Election présidentielle : 500 signatures pour une candidature
L’anonymat des parrainages, voilà le danger
• Que Marine Le Pen éprouve de sérieuses difficultés à réunir les 500 parrainages pour valider sa candidature à l’élection présidentielle est une bonne chose. Entendons-nous bien, c’est une bonne chose pour la démocratie. Il est assez piquant d’ailleurs d’entendre les intéressés (Marine Le Pen n’est pas seule dans la posture de victime de la démocratie) se réclamer de la démocratie pour revendiquer la modification des règles du jeu; par exemple en rendant les parrainages anonymes. Récrimination de circonstance puisque pendant des décennies cela semblait aller de soi, y compris pour le Front National. Quant au fond, c’est par des procédures de ce genre -le parrainage rendu public- que la démocratie atteste sa nature, manifeste sa vivacité; précisément parce qu’ainsi elle se protège elle-même et ce faisant son œuvre, des dangers qui lui sont consubstantiels.
Distinguons toutefois deux niveaux de risque. D’abord le risque foncier, de dissolution de la démocratie dans le processus même de sa réalisation; hypothèse de l’accession au pouvoir d’un apprenti-dictateur au cours d’un cursus démocratique qui la légitime de facto. Ensuite le risque, insidieux, de dépréciation de la fonction présidentielle et par glissement des institutions démocratiques elles-mêmes, en raison de l’éclosion à chaque échéance d’une horde d’histrions égotistes.
Marine Le Pen : le parti en héritage
Les régimes démocratiques portent en eux-mêmes le risque de leur propre anéantissement. Une fragilité qu’il serait périlleux d’ignorer. L’exemple marquant est évidemment l’accession d’Hitler à la chancellerie en 1933, rappelé ici juste pour illustrer l’idée, sans suggérer quelque comparaison poussée avec la France de 2012. Le sachant, connaissant ce risque, il n’est pas malsain que la démocratie s’en protège, autant que faire se peut. Aussi s’agissant de Marine Le Pen, comment s’étonner des difficultés qui sont les siennes pour rassembler les 500 signatures? Point de procès d’intention ici. Mais à moins d’être amnésique, impossible de ne pas voir en Marine Le Pen une héritière; et d’un héritage lourd. La fille de son père a hérité du nom, dont elle fait le même usage public; elle a hérité du parti fondé par son père, dont elle a gardé et les structures et le nom, et dont elle fait le même usage.
Évidemment, comme tout héritier elle aurait voulu récupérer l’actif en se débarrassant du passif. Mais le pays, démocratie vivante, n’entend pas lui octroyer ce passe-droit. Car à vouloir l’héritage on valide ipso-facto le terreau sur lequel il s’est bâti comme les sous-produits qu’il a nourris (la haine des Algériens, la justification tranquille de la torture, l’activisme poujadiste, le coup de poing extrémiste, le racisme, l’antisémitisme, les provocations pathétiques à propos des camps de la mort..). Bref, un fonds de commerce morbide qui a laissé des traces dans le le pays et par lequel Jean-Marie Le Pen s’est constitué lui-même comme danger potentiel; pour la démocratie.
Au total donc, un héritage revendiqué déjà très lourd, plombé de surcroît par le souvenir du sinistre 21 avril 2002, dont les partis de gouvernement ont tiré quelque salutaire leçon. Et ce n’est pas l’escapade autrichienne de fin janvier qui améliorera les choses: «Marine Le Pen, invitée d’honneur au bal de l’extrême droite européenne à Vienne» titrait LeMonde.fr du 28 janvier; extrême droite dont une partie cultive sans honte la nostalgie nazie. Au final, compte tenu de l’héritage, la difficulté du Front national à collecter ses 500 signatures parait naturelle. L’autre option, lorsque l’héritage est trop lourd, est d’abandonner l’héritage. Ce n’est pas celle choisie par l’héritière. Il lui faut assumer.
