A propos cette fois du mariage gay
France, terre bénie des ratiocineurs

Écrit le 17 avril 2013 par Jiceo

Et on remet le couvert, cette fois à propos du mariage gay. Ah, France terre bénie des ratiocineurs. Qu’est-ce qu’on y aime ergoter sans fin ! Qu’est-ce qu’on y aime s’invectiver ! Qu’est-ce qu’on y aime s’enfermer dans des postures irréconciliables. Qu’est-ce qu’on y adore se déchirer sur ce qui nous sépare (si peu) en faisant fi de tout ce qui nous rassemble (presque tout). Deux siècles de psychodrames ne nous ont pas lassé, ne nous ont pas assagi. Chaque fois la même régression collective; comme l’atteste ce changement de dénomination du projet de loi autorisant le mariage homosexuel, soudain transformé en « mariage pour tous », par jésuitisme pour tenter d’amener à résipiscence les jansénistes d’apparat.

Souvenons-nous, au moins ceux qui ont atteint la cinquantaine, comment l’évocation du préservatif provoquait des haut-le-cœur dans les années soixante encore, notamment chez les hommes d’Église et la partie conformiste de leurs ouailles. Ont-ils fini par admettre que les enjeux les dépassaient, qu’une morale coupée du monde vivant est un piètre réconfort? L’usage du préservatif est devenu si banal, et pourtant la Terre n’a pas arrêté de tourner. A-t-on oublié les assauts héroïques des mêmes contre la dépénalisation de la contraception orale (loi Neuwirth en 1967)? L’usage de la pilule est devenu depuis si banal, et pourtant la Terre n’a pas arrêté de tourner. Et cette histoire ancienne, celle de la légalisation de l’IVG, en 1975? Qui pourrait imaginer aujourd’hui, parmi ceux qui n’ont pas connu cet épisode, l’avalanche de mépris et de haine subie par Simone Weill, la ministre de la Santé qui dans l’affaire a affiché un courage politique, un courage tout court, dont peu d’hommes politiques peuvent se prévaloir? Tous les arguments, y compris les plus infâmes, furent brandis contre son projet de loi, sans discernement, la violence verbale supplantant volontiers l’échange civilisé, y compris à l’Assemblée nationale, ce lieu de honte nationale (les séances de questions au gouvernement notamment sont une honte nationale) où un peuple d’enfants envoie des enfants gâtés jouer aux grandes personnes, piteux picrocholes indignes de la République. Aujourd’hui comme hier.

L’apocalypse n’a pas eu lieu

On y entend surtout les porteurs d’une représentation du monde sommaire, par nature ceux qui crient le plus fort. Des visionnaires béats incapables de concevoir que leur vision ne possède pas le privilège d’universalité dont ils l’affublent, moralisateurs du Café du commerce drapés dans une posture de moraliste. L’IVG est pratiquée depuis quarante ans (le nombre est demeuré stable, autour de deux cents vingt mille par an) et l’apocalypse n’a pas eu lieu. L’épouvantail de l’explosion du nombre d’IVG agité fiévreusement par ses détracteurs à l’époque, est demeuré quarante ans après, ce qu’il n’a jamais cessé d’être: un épouvantail. L’épouvantail de la dénatalité est demeuré quarante ans après ce qu’il n’a jamais cessé d’être: un épouvantail. On voit bien avec le recul la colossale finesse des arguments de ceux qui aiment s’ériger en directeur de conscience. Se prenant bientôt pour Dieu, lorsqu’ils perçoivent la fin d’un monde ils veulent croire et faire croire à la fin du monde. Mais par bonheur les sociétés humaines ont appris à s’affranchir des menées millénaristes. Et les arguties d’essence idéologique irrémédiablement se dissolvent dans le temps qui passe, révélant chemin faisant leur piètre valeur.

