceptions n’ont pas beaucoup évolué. On pouvait pourtant espérer que devenu parti de gouvernement, le PS développerait une culture de parti de gouvernement ; espérer que par la force des choses il renforcerait sa cohérence interne en rapprochant son discours de ses pratiques. Et que cette dynamique-là amorcerait enfin l’entrée de la France dans l’univers dédramatisé de la démocratie moderne. Caractérisée par la prééminence de deux grands partis, elle tire sa force de la reconnaissance par l’un et l’autre des fondations sur lesquelles est assis le progrès social : le développement économique. Ce qui pré-suppose une pensée économique ; inexistante à gauche. Du coup, la pensée de gauche n’est ancrée sur rien. Elle dérive donc au gré des sautes de vent.

Au fond, ce qui bloque la gauche française, c’est une métaphysique de pacotille : la quête de la société parfaite, définitivement apaisée, définitivement débarrassée des conflits d’intérêts et des confrontations d’opinions, définitivement bonne et généreuse, essentiellement bonne et généreuse. Le fantasme de la table rase prélude à la fin de l’histoire. Sous d’autres cieux idéologiques cela s’appelle le paradis. Une métaphysique qui engloutit justement cette coupure créatrice entre le monde tel qu’il va et le monde tel qu’on le rêve. Étouffée par la métaphysique du bien-être et du bonheur universels (administrés par l’État cela va de soi), la pensée n’opère plus par confrontation entre deux registres qu’elle met en relation dynamique mais par simple substitution d’un monde idéalisé, immobile, au monde tel qu’il va, chaotique. Pensée magique qui s’offre le luxe de nommer « action politique » une rêverie indolente. Et qui crée des frustrations à la hauteur des attentes implicites jamais satisfaites. Comme si la pensée tentait de ramener sur terre l’inaccessible étoile. Destin trivial pour notre précieux guide dans le chaos de la nuit, réduite à l’état de réverbère au bout de l’avenue, au petit matin blême, lendemain du grand soir.

Cette vieille culture politico-romantico-littéraire

Le PS n’est pas un parti politique, malgré l’illusion qu’entretient son nom. Pour Mitterrand il fut le tremplin d’une ambition personnelle, ce qui en soi n’a rien de répréhensible. L’illusion a tenu au fait que sa riche personnalité, d’homme pétri de cette vieille culture politico-romantico-littéraire, lui a permis de donner le change aux militants en leur laissant croire qu’il servait leurs fantasmes. Quand il n’a fait que ce que fait tout homme d’État dans une démocratie : de la politique au jour le jour soumise aux contingences d’un monde complexe, mouvant, incertain (hormis le vote symbolique de la suppression de la peine de mort, et encore puisqu’il a précipité une évolution en cours qui travaillait la société française depuis des années).

Mais, Mitterrand à part, à chaque fois que la gauche a un candidat en position d’être élu président de la République, ce sont les gens de gauche qui s’ingénient à saboter sa candidature ou son élection. Il est vrai que ni Michel Rocard, ni Lionel Jospin, ni Dominique Strauss-Kahn ne sont du genre à promettre l’avènement du paradis terrestre. Et ça c’est un handicap rédhibitoire dans la culture de gôche. Seule garantie d’une morale immaculée : l’opposition perpétuelle.

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Un commentaire sur “ Vu de l’intérieur
Le PS n’est pas un parti politique”

  1. Greg dit :

    20/20. Rien à redire.
    Greg

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