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Les élus doivent apprendre à dire « non »
Les Français doivent apprendre à dire « oui »

Écrit le 22 mars 2010 par Jiceo

Pourquoi les commentaires relatifs à cette échéance électorale, l’élection des Conseils régionaux (14 et 21 mars 2010), échapperaient-ils aux délices infinis de la démagogie ? Celle habituelle et reconnue des élus, mais celle aussi tapie dans l’ombre, ou plutôt entre les lignes, des « observateurs politiques » professionnels. Les journalistes s’y abandonnent avec autant de facilité que les politiques, quand bien même ils se croient immunisés. Observer le monde extérieur ne rend pas forcément lucide sur soi. Il n’y a pas de lien mécanique entre les deux. Je dirai même que la démagogie politique prend corps par les relais médiatiques qui lui donnent un semblant de vérité. Les journaux regorgent ce matin encore de leçons et admonestations adressées aux élus.

Restons-en pour l’exemple à cet éditorial de Michel Urvoy dans Ouest-France (lundi 22 mars) : Grande défaite et petit chelem. Tant qu’il s’en tient au jeu politique institutionnel l’auteur demeure clairvoyant : «Les résultats des régionales, s’ils valident le bilan des majorités socialistes sortantes, doivent être examinés avec lucidité : derrière le trompe-l’œil des pourcentages et d’une abstention toujours forte, la gauche doit beaucoup sa victoire à la défaite de la droite. Ce qui signifie que gagner les régionales n’est pas une assurance pour la présidentielle.» Parfait. Puis il tente de passer au registre supérieur ; l’explication politique : «Ce résultat, on en connaît les causes. La question est désormais de savoir si les politiques sauront retrouver la confiance de citoyens mécontents et, plus grave, désabusés ou indifférents. »

Notons d’emblée l’assurance tous risques que procure l’absence de responsabilité publique : «Ce résultat, on en connaît les causes». Bigre. Félicitations au bienheureux savant pour son extra-lucidité. Dommage que les élus (et les hommes politiques en général) ne soient pas dotés de cette sagacité particulière que les « observateurs politiques » semblent détenir en propre. Le monde est vraiment mal fait. Ceux qui savent ne sont pas en position de faire. Et ceux qui font sont de parfaits incapables. Que faire ? Remplacer les incapables par les compétents, et le monde sera sauvé.

Le vieux passif politique de la gauche française

Mais venons-en au fond. «La question est désormais de savoir si les politiques sauront retrouver la confiance de citoyens mécontents et, plus grave, désabusés ou indifférents» diagnostique le commentateur avant de rédiger son ordonnance : «Il faudrait surtout un gros travail de fond. D’abord, les partis vont devoir se remuer. L’UMP pour entendre l’opinion…» Soit, mais la langue de bois journalistique est aussi délicate que la langue de bois des politiques : « entendre l’opinion », tu parles. On sait bien ce que recouvre l’expression entendre « l’opinion ». C’est entendre que les Français ne veulent pas de la potion que les différents gouvernements tentent de mettre en œuvre depuis belle lurette, et qui consiste à essayer de ramener dans une dynamique commune les dépenses globales et les recettes financières du pays. Autrement dit pour faire simple et aller au bout de l’idée, d’éviter à la France le syndrome grec aux conséquences sociales autrement douloureuses.

Évidemment chacun aimerait entendre une autre musique. Mais à continuer de conforter chez les Français un comportement d’autruche on recule l’échéance ; on ne l’annule pas. L’ensemble du pays, opposition politique et commentateurs politiques réunis, se retrouve dans un soutien démagogique aux protestations de l’opinion. En laissant le gouvernement seul (quel qu’il soit) et en l’abandonnant face à l’opinion on apaise son âme peut-être. Mais on n’assure pas l’avenir. «…Les partis [donc] vont devoir se remuer… Le PS et les écologistes pour s’entendre sur une conception de la croissance, pour imaginer comment relancer le pouvoir d’achat avec des caisses vides ; imaginer une fiscalité qui ne casse pas la reprise ; compter avec Ségolène Royal, forte de son excellent score…». Simple comme bonjour. La quadrature du cercle enfin résolue. C’est comme si c’était fait. Quelques mots y suffisent, n’est-ce pas? Il ne reste plus qu’à appliquer la recette.

La démagogie ici consiste à réduire à un effet rhétorique l’immense et vieux passif politique de la gauche française. Depuis quarante ans celle-ci s’est contentée d’imaginer que l’action politique consiste simplement à concevoir de nouvelles dépenses, en s’exonérant systématiquement de penser leur financement. Elle n’a jamais eu de politique économique, hormis en fantasme, puisque réduite aux nationalisations du vieux Programme commun. Elle a toujours voulu croire que faire de la politique consiste à partager les richesses sans se préoccuper de la dynamique de leur création. Et ça continue. Les présidents de Conseils régionaux et de Conseils généraux se sont fait une spécialité de fustiger « l’État qui ne tient pas ses engagements » lorsque des compétences nouvelles leur sont attribuées ; faisant semblant d’ignorer que l’État est exsangue ; faisant semblant d’ignorer que tout est lié, et que faute de pouvoir augmenter indéfiniment les prélèvements obligatoires il faudra bien les diminuer là, si on veut les augmenter ici.

