Soap-opéra du remaniement ministériel
Les Français indifférents aux billevesées journalistiques

Écrit le 12 novembre 2010 par Jiceo

Il a raison Hervé Le Tellier. Son « papier de verre » en tête de la « check-list » du  jeudi 11 novembre (LeMonde.fr) est une mise en perspective bienvenue.

papier de verre

Non seulement il est bien troussé son billet, mais en plus il recèle quelque vérité : le feuilleton du remaniement est pesant. Et pour ce bon motif on aimerait tresser des couronnes à l’auteur. Ah comme on aimerait. Il faudrait juste qu’il soit crédible. Une paille (celle qu’on voit dans dans l’œil du voisin). Car il écrit en oubliant qu’il est lui-même une signature du Monde.fr. Ou peut-être tout simplement ne lit-il pas le journal auquel il collabore. Ou bien, il se sent si peu solidaire de la rédaction qu’il préfère passer sous silence les contributions d’icelle à «l’insoutenable suspense». Du coup sous sa plume, cette montée du sentiment de saturation à propos du remaniement semble relever de la génération spontanée.

Soap-opéra du moment : le remaniement

Le pays subirait les effets d’une médiatisation à outrance sans l’implication des médias. Une jolie trouvaille. On n’est pas loin de la pensée magique. Non seulement les médias n’y seraient pour rien, mais peut-être bien qu’ils en seraient les premières victimes. Car si on lit bien, le constat du journaliste est sans appel: «La moitié des Français s’en mout, et l’autre s’en contrefoque». On ne saurait mieux faire sentir à quel point ces considérations réduites à des empilements d’hypothèses sont oiseuses.

Les Français donc n’en ont rien à faire et pourtant journaux, radios et télés, matin, midi et soir, les gavent du soap-opéra du moment; celui du remaniement. C’est donc qu’ils agissent contre leur gré les journalistes, puisqu’on ne peut imaginer qu’ils maltraitent intentionnellement leurs lecteurs et auditeurs. Bon dieu mais c’est bien sûr! Ils ne sont pas libres. Ils ne sont pas libres de déterminer les sujets à présenter au public et ceux à laisser dans l’ombre. Ils ne sont pas libres de les hiérarchiser et de les traiter à leur guise.

Petit téléspectateur des grands show de l’information

Comme on se laisse berner facilement tout de même quand on est petit téléspectateur des grands show quotidiens d’information. On croit par exemple que Jean-Michel Aphatie, ce grand clown blanc de la piste aux étoiles médiatique parisienne, est un homme libre. Il croit le petit télé-spectateur que le sourire ironique de Jean-Michel Aphatie qui souligne sa question sur le remaniement est l’expression d’un journaliste libre qui pose ses questions librement. Pas du tout. Erreur grossière. Ce que ne voit pas le petit spectateur c’est que le sourire de l’homme libre est un rictus. Le téléspectateur voit bien que l’homme libre est un homme-tronc mais il ne voit pas l’épée qui lui rentre dans les reins dès qu’il ouvre la bouche. Et comme chacun le sait (on nous l’a assez répété à nous petits téléspectateurs) c’est Sarkozy qui tient l’épée.

Les médias sont sous contrôle et il est partout. La nuit il surveille le bouclage des quotidiens pour s’assurer que le remaniement occupera une place respectable. Au petit matin il est déjà dans toutes les rédactions des radios pour imposer le thème du remaniement aux éditorialistes-interviewers. Et ne vous y trompez pas. Les mimiques gourmandes qui accompagnent leurs questions ne sont que des leurres destinés à donner le change, à masquer leur dépendance. Quel que soit leur invité du jour (ministre, député, observateur de la vie politique…) c’est la mort dans l’âme qu’ils laissent échapper malgré eux quelque question ou observation sur le remaniement. Les Français s’en moquent, et les journalistes le savent bien. Ils aimeraient bien concentrer leurs questions sur le fond, mais impossible; ils ont l’épée dans les reins. Rebelote dans les talk du soir. Il est encore présent Nicolas Sarkozy, l’épée en main, pour s’assurer que le remaniement ne sera pas oublié. Et c’est lui qui pousse encore le journaliste à insister lorsqu’un ministre ou un député essaie d’échapper à la question par une pirouette. Et la conclusion s’impose d’elle-même. Si les journalistes serinent en boucle le même feuilleton à des Français qui s’en moquent, ils n’y sont pour rien. Subtil, trop subtil pour être assimilé par un esprit simple mais c’est comme ça.

La lutte des égos

Cependant il serait mesquin de voir dans leurs surenchères perpétuelles une lutte des égos. Chacun en rajoute dans l’espoir de recueillir la petite phrase qui fera du buzz. Rien d’autre, mais c’est si bon pour l’estime de soi, n’est-ce pas? Or, c’est justement ce déferlement d’infos creuses qui se font écho d’un média à l’autre tout le jour, tous les jours, c’est cette débauche d’infos baudruches qui sature l’espace médiatique jusqu’à l’insupportable. De là à suggérer que la principale qualité des journalistes libres est l’esprit moutonnier… Je n’ose même pas le penser.

Et puis, ce serait offensant de laisser croire qu’un journaliste aurait comme seul but de signifier aux péquenots ébahis que lui le journaliste est si bien introduit, que ses informateurs sont tellement bien placés qu’il est, lui, le seul à avoir l’info qu’il faut. Quand bien même débutant sa chronique sous les traits du personnage statufié qu’il s’est forgé, l’air mystérieux, alourdi des sous-entendus qu’insinue son rictus ironique et pointant l’index vers l’écran il lâcherait un pseudo-sibyllin: « regardez ». Il en est tellement fier de son info qu’il vous la donne quand même; mais au conditionnel des fois que le destin viendrait dresser quelque obstacle sur le chemin de la gloire. Avec une info au conditionnel on n’insulte pas l’avenir, et on ne laisse pas trop de traces sensibles pour les futurs bêtisiers. L’information au conditionnel offre ce luxe bon marché de passer en revue toutes les hypothèses, les unes après les autres, l’une chassant l’autre, et chaque fois en chuchotant à l’oreille des veaux que cette fois les dés sont jetés. L’information au conditionnel c’est la marque du grand journalisme.

Les grands noms du petit cirque médiatique

Ce serait offensant de penser que ce petit monde se vautre dans le jeu des chaises musicales par pure facilité. C’est simplement parce que les sujets de fond sont trop complexes et guère divertissants. Et n’est pas Yves Calvi qui veut.

Ce serait injurieux à l’égard des grands noms du petit cirque médiatique parisien de considérer qu’ils pratiquent un jeu sans enjeu pour eux. Pourtant, à entendre de si savantes analyses fondées sur des empilements d’hypothèses s’effondrer invariablement en conjectures conjuguées au conditionnel on sent bien que l’exercice n’a d’autre motivation que narcissique. « Je fais partie moi des happy few qui ont leurs entrées dans les palais de la République, et je vais vous le montrer. » Mais quand ayant épuisé leurs jeux d’hypothèses stériles ils s’aperçoivent enfin qu’ils tournent en rond, alors vient l’heure de couper court. Et là soudain, touchés par la grâce ils décrètent que ça n’intéresse pas les Français.

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