Contre le rapport « Balladur »…
… La ligue des tribus gauloises

Écrit le 7 avril 2009 par Jiceo

Quelle unanimité contre le rapport « Balladur » ! Quel consensus ! Gauche et droite au diapason : les chefs des tribus départementales se réconcilient sur le dos de l’État. Et la République dans tout ça ? Un agrégat de 95 tribus gauloises. Chacune envoie ses représentants à Paris (députés et sénateurs) pour en soutirer le maximum de subsides qui serviront la gloire de son chef, môssieur le président du Conseil général. Comme s’il suffisait de se proclamer élu de la République pour incarner l’efficacité et le désintéressement.

Ce conservatisme des conseillers généraux est consternant. Sur le fond il est inquiétant parce que en tant que membres de partis politiques ces mêmes élus soutiennent la nécessité pour le pays de s’adapter en permanence aux évolutions du monde. Mais on voit bien que la pierre d’achoppement est ailleurs. Les présidents de Conseils généraux tentent surtout de préserver leur petit pré carré, les indemnités qu’il justifie, leur petite notoriété associée et, le train de vie qu’ils entretiennent dans leurs palais départementaux, aux frais de la princesse Marianne (cabinets pléthoriques, services de communication boursoufflés, salons de réception, inaugurations et réceptions à foison, voiture avec chauffeur…). Multipliez par 95 départements métropolitains et vous aurez une idée des dépenses de prestige que s’autorisent nos chers* notables.

Irrésolution bien française

L’armée des tribus gauloises donc, mobilise contre le Paris des technocrates. Sauf qu’il s’agit ici, le rapport « Balladur », d’un rapport politique, rédigé par des politiques. Les technocrates ne sont pas encore en piste. Il faut les craindre en effet. Mais dans la mise en pratique. On n’en est pas là. On n’en est qu’au stade d’une réflexion stratégique : adapter les centres de décision français aux réalités du monde vivant en tenant compte de notre appartenance à l’Union européenne, de la globalisation de l’économie, de l’évolution des technologies… On en est au stade des propositions élaborées par des politiques. Et en réponse, une fois de plus nos chers* Conseillers généraux nous jouent la partition de la vertu outragée. Dévoués cœur et âme au service de la République, leur abnégation est bafouée. L’État les mépriserait. Ils ne manquent pas d’argument en apparence ; celui de la proximité notamment, qui serait bénéfique en soi. Mais sa mise en relation avec les pratiques effectives laisse planer quelques doutes sur son bien fondé. A voir donc.

L’État les mépriserait, nos élus Cantonniers (un par canton) et notamment les Chefs cantonniers (un par département). L’État qu’ils vilipendent sans retenue ne leur donnerait pas les moyens de leur politique ; l’État dans la ligne de mire comme toujours. Cette irrésolution bien française qui consiste à réclamer toujours plus d’État et en même temps à fustiger toute manifestation tangible de l’État**, cette irrésolution est prospère. Comme toujours car tellement commode ! Et si elle est particulièrement audible dans la cité (syndicats, partis politiques, associations…) elle sévit également, sur le même mode, chez les notables Cantonniers.

Même pas besoin d’une nouvelle loi

Un seul exemple : « l’État ne fait rien pour diminuer le nombre de tués sur les routes » fut un leitmotiv prégnant des années 1980-90, émis par des associations de victimes d’accidents de la route, des associations de prévention routière… et repris largement dans les médias. Au début des années 2000 un ministre de l’Intérieur se mit en devoir de s’attaquer au problème. Même pas besoin d’une nouvelle loi. Juste faire appliquer les lois existantes de la République, notamment quelques articles du code de la route demeurés lettre morte (ou quasiment) jusqu’alors. Et, comme il se doit en France, l’État qui était fustigé pour « ne rien faire contre » était dès lors fustigé, en la personne du ministre de l’Intérieur, pour « sa politique répressive ».

