Georges Ugeux
« Les paradis fiscaux et la crise financière »
Ces quelque lignes sont nées de la lecture d’un article de Georges Ugeux « Les paradis fiscaux et la crise financière », ou plus exactement de la lecture des réactions de lecteurs. L’exposé de l’auteur est pertinent car lucide sur les limites de l’humaine nature: «chaque fois que se ferme une porte, plusieurs fenêtres s’ouvrent» souligne-t-il. Une donnée d’expérience pour tenter d’expliquer les limites auxquelles se heurtent les politiques de lutte contre les paradis fiscaux. Limites humaines. Les réactions de certains lecteurs sont étonnantes; façon de parler. Réactions humaines.
Étonnants humains que nous sommes, scotchés à nos représentations, tellement persuadés que nos représentations incarnent la substance du monde et, l’incarnant, l’épuisent évidemment. Le monde est mauvais. Mais son cours -le sens de l’Histoire?- est d’aller vers le bien. Le règne du bien adviendra dès que le mal aura disparu. La solution? Supprimons les malfaisants. CQFD. Voilà pourtant une vision morbide de la vie puisque son idéal implicite est une société achevée, stable définitivement, bonne intrinsèquement (le mal a disparu); une société immuable. Assuré d’incarner le bien on assène son credo comme une évidence. Puis, perché sur ce piédestal moral, on accuse « les politiques » d’être incapables de « nous faire un monde » à l’image que nous nous en faisons du haut de ce petit idéal.
La politique, partie visible de la société
Cette façon de se décharger soi sur «nos hommes politiques machiavéliques» (Silouane) est toujours une source d’étonnement, comme si l’activité politique n’était pas la partie visible des sociétés humaines dans la multiplicité de leurs manifestations toujours contradictoires. La politique n’est pas séparée de la société. Elle est le révélateur des virtualités à l’œuvre en son sein, ici et maintenant. Le danger de l’iceberg tient justement à ce que dissimule son apparence propre et nette, juste sous la surface. Le danger de la politique, partie visible de la société, tient à ce qu’elle dissimule sous la surface « des grands principes et des grands sentiments »: les faiblesses humaines, qu’elles se nomment mégalomanie, égolâtrie, cupidité, crédulité, jalousie, pusillanimité… bref les petites turpitudes et les grandes, celles de tous et de chacun. Chacun à son échelle.
Les sociétés humaines sont en permanence travaillées par des dynamiques centripètes ET des tendances centrifuges. Toutes les sociétés humaines. La politique c’est le miroir grossissant de la société, de ses contradictions. Sinon la démocratie n’existe pas; n’a pas de nécessité. La politique c’est le lieu où se cristallisent les réussites, les avancées, mais également les échecs, voire les reculs d’une société vivante ; et au final le lieu aussi où se révèle son inertie, dans ses multiples modalités. Les politiques ce n’est donc pas « eux ». Trop facile. Les politiques c’est « nous » tout autant. Nous les électeurs qui nous déchargeons, et de notre impuissance à réduire le monde à l’idéal étriqué que nous avons en tête et de la culpabilité qu’elle induit, en assignant à « nos élus » le rôle de bouc émissaire chargé de porter le fardeau de notre honte.
Le grand saut de l’enfer au paradis
Cette façon d’invoquer «la disparition des paradis fiscaux» (BeeHuman) au nom de la morale, «l’humanité a plus à gagner en éradiquant ces organismes parasites qu’à les laisser perdurer» c’est bien, c’est beau, c’est grand. C’est bien dit. Et après? Comment fait-on pour réussir à «éradiquer» et s’assurer qu’une fois fermées les portes des paradis fiscaux connus, d’autres ne vont pas aussitôt s’ouvrir ailleurs? Les fraudeurs fiscaux une fois leurs repaires habituels fermés, soudain dévorés par la culpabilité vont venir s’agenouiller et demander pardon? Et après c’en sera fini de la fraude? Après eux, qui auront été la dernière génération des hommes maléfiques, après eux se succèderont pour l’éternité des générations d’hommes bons. Le pourfendeur du mal se garde bien cependant de nous préciser comment s’opère le saut qualitatif; le grand saut définitif de l’enfer au paradis.
La conclusion d’ailleurs est renversante. «Les politiques sont-ils seulement conscient de cela ?» Bof, à mon humble avis ils le sont, et bien davantage que le commun des mortels y compris ceux qui se croient bien informés. Ils ont juste en plus une idée concrète des limites de l’action politique. Il suffit de se remémorer les vagues de protestation qui s’élèvent systématiquement depuis des décennies chaque fois qu’un projet de réforme de la société française voit le jour. Et ça « les politiques » le mesurent concrètement.
Bonjour,
« Cette façon de se décharger soi sur «nos hommes politiques machiavéliques» (Silouane) est toujours une source d’étonnement, comme si l’activité politique n’était pas la partie visible des sociétés humaines dans la multiplicité de leurs manifestations toujours contradictoires. »
Elus aux plus hauts postes pour leur supposées compétences et qualités, ils devraient être exemplaires mais ce n’est pas souvent le cas.Je me décharge pas comme on pourrait le penser, je n’ai plus aucun espoir. J’espère me tromper.