Or, toute tentative de l’État central de diminuer ses dépenses est combattu par des syndicats de fonctionnaires déconnectés des réalités du monde vivant, et soutenus avec force démagogie par des socialistes qui se comportent comme s’ils ne devaient plus jamais être majoritaires à l’Assemblée nationale ou en charge du gouvernement; comme si la dette du pays ne les concernait en rien. Des socialistes qui semblent avoir trouvé la meilleure façon de faire de la politique jusqu’à la fin des temps (c’est-à-dire faire de la politique sans jamais se salir les mains) : en s’identifiant au rôle de conseiller Régional ou Général ; en réduisant l’action politique pour eux à un rôle d’assistante sociale. Aux élus de gauche le rôle de la bonne mère protectrice qui vient au secours du bon peuple. Aux élus de droite le rôle du père, cette figure de l’autorité qui dans la société traditionnelle ramène l’argent à la maison, et qui doit faire face seul, en période de vaches maigres, aux reproches d’incapacité brandis par les matrones des conseils Généraux et Régionaux. Que de tels comportements existent est une chose. Que leurs auteurs s’imaginent qu’agissant ainsi ils font encore de la politique en est une autre. La dette du pays qui gonfle depuis trente ans c’est l’affaire de tout le pays; pas de quelques-uns métamorphosés en bouc-émissaire.

Les caisses sont vides

En un mot, l’éditorialiste sent bien le diagnostic politique mais il se garde d’en tirer des conclusions politiques pratiques. Avant de «s’entendre sur une conception de la croissance» il faut l’imaginer comme source d’enrichissement du pays ; avant d’imaginer une politique économique il faut en percevoir la nécessité. Ce travail-là pourtant ne semble pas en cours à gauche, pas même amorcé. Puis il suit la droite ligne de sa pensée en sommant la gauche d’«imaginer comment relancer le pouvoir d’achat avec des caisses vides; imaginer une fiscalité qui ne casse pas la reprise». Autrement dit l’auteur a bien perçu l’écheveau des contingences qui rend l’action politique hautement conjecturale. Et l’on voit ici comment le discernement intellectuel s’effondre dans un verbiage creux, une succession de slogans. En caractérisant l’enjeu politique auquel est confrontée la gauche comme une série d’oxymores, l’éditorialiste vient de tracer, à son insu, l’explication de l’échec politique de Nicolas Sarkozy. Les caisses sont vides. La croissance est faible. La crise économique est passée par là. Et si on veut éviter à la France de glisser sur la même pente que la Grèce il faut colmater le tonneau des Danaïdes du budget. Mais il continue d’enfermer les élus et les élus potentiels dans un jeu sans issue. Intenable.

Les élus doivent apprendre à dire « non »…

Pour résumer, l’état du pays n’est pas le problème des politiques et des élus exclusivement. C’est le problème de toute la société; y compris des journalistes à qui il n’est pas interdit de se sentir concerné comme citoyens d’abord, comme acteurs des médias (intermédiaires entre les citoyens et les décideurs qu’ils se sont choisis ensuite) ensuite. Par exemple en ne contribuant pas à exiger des élus des résultats qu’ils ne peuvent obtenir car hors de portée. La démagogie n’est pas l’apanage des seuls politiques, même si la culture de gauche n’a pas besoin des journalistes pour s’y complaire. On a entendu Martine Aubry prendre prétexte de la victoire électorale aux élections régionales pour faire injonction à Nicolas Sarkozy de changer de politique, comme s’il y avait encore quelque marge de manœuvre financière.  Les socialistes seraient nettement plus crédibles s’ils se mettaient en situation d’être élus et de mettre en œuvre eux-mêmes leur propre politique, en expliquant comment ils feront eux à partir de 2012 pour ramener la France sur la bonne voie. Mais la victoire de la gauche aux élections régionales ne garantit pas qu’elle va aborder lucidement les futures échéances présidentielle et législative. Et, libérée des charges gouvernementale et législative elle va pouvoir s’adonner à plein à son passe temps favori: promettre monts et merveilles pour se faire élire ; et une fois élue passer son temps à expliquer que finalement elle ne va pas pouvoir réaliser ce qu’elle avait promis. Tiens ça me dit quelque chose… Bon dieu, mais c’est bien sûr. Il y a eu le 10 mai 1981. On allait « Changer la vie ». Et on s’est retrouvé au tournant de la rigueur, deux ans plus tard, à abandonner honteusement le Programme commun sans jamais le dire. Le mal est ancien et perdure. Rien ne semble avoir changé.

…Les Français doivent apprendre à dire « oui »

La surenchère dans la démagogie ne mène nulle part. Le 21 avril 2002 les électeurs de gauche avaient préféré voir Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle plutôt que Lionel Jospin. Me remémorant la terrible année qui avait précédé ce scrutin où le gouvernement Jospin avait dû encaisser les assauts successifs des corporations et lâcher du lest à chaque fois, j’avais écrit le lendemain de ce jour funeste que les élus de la République devaient apprendre à dire « non », et que les Français devaient apprendre à dire « oui ». Je persiste et je signe. Le pays en a vraiment besoin. Rapidement. La remise en chantier du financement des retraites ne peut plus être repoussée. La dette du pays ne peut plus grossir sans danger colossal.

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