Quelques rappels encore pour compléter ce tableau. Dans les années soixante, le fait d’avoir un enfant hors mariage était un scandale moral qui se traduisait par une exclusion sociale majeure. Le terme de «fille-mère» en désignant les femmes concernées stigmatisait le «péché», condamnation sans appel qui les suivrait toute leur vie. Sauf à aller s’installer au loin (en ville), elles traîneraient jusqu’au dernier jour une réputation de quasi fille de joie. Quant à l’intrépide inconnu qui s’en était allé aussitôt son affaire faite, sa réputation à lui demeurait sans tache. Catholique ou pas. Faut-il rappeler encore qu’à l’époque l’idée même de vie maritale relevait du fantasme? L’expression «vivre à la colle» était censée signaler cette entorse aux bonnes mœurs. Et puis encore que le divorce était un sujet scabreux dont on parlait à voix basse? Il a fallu attendre 1975 pour que la loi abandonne la procédure de divorce fondée uniquement sur la faute et accepte une pluralité de cas de divorce, dont le divorce par consentement mutuel.

La fin du monde repoussée d’échéance en échéance

On joue à croire que la loi fait la société, quand la loi se contente péniblement de s’adapter, et donc toujours avec retard, aux évolutions qui la travaillent; évolutions que personne ne décide; évolutions que personne ne contrôle; évolutions qui nous dépassent et qu’il est vain de s’imaginer être en capacité de déjouer. Comme si la condamnation morale du préservatif en avait empêché l’usage chez les gens informés; comme si l’illégalité de l’IVG autrefois avait eu la capacité de mettre fin au labeur des faiseuses d’ange, alors qu’au contraire sa légalisation entre autres choses, prenait en compte les conséquences sur la santé des femmes de ces avortements «sauvages», non médicalisés; comme si l’illégalité de la contraception orale (avant la loi Neuwirth) avait empêché les femmes qui pouvaient se la procurer de l’utiliser.

Les contempteurs d’hier ont donc oublié leurs longs trémolos, et probablement le temps et les circonstances aidant, tout en s’appropriant discrètement au besoin ce qui était censé les justifier et qu’ils exécraient publiquement. Combien de détractrices de l’IVG ont-elles, le cas échéant, opportunément oublié leur opposition catégorique, dans le secret du tête à tête médical? Combien  de bien-pensants ont-ils fini par considérer comme justifié l’usage de la capote, sinon pour eux, mais du moins en général et à l’occasion pour leurs propres enfants? Combien d’indignés se sont-ils empressé de conseiller la pilule à leur fille le moment venu? Nul ne pourfend aujourd’hui le statut protégé des mères célibataires (entre 1,5 et 2 millions de personnes). Depuis les années 70 – 80 la société s’est peu à peu émancipé de l’obligation morale du mariage, sans dommage rédhibitoire. Quant au divorce il y a belle lurette qu’il ne fait plus jaser. Et pourtant la Terre n’a pas arrêté de tourner. Et la menace de fin du monde est repoussée d’échéance en échéance dans l’oubli négligent de la précédente…

Or, si on* avait le courage de travailler à mettre en regard les fantasmes d’alors et les faits avérés quelques dizaines d’années plus tard (aujourd’hui) peut-être s’épargnerait-on ce nouveau psychodrame régressif. Mais voilà, incapables de tirer quelque leçon du passé, les pères et mères-la-morale ré-enfourchent leur monture, contre le mariage gay. Le propos n’est pas ici de délégitimer les opinions divergentes. Le propos se limite à mettre en lumière l’incongruité des revendications et la non concordance des pratiques rapportées aux enjeux. C’est une chose de manifester son opposition au mariage gay, c’en est une autre de prétendre l’interdire à autrui, de ramener le monde vivant aux limites étriquées qu’on lui donne. C’en est une autre encore d’en faire un prétexte à provocation. Une fois de plus on retrouve les jeux favoris: faire peur, amplifier les peurs en instrumentalisant les fantasmes, et en comptant sur la passivité intéressée des médias pour qui ces polémiques sont pain béni. D’autant plus susceptibles d’enjoliver les ventes qu’elles sont stériles, sans fin, propices à toutes les provocations, prédisposées à toutes les récupérations.