La valeur de l’expérience
Il serait malsain que le Conseil constitutionnel revienne sur le caractère public du parrainage des élus. L’idée qui valide ce processus est de réaliser une présélection de candidats à l’élection présidentielle. Que cette présélection procède d’élus de la République rompus à l’esprit des lois, familiers de la gestion des territoires dont ils ont la charge est une garantie en soi. Que ces élus soient enclins à valider la candidature de personnes ayant déjà fait la preuve de leurs compétences (charges gouvernementales, charges d’élu, de la direction de collectivités territoriales au travail parlementaire, direction de parti politique, etc…) c’est probable; tout bonnement parce que se cristallise dans cette filiation quelque chose de substantiel, qu’on pourrait bien appeler l’expérience; celle des élus légitimant celle des candidats; expérience dans laquelle transparaissent en outre et dans la durée les valeurs qui l’ont fondée.
Gageons à ce stade que si dans leurs réalisations municipales quelques élus frontistes avaient éclaboussé le pays d’un génie inégalé, gageons que si la pensée frontiste pouvait se prévaloir d’une inspiration féconde et prometteuse, Marine Le Pen n’en serait pas aujourd’hui à quémander des signatures. Cela posé, le sujet n’est pas épuisé. L’idée de démocratie n’existe pas en soi de façon pure et abstraite pour l’éternité. Elle n’existe que dans les mises en œuvre contingentes qui ont quelque légitimité à se réclamer d’elle. Sur un plan politique-utilitariste il n’est pas sans risque non plus que la candidate du Front national soit absente du scrutin. Mon plaidoyer pour le refus de l’anonymat n’est pas un plaidoyer pour la mise à l’écart électorale du Front national. Croire que ce qui n’existe pas de manière formelle n’existe tout simplement pas est une illusion également dangereuse. Et dans une démocratie, si un scrutin est d’abord un processus par lequel une population délègue pour un temps donné certaines compétences à des candidats librement choisis, elle est aussi un baromètre, dont les indications sur l’état de tension du pays, précieuses pour les décideurs légitimes qu’il s’est donné, sont de facto portées à la connaissance de tous. A tous et à chacun d’en faire le meilleur usage.
La démocratie a besoin de points de friction pour entretenir la culture de sa fragilité
L’idée ce n’est donc pas d’écarter le Front national du jeu institutionnel; pas davantage d’en banaliser la présence; plutôt faire en sorte que sa place et son rôle dans le paysage politique ne semblent jamais aller de soi; faire en sorte que son « essence » soit questionnée sans arrêt. Le danger c’est moins son existence (tant que son audience demeure sous la barre des 20%) que sa banalisation; qui elle pourrait glisser vers une augmentation de son audience, mais alors probablement accompagnée d’une certaine édulcoration de sa rhétorique. Rien de ce qui est humain ne se développe sur une échelle mécanique linéaire.
L’idée est de faire valoir que le meilleur atout de la démocratie est de maintenir vivace dans la société le sentiment que la présence du Front national dans le paysage politique fait problème; y compris le « simple » parrainage d’une candidature au nom de la démocratie, argument qu’ont fait valoir certains maires. Non qu’il faudrait leur interdire le parrainage du candidat d’un parti par ailleurs légalement constitué; l’important est que certains de ces maires ont été interpellés par des conseillers municipaux, par des concitoyens, par la presse locale en raison de leur parrainage; et qu’ils ont dû justifier leur décision. C’est cela qu’il faut maintenir: l’interpellation, le débat, la confrontation, en permanence. Ni interdiction du Front national, ni banalisation de son existence, que l’anonymat des parrainages pourrait conforter. La démocratie a besoin de ces points de friction pour entretenir la culture de sa fragilité naturelle. C’est même par l’existence de ces points de friction (polémique, controverse) qu’elle manifeste sa vivacité. Rien n’est jamais acquis. Dans les sociétés modernes où la transmission entre les générations ne se fait plus de façon mécanique par un formatage autoritaire, chaque génération doit reconstruire ses repères idéologiques, réinvestir les valeurs qui la constitue. C’est la vertu du débat permanent.
L’idée est qu’il faut éviter de trancher. Ni réduire le Front national au silence officiel. Ni banaliser sa présence dans le paysage politique. Souhaitons vivement que le Conseil constitutionnel ne valide pas l’anonymat des parrainages. Si le processus ne doit devenir qu’une simple formalité, alors il n’a plus de raison d’être. Mais alors il faut inventer d’autres procédures, au moins aussi contraignantes, pour éviter de transformer l’élection présidentielle en mascarade.
