La France, cette grande cour de récréation
• L’éditorial de Ouest-France, ce mardi 19 octobre 2010, donne la mesure de l’infantilisme qui prévaut dans le jeu socio-politique en France. «Les syndicats jouent gros» titre Paul Burel. «Stop ou encore. Baroud d’honneur ou fuite en avant ? La journée cruciale de ce mardi contre la réforme gouvernementale des retraites s’inscrit dans un contexte inédit où la sortie du conflit n’est pas soumise aux seuls dangers d’une radicalisation incontrôlée, propre à tous les mouvements de cette nature.» Puis, un peu plus loin: «Adossées à un mouvement fort, mais qui a marqué le pas samedi, contraintes par la fermeté élyséenne, privées de perspective dans la durée, toutes les confédérations sont, de fait, face à un énorme défi. Comment trouver la porte de sortie après le vote du Sénat, en « rentabilisant » au mieux leur participation dans un mouvement collectif ? »
Voilà donc l’enjeu social en France ? Voilà donc le point aveugle autour duquel se concentre l’énergie des organisations syndicales: comment pourraient-elles rentabiliser au mieux leur participation à un mouvement collectif ? Voilà l’expression d’une vision ambitieuse pour le pays, n’est-ce pas ? Et c’est ici en creux, qu’on mesure le chemin qui reste à parcourir à ce pays pour devenir adulte; quitter la cour de récréation pour affronter la vie en pleine responsabilité; transformer les postures d’affrontement en dynamiques de coopération volontaire. Mais non, l’ambition principale d’un syndicat de salariés c’est donc de rentabiliser sa participation à un mouvement collectif. Manifestement il faut être naïf pour s’être laissé aller à imaginer que l’enjeu pour un syndicat de salariés aurait pu être de travailler à la pérennité du financement des retraites desdits salariés; impératif majeur, entre tous. Et secondairement, engranger les bénéfices issus de ce travail; secondairement. « Travailler à », ce qui signifie apporter sa pierre à l’édifice, et non pas se contenter de se poser en victime perpétuelle du travail d’autrui.
Jouer un rôle actif c’est d’abord participer à l’élaboration du diagnostic. Jouer un rôle actif c’est encore accepter de partager la responsabilité des décisions à prendre (douloureuses, comment pourrait-il en être autrement?) pour résoudre (au moins provisoirement) le problème soulevé qui n’est pas rien (il concerne tous les Français): pérenniser ledit financement des retraites. Jouer un rôle actif c’est surtout participer à l’effort pédagogique d’explication des enjeux. Jouer un rôle actif c’est enfin accepter de participer dans la durée au processus d’évaluation des décisions censées améliorer les choses, et donc de partager la responsabilité des ajustements qui pourraient se montrer nécessaires.
L’ignorance transformée en arrogance
Au lieu de quoi, on voit des militants syndicalistes professionnels d’organisations de salariés se réfugier dans la posture de consommateurs passifs de droits sociaux. Quant à savoir comment la société va financer lesdits droits sociaux, mystère. Un mystère qui transforme l’ignorance en arrogance. Et le summum de l’incurie est atteint lorsqu’un parti politique (le PS), espérant sans doute lui aussi « rentabiliser » au mieux sa participation à un mouvement collectif, emboîte le pas aux syndicats de salariés. Comme si, à un degré encore supérieur aux syndicats de salariés, le rôle du parti Socialiste n’était pas de travailler à la pérennisation du financement des retraites. Au lieu de quoi il se tait. Au lieu de quoi il incite les salariés à radicaliser leur refus de la réforme, espérant mettre dans l’embarras le gouvernement de droite. Au lieu de quoi il s’abstient d’avancer sur le sujet la moindre contreproposition; pertinente; viable dans la durée. A conforter, jour après jour, le jeu pervers de l’irresponsabilité on se met en situation d’être incapable de mettre en œuvre la moindre décision politique difficile. Mais comme le PS (ce qu’il montre en 2010) n’a surtout pas envie d’endosser la responsabilité de l’exécutif, la question est sans objet. Il peut continuer à jouer avec le feu.