Eh bien, la pusillanimité des citoyens ordinaires trouve une légitimation implicite chez leurs élus des collectivités territoriales***. Loin d’être exemplaires ceux-ci en rajoutent dans le registre démagogique, toujours prompts à fustiger « l’État qui ne tient pas ses engagements » lorsqu’ils coiffent leur casquette de président de Conseil général ou Régional ; élus qui font semblant d’oublier que l’État est exsangue et qu’il ne peut indéfiniment redistribuer davantage qu’il ne collecte. Élus irresponsables, les notables locaux sont à l’image des électeurs-citoyens. L’État doit subvenir à tout. Mais on ne veut surtout pas savoir d’où il tire ses ressources. Quant à en évaluer les résultats, l’idée, l’idée seulement, n’existe pas.

Légitimation silencieuse

En un mot : au crédit du président du Conseil général les réalisations chèrement* inaugurées. Au débit de l’État ce qui ne marche pas où pire, ce qui coûte mais sans ouvrir à une grande visibilité médiatique, comme la politique sociale. Notables de gauche comme de droite connaissent la musique, cette musique-là. On accuse l’État de ne pas tenir ses engagements mais on ferme les yeux et on garde bouche cousue sur le fait que, étant président de Conseil général ou de Conseil régional on est également membre d’un parti de gouvernement, celui-là même qui fait voter les lois au parlement. Ce qui revient lorsqu’on est président d’une collectivité territoriale à accuser ses propres amis politiques au gouvernement de ne pas tenir leurs engagements. Trop facile. Impossible de gagner en permanence sur tous les tableaux. On ne peut pas invoquer la nécessité d’adapter l’État aux évolutions du monde sous la casquette d’un parti politique et en refuser les conséquences sous la casquette de président de Conseil général.

En outre, c’est une sorte de légitimation silencieuse de cette maladie française qui consiste à se retourner vers l’État à la moindre difficulté. Si les notables politiques s’autorisent à jouer cette partition, pourquoi les citoyens ordinaires devraient-ils se montrer plus responsables que leurs élus ? Les Français ne parviennent pas à s’imaginer sous d’autres traits que ceux de victimes. Quand ce n’est pas de la mondialisation c’est de l’État, quand ce n’est pas de l’Europe c’est du capitalisme. Les conseillers généraux ne sont pas en reste à oser se présenter en victimes de l’État. On peut feindre d’oublier que le rapport Balladur ne tombe pas du ciel. On peut passer sous silence le fait que le rapport est né des travaux d’une commission à laquelle ont participé des élus de toutes tendances politiques ; qu’il n’est pas né de la lubie d’un seul. On peut faire semblant d’ignorer d’où il vient. Mais on ne pourra pas ignorer indéfiniment les questions qu’ils posent, à propos de vieux problèmes. Mais comme toujours en France on repousse les décisions jusqu’à se retrouver dos au mur. C’est vrai du financement des retraites, comme ici de la réforme des instances de décision politique.

Quelles compétences propres ?

Quelles compétences propres les Conseils généraux ont-ils la capacité de développer ? Une politique de développement des transports (routiers, ferroviaires, maritimes, a fortiori aériens…) ne se conçoit pas à l’échelle du département. Que des élus locaux (conseillers municipaux) d’un département (ou d’un territoire plus restreint), par exemple se regroupent en syndicat pour faire valoir leurs attentes en matière de transport auprès de l’autorité concernée (État ou Région), dans le cadre d’un projet précis et ciblé, oui pourquoi pas ; mais dans une structure provisoire limitée dans l’espace et dans le temps. Comme peuvent le faire les élus des communes touchées par une marée noire, le temps que durent les procédures judiciaires qui conduisent à l’indemnisation. Mais il n’est pas besoin pour cela d’assemblées délibératives permanentes qui entretiennent des armées de fonctionnaires au service d’un châtelain départemental.