L’élection présidentielle n’est pas une mascarade
Ce qui nous conduit au deuxième aspect du risque, celui insidieux de dépréciation de la fonction présidentielle. Ne le prenons pas trop à la légère. La campagne présidentielle a compté par le passé jusqu’à seize candidats. Vu l’enjeu d’une élection présidentielle rapporté à la personnalité et au fond de certains d’entre eux, pas sûr au final que la démocratie en sorte gagnante. Rappelons ce truisme que la campagne électorale des présidentielles a pour but de donner au pays la capacité de choisir le futur président de la République; pas de servir de mégaphone à quelques gourous habités par leur destin, d’autant plus avides de l’exposition médiatique escomptée qu’elle est sans contrepartie. La certitude dès la première seconde de ne jamais gouverner la France fait d’eux des candidats virtuels. D’Arlette Laguiller à Gérard Schivardi, de Noël Mamère à Frédéric Nihous, de Jean-Pierre Chevènement à Dominique de Villepin, de Philippe De Villiers à Bruno Mégret… la liste est infiniment longue de ceux qu’un miroir de salle de bain a éblouis: «Miroir, ô mon beau miroir, dis-moi qui..».
De quelle légitimité peuvent se prévaloir tous ceux qui n’ont pas d’existence -politique, publique- en dehors des campagnes électorales présidentielles pour se présenter à l’élection présidentielle? Une fois encore la démocratie a bon dos -elle est un prétexte commode- puisque c’est toujours le même processus à l’œuvre: le renversement de causalité. Comme si un génie surhumain pouvait se révéler à l’occasion d’une campagne présidentielle au point que le pays subjugué se jette dans les bras du sauveur. Est-ce parce que le candidat a montré quelques dispositions au long cours à diriger le pays que sa candidature devient légitime ou bien est-ce parce qu’une voix intérieure l’a convaincu de son génie personnel? Est-ce que, vu l’enjeu, c’est l’expérience avérée du postulant qui légitime sa candidature ou sa capacité à rendre crédible l’avènement du paradis terrestre? Que tous les candidats passent par le filtre des parrainages n’a rien de scandaleux. Je propose que les génies éventuels soient évalués non par leur ego, mais par leurs égaux, les 45000 élus à même de parrainer un candidat.
Qu’ils fassent leurs preuves d’abord dans leur commune, dans leur entreprise, au Conseil régional, dans leur parti, à la Chambre des députés, au gouvernement; ensuite leur candidature deviendra légitime ipso facto. Que les élus à même de parrainer un candidat se fixent à eux mêmes quelques critères de qualité avant de délivrer le précieux sésame est légitime. Loin d’un déni de démocratie il participe à la consolidation de la pratique démocratique en confortant les institutions. Je propose même de porter à 4500 le nombre de parrainages (tant que demeurera le nombre de communes) puisque ça laisse un potentiel de 10 candidats. Et 10 candidats à l’élection présidentielle ce serait antidémocratique? C’est déjà beaucoup. Trop.
La liberté a un prix : la responsabilité
Préservons la fonction présidentielle de la déchéance en ne transformant pas la campagne électorale en mascarade. Soit il y a une présélection des candidats par le parrainage, public, des 45000 élus habilités. Soit il n’y a pas de sélection à l’entrée, mais seuls sont remboursés de leurs frais de campagne les candidats qui atteignent 10% des suffrages exprimés. La liberté a un prix: la responsabilité. Celle des parrains naturellement, qu’on voit mal se manifester dans l’anonymat. Celle des filleuls également qui est de supporter eux-mêmes le coût de leur pusillanimité.
Avec des outils d’analyse différents, des sociologues, des géographes, des politologues et des spécialistes de l’opinion travaillant pour des institutions différentes et parfois concurrentes arrivent au même diagnostic. A cinq mois de l’élection présidentielle, ils partagent la même conviction : la clé de l’élection se trouve dans la réponse que les candidats sauront apporter à cette partie de l’électorat, de plus en plus nombreuse, qui oscille entre colère sourde et résignation rageuse.