De grâce, arrêtez M. de Villepin ; vous faites pitié
• De grâce arrêtez, monsieur de Villepin ; vous faites pitié. Et la pitié est le pire sentiment que puisse susciter un homme public. Je vous ai vu hier soir encore (mardi 20 octobre) au sortir de la salle d’audience vous précipiter sur les micros et je vous ai entendu vous épancher encore sur votre malheur dans le registre que vous croyez devoir tenir, celui de victime. Mais en agissant ainsi vous renforcez vos détracteurs dans leur sentiment. Vous suscitez le malaise tant votre discours est déconnecté des motifs qui vous ont conduit sur le banc des prévenus.
En vous regardant et en vous écoutant on croirait entendre un étudiant quelconque à l’oral de Sciences-Po, ânonner tant bien que mal quelques généralités apprises par cœur faute d’avoir quoi que ce soit de consistant à dire sur le sujet. Le tragique nait de cette distorsion qui vous rend pathétique: « Je veux croire que le procureur a exprimé aujourd’hui devant le tribunal son intime conviction, il n’a pas dit la réalité des faits, je ne crois pas non plus qu’il ait dit la vérité du droit ». Quand on n’a rien à dire sur le fond il est plus sage de rester coi, ou de déclarer faire confiance à la justice de son pays pour démêler le vrai du faux, a fortiori si comme vous le clamez vous êtes innocent. Et d’attendre son heure. Et s’en tenir à cela.
Vous n’êtes pas crédible dans le rôle de victime
Pour l’heure vous n’êtes pas crédible dans le rôle de victime. Nul citoyen ordinaire ne peut imaginer qu’un ancien premier ministre se retrouve sur le banc des prévenus par le seul caprice d’un homme. Nul justiciable ordinaire ne peut croire qu’un ancien premier ministre se retrouve sur le banc des prévenus suite à des réquisitions prises par un procureur au vu d’un dossier d’instruction vide. Ce n’est pas crédible. Si vous ne concevez pas cela (la perception qu’ont de ces choses-là les citoyens ordinaires, nous tous qui n’avons pas de relations) alors vous n’avez rien à faire en politique.
En vous abstenant de tout commentaire vous retrouverez votre dignité d’homme. Cet homme imparfait qui comme quiconque a pu se laisser dominer par ses passions (humain, trop humain) mais qui est prêt à se racheter, notamment en acceptant de bonne grâce le parcours judiciaire. C’est ainsi qu’un homme public, qui par surcroit s’imagine volontiers en leader, grandit et se grandit. A fortiori s’il se présente en serviteur de l’État.
Vous nous ramenez sans cesse à vos propres faiblesses
Au lieu de quoi vous nous ramenez sans cesse à vos propres faiblesses. » Nicolas Sarkozy avait promis de me pendre à un croc de boucher, je vois que la promesse a été tenue » avez-vous encore déclamé hier soir. Voilà une tentative de falsification (une de plus?) qui sent l’aveu. Nicolas Sarkozy n’a jamais promis de vous (Dominique de Villepin) pendre à un croc de boucher, mais de tout faire pour « pendre à un croc de boucher l’auteur de cette déstabilisation. » Il ne désigne personne nommément. Que vous-même vous sentiez visé ne peut être imputé qu’à votre conscience agitée. Un conflit que vous seul pouvez régler en votre for intérieur. Mais de grâce, sans vous poser en victime en demandant au public de se substituer au tribunal. C’est moche comme procédé.
Certes, même si ce n’est qu’une image, l’évocation d’un croc de boucher pour punir un fautif n’est pas d’une élégance folle. Mais elle vient en réaction à d’autres actes, éventuellement les vôtres. Elle n’est pas première. Et, si les faits en cours de jugement sont avérés, convenez que le fait de se sentir l’objet d’un projet de déstabilisation majeur par fabrication et usage de faux, convenez que cela puisse engendrer un sentiment de colère.
Vous nous ramenez sans cesse à vos propres faiblesses quand vous déclarez: « Nicolas Sarkozy avait promis… je vois que la promesse a été tenue ». Précisons tout de même que ce que vous appelez « promesse tenue » est sorti du réquisitoire du procureur, qu’il ne s’agit pas du jugement. Faut-il avoir mauvaise conscience pour devancer ainsi la décision du tribunal?
La présidence de la République en héritage
Décidément, depuis le début du procès vous essayez de nous faire croire que vous êtes la victime de l’obsession présidentielle, quand il apparait de plus en plus clairement que c’est l’inverse. C’est votre obsession de Nicolas Sarkozy (de sa réussite politique?) qui vous perd. Vous vous imaginiez président de la République de droit, après Jacques Chirac, comme un héritage légitime qui ne se discute pas. Vous vous imaginiez que le RPR devait vous tomber dans les bras prêt à servir. Vous vous imaginiez que la politique est une carrière de droit pour les génies sortis de l’ENA, et que le suffrage universel n’est qu’une formalité juridique pour légitimer un processus préparé dans l’ombre entre experts. De ces experts par exemple qui conseillent une dissolution de l’Assemblée nationale, aux conséquences politiques catastrophiques, et qui n’auront jamais à assumer la responsabilité des conséquences de leur sens politique miteux. De ces experts, tellement protégés de la fureur du monde par l’atmosphère feutrée des cabinets présidentiel et ministériels qu’ils n’ont jamais imaginé que la politique est un combat. Et qu’il faut mouiller sa chemise pour le gagner. De ces experts pour qui la politique est juste une carrière à gérer entre gens du même monde. De ces experts qui confondent diplôme et compétence, cette maladie iatrogène de la société française.
Vous nous ramenez sans cesse à vos propres faiblesses puisque au moment des faits, alors ministre vous concevez quelque ambition présidentielle. Mais plutôt que d’affronter loyalement un concurrent coriace vous vous laissez séduire par des manigances visant à sa mise à mort médiatique. On sait l’ampleur que peut prendre une campagne de presse sur des sujets aussi sensibles que l’argent, à propos de comptes domiciliés à l’étranger par surcroit. Fondée ou pas, devenir la cible d’une telle campagne c’est être exposé en pleine lumière, comme un quartier de viande livré à la convoitise du public au-dessus de l’étal du boucher. Et, vous y plongez avec délectation dans ce dessein parce que vous haïssez votre concurrent. Cet usurpateur ne fait pas partie du sérail. Il n’en a ni les manières, ni le vocabulaire. Il ne manie pas encore l’hypocrisie avec le brio qui sied aux gens bien nés. Et vous y plongez sans scrupules car votre vieille culture vous laisse encore imaginer que le secret des cabinets ministériels est une assurance tout risque, judiciaire notamment. D’autant que votre longue fréquentation de Jacques Chirac n’a pu que vous conforter dans ce sentiment.
Vous nous ramenez sans cesse à vos propres faiblesses par vos déclarations théâtralisées. Elles vous rendent pathétique. Elles suscitent la pitié, le pire sentiment que puisse inspirer un homme public. A étaler avec complaisance votre désarroi vous montrez au grand jour que vous n’avez pas la force de caractère qui convient à un homme d’État. Prenez-en acte et tirez-en les conclusions.
Je ne sais rien de plus sur le fond de l’affaire que ce qui transparait dans les journaux. L’interprétation que fait le procureur Jean-Claude Marin de votre rôle dans l’affaire est plausible. Les juges décideront. En attendant de grâce, travaillez à retrouvez votre dignité. Si ce n’est pas pour vous, faites-le pour nous, citoyens ordinaires.