Quant à la compétence concernant les collèges, le territoire départemental est là-aussi trop étriqué. Une politique cohérente, offrant davantage de souplesse, de capacité d’adaptation, confierait l’ensemble des locaux de l’enseignement secondaire (collèges et lycées) aux Conseils régionaux. Et encore mieux, elle leur attribuerait toute la politique scolaire, y compris la gestion de tous les personnels. J’ai conscience évidemment du caractère hérétique du propos. Seule resterait à l’Etat la définition des objectifs qui tiendrait en quelques pages. Le ministère de l’Education serait réduit à un ministre, un cabinet et quelques secrétaires.

Et comment justifier l’existence d’assemblées délibératives pour mettre en pratique des politiques (sociale notamment) définies par la loi ? Y a-t-il besoin d’une assemblé délibérative, avec les moyens de fonctionnement qu’elle requiert pour appliquer la loi sur l’autonomie des personnes ? Y a-t-il besoin d’une assemblée délibérative pour organiser l’attribution de l’APA quand les modalités sont prévues par la loi ? Un service départemental sous l’autorité du préfet en serait le prolongement naturel.

Il est d’ailleurs amusant de rouvrir nos journaux pour constater à quel point les présidents de Conseils généraux, qui nous jouent l’air de la qualité découlant de la proximité, de constater à quel point ils n’ont aucune autonomie dans leurs choix. Non seulement ils mettent en œuvre des politiques votées au parlement (lois sociales) mais en outre ils s’offusquent que l’État ne fasse pas suivre les budgets lorsque les services sont décentralisés.

Distinguer département et Conseil général

Que le département ait quelque légitimité à vivre en tant qu’unité administrative décentralisée chargée de la mise en œuvre des politiques de l’État, des Conseils régionaux, c’est probable. Selon les domaines de compétence cela mérite discussion. Unité administrative peut-être. Mais rien aujourd’hui ne saurait légitimer l’existence d’assemblées délibératives (95 rien qu’en métropole tout de même) à ce niveau quand on les ajoute à ce qui co-existe : communes, communautés de communes ou urbaines, [Conseils généraux], Conseils régionaux, Assemblée nationale, Sénat, Parlement européen… Rien sinon d’offrir une sinécure à quelques égos surdimensionnés.

Réveillés en sursaut, les notables locaux battent le rappel dans les tribus. Tirés de leur routine, les élus qui se réclament pourtant haut et fort de la République s’ingénient à enterrer la République. Ils sont touchants par leur unanimité ces notables élus professionnels. La République fut gaullienne, un emplâtre temporaire qui masqua un temps le fond gaulois du pays. La France est un agrégat de citadelles gauloises… dont les villageois et leurs chefs s’abritent sous une rhétorique de solidarité des territoires lorsqu’ils sollicitent des aides de l’État et jouent les victimes innocentes lorsque l’ambition de leur chefs trouve ses limites pratiques.

Autrement dit,  au-delà des apparences, allons voir ce qui se cache sous la surface. En l’occurrence distinguons le département du Conseil général. Le département peut avoir sa légitimité propre, comme administration de proximité justement. Alors que le Conseil général est une assemblée délibérative anachronique, sans pouvoir, parce que sans domaine d’action légitime. Hormis celui d’entretenir à grands frais quelques bataillons de notables.

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* cher(s) : sens ambivalent, possiblement intentionnel.

** cette pusillanimité française se manifeste aussi bien chez les citoyens alpha et lambda que chez les élus qu’ils se donnent. Et que ces élus disposent d’un mandat local seul, ou combiné avec un mandat de sénateur ou de député, ne change pas grand chose à l’affaire. Ceux-ci sont capables, en professionnels de la politique, de voter les lois de décentralisation à Paris et, sans état d’âme, de pointer du doigt l’incurie de l’État en retrouvant leur trône départemental. Trop facile.

*** élus des collectivités territoriales qui sont eux-mêmes parlementaires, ce sont toujours les mêmes qui jouent sur tous les registres, s’autorisant à être juge et partie dans toutes les situations.

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