Charles Pasqua assassiné par la Cour de justice de la République
• Il avait vu juste Bernard Le Solleu, avec cette notation dans Ouest-France du 29/04/2010: «Un coup d’œil aux visages des douze juges députés et sénateurs laisse à penser en effet qu’il n’a pas que des ennemis ici… On lui donne du «monsieur le ministre d’État», du «cher collègue». En toute cohérence la justice de la confrérie lui a mitonné un verdict aux petits oignons. Charles Pasqua est condamné à 12 mois de prison avec sursis par ses pairs, autant dire ses compères: un ancien ministre, ancien député, encore sénateur jugé par six députés et sénateurs! C’est la Cour de justice de la République qui a bonne mine.
La légitimité de la Cour de justice de la République est de juger des faits commis par des ministres pendant l’exercice de leurs fonctions. En accréditant la thèse d’un Charles Pasqua « victime » de son entourage la Cour, en volant à son secours, l’a en fait assassiné politiquement. Si les faits délictueux ne sont pas imputables au ministre mais à ses collaborateurs, si le ministre n’en a rien su, il est manifeste qu’il ne contrôlait rien de l’activité de son ministère. Et songer que le ministère de l’Intérieur était aux mains d’un incapable fait froid dans le dos. Un fort en gueule sans consistance en quelques sorte.
Mais il n’en a cure Charles. Il a évité la case prison au prix d’une petite blessure d’amour propre. Un prix dérisoire. Il avait confiance en la justice de son pays. Avec raison. Et, à considérer de près le verdict, on n’est pas loin de l’erreur judiciaire finalement. La peine de 12 mois avec sursis est confondue avec une précédente condamnation à 18 mois avec sursis; pas d’amende; pas de peine d’inéligibilité. On se demande du coup où l’avocat général Yves Charpenel, avait bien pu trouver matière à requérir contre lui, jeudi 29 avril, quatre ans d’emprisonnement dont deux ferme, 200 000 euros d’amende et la suppression de ses droits électifs.
La justice est indépendante évidemment. Mais les juges qui jugent leurs pairs? Autant faire juger les banquiers véreux par une cour de justice bancaire composée de vénérables banquiers. Autant faire juger les industriels en délicatesse avec les règlements sanitaires par des industriels. Autant faire juger les compagnies maritimes qui bafouent les règles de sécurité des navires par des armateurs. On peut même penser que les trafiquants de drogue apprécieraient d’être jugés par leurs pairs.
Un concentré plutôt épicé
Pour éviter à la République de se ridiculiser davantage, il serait peut-être sage de supprimer cette justice d’exception, et dans le même temps de faire des ministres des justiciables ordinaires, comme de tous les élus, président de la République inclus. Encore un statut particulier qui ne repose sur aucun principe de droit, mais sur une loi particulière pour préserver Jacques Chirac, président de la République alors en fonction, de la curiosité de la justice pour des faits commis alors qu’il régentait Paris et l’Ile-de-France. Charles Pasqua était effectivement ministre en exercice lorsque les faits qui lui sont reprochés ont justifié sa comparution. Mais ce sont des faits très ordinaires de « complicité d’abus de biens sociaux » et de « corruption passive » que la justice ordinaire appliquant la loi ordinaire est apte à juger.
Et finissons sur ce condensé plutôt épicé. Alain Juppé, Jean Tibéri, Dominique de Villepin, Charles Pasqua (entre autres) ont eu à faire à la justice au cours des quinze ans passés. Tous sont, ou ont été, très proches de Jacques Chirac lui-même aux prises avec quelques procédures passées ou en cours. Cette concentration d’amis tourmentés par la justice est-elle purement fortuite? Ou bien traduit-elle un état d’esprit propre à un cercle restreint qui s’imagine au-dessus de la loi ordinaire? A fréquenter au long cours un chef aussi charismatique et aussi porté aux frais de bouche abracadabrantesques comment ne pas finir par lui ressembler? Asinus asinum fricat.