L’élite catholique dans la surenchère glauque

La loi sur le mariage gay est donc un agent efficace dans la lutte pour l’existence médiatique. Au lieu d’aider les citoyens à prendre la mesure de l’enjeu quelques aigrefins de la politique (« Mariage pour tous : plus de 700 amendements déposés par l’UMP », titre Le Monde.fr du 15/04/2013) jouent à les enfermer dans leurs préjugés, dans l’espoir d’un bénéfice électoral prochain. Parenthèse. (Ce que fait la droite au parlement avec les sujets de société, la gauche le fait depuis longtemps avec les sujets sociaux: financement des retraites, 35 heures, périmètre de l’Etat…; au point que revenue aux affaires elle se trouve aujourd’hui, sur ces enjeux colossaux qui concernent tout le pays, à porter seule un fardeau qu’elle aurait dû partager avec la droite depuis longtemps; dans l’opposition ou dans la majorité.) Parenthèse fermée.

L’argumentation souvent vole au ras des pâquerettes, mélange de laborieuses tentatives de rationalisation (tentation d’élever des opinions au rang de fait de société), d’instrumentalisation des peurs, de mauvaise foi, asservies aux intérêts électoralistes à court terme. Comme dans les joutes précédentes, au lieu de mettre les choses à plat on s’écharpe, on s’invective par médias interposés. On joue à croire, on joue à laisser entendre que le mariage gay a vocation à supplanter le mariage traditionnel, comme si sans tarder les couples mixtes allaient devoir demander une dérogation pour se marier. Et, dans la surenchère glauque, l’élite catholique n’a pas ménagé sa peine : «Après ils vont vouloir (le « ils » est grandiose) faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera» prophétisait (14/09/2012) le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, dont la vie entière semble hantée par la crainte de l’apocalypse. Voilà un pasteur dont l’imagination impétueuse compense au centuple la réflexion anthropologique, plutôt rudimentaire à vrai dire. Mais, pour le bien de qui? A croire que cette conception chrétienne de la famille, érigée en modèle de perfection indépassable est tellement fragile qu’elle va céder au premier accroc. On joue à faire peur. On fait comme si l’option proposée par la loi n’était pas une liberté offerte à ceux qui désirent s’en saisir mais une norme qui va s’imposer à tous. Au point qu’une question finit par surgir, tragique: il suffirait donc d’une loi autorisant le mariage gay pour faire tomber en désuétude le mariage mixte classique? Et une fois lancée, la réaction en chaîne se poursuit, irrémédiablement, jusqu’à la disparition pure et simple du mariage mixte? Quelle valeur peut donc avoir une institution aussi naturelle si la première loi venue la fait disparaitre?

Le mariage gay n’est pas prêt de devenir dominant sauf dans l’esprit de ceux qui n’ont pas confiance en eux, pas confiance dans leur propre système de référence; dans l’esprit de ceux qui croient que les homosexuels ont choisi de l’être, comme peut-être eux-mêmes pensent qu’ils ont choisi leur préférence hétérosexuelle. Le mariage gay va donc demeurer marginal, longtemps encore. Mais au parlement comme dans la rue, on joue à croire que la loi fait la société. Comme si la loi avait le pouvoir de contenir l’appel de la vie, comme si la loi avait la capacité d’enfermer le désir dans le code civil.

Des joutes politiques, simulacres de combat de gladiateurs

Le fondement de cette culture de la discorde est en-deçà, très en-deçà de ce seul sujet qui n’en est que le dernier avatar en date. Comment se fait-il qu’en France les débats (politiques, sociaux…) ne parviennent pas à s’épanouir dans l’échange d’arguments tendu vers la construction d’un consensus? Dans la plupart des autres pays qui se sont emparé du sujet, la conclusion est intervenue en quelques jours. Et on est passé à autre chose. Ici, on préfère l’affrontement stérile. Cette France qui se croit grande parce qu’elle a tranché la tête d’un roi passe son temps à se chercher un roi de substitution, président-démiurge, qui la conduirait au pays d’abondance sans aucun effort. Cette France qui se croit grande parce qu’elle s’imagine libérée de la religion depuis la loi du 9 décembre 1905 baigne pourtant dans une religiosité foncière qui pèse sur tous les registres de la vie publique, et de façon caricaturale dans la vie politique, l’empêchant d’aborder l’évolution du monde avec sérénité et distanciation; la vie politique réduite depuis des lustres à l’affrontement saugrenu entre une scolastique catho-gaullisto-libérale et une scolastique robespierro-marxisante. Questions sociales ou questions de société, tout est prétexte à simulacre de combat de gladiateurs.

Et le sortilège se poursuit, avec les enfants éventuels de couples homosexuels.

Les enfants doivent être élevés par leur père et mère biologiques. Soit. Mais près de la moitié des couples divorcent. Que deviennent les enfants du divorce? Que fait-on des enfants de familles recomposées? Sans compter les enfants nés de couples non mariés? Le dilemme devient ici cruel. Vaut-il mieux des enfants élevés par leurs père et mère biologiques, mais non mariés, ou alors des enfants élevés par un seul de leurs parents biologiques mais remarié lui?

Les enfants doivent être élevés par leur père et mère biologiques. Soit. Que fait-on alors de ces milliers d’enfants élevés par une mère célibataire, nés d’une mère abandonnée enceinte par un géniteur inconséquent? Entre «enfant accident» et «enfant objet de chantage à l’attachement», nombre d’entre eux se trouve projeté dans la vie avec un sacré handicap.

Les enfants doivent être élevés par leur père et mère biologiques. Soit. Mais d’où provient cette assurance que la famille chrétienne étroite est un modèle de perfection achevée? Un petit détour par la littérature anthropologique et ethnologique (Marcel Mauss, Claude Lévi-Srauss, Maurice Godelier, Pierre Clastres…) montre à quel point les systèmes de parenté (mariage, liens de descendance…) sont fort disparates, constitutifs de la richesse de l’humanité, de sa capacité d’adaptation.

Les enfants doivent être élevés par leur père et mère biologiques. Soit. Mais quid de tous ces enfants déjà élevés dans des familles non conventionnelles? Abordent-ils la vie avec un handicap, ou non? La question n’appelle pas de réponse, trop assujettie aux préjugés. La question appelle d’autres questions. Vaut-il mieux des enfants élevés par des parents équilibrés bien dans leurs pompes et bien dans leur tête, seraient-ils homosexuels, ou des enfants élevés dans des milieux où dominent au choix indifférence, dénigrement, mépris, haine, violence, alcool, les parents seraient-ils hétérosexuels? Comme si le rapport aux enfants, la qualité de la relation, était inscrit dans le statut marital des parents? L’heure est peut-être venue de faire un sort à ces billevesées.

Le charme discret du psychodrame

Et si ce qui se joue ici en ce moment c’était moins le sort juridique et symbolique du couple homosexuel qu’un nouvel avatar de la sempiternelle incapacité française à s’adapter aux évolutions sur un registre apaisé? L’opposition incontinente semble demeurer le modèle exclusif du citoyen accompli. Jusqu’à quand? Jusqu’à quand va-t-on continuer d’accorder crédit à ces postures dérisoires de pantins réduits à prophétiser la fin du monde dès lors que leur option n’est plus triomphante? Accrochés à leurs préjugés ils clament que le débat n’a pas eu lieu parce que le débat n’a pas avalisé purement et simplement leur opinion, comme si leur opinion épuisait le débat, puisque c’est leur opinion. Ça doit être ça le charme discret du psychodrame.

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* Si « on » avait le courage… : si la presse (papier et audiovisuelle) avait le courage de mettre en perspective les sujets de société au lieu de s’engouffrer dans toutes les polémiques. Mais mettre en perspective des sujets délicats suppose du travail, suppose quelques recherches, suppose des recadrages de prose militante, alors que la polémique se nourrit d’un simple micro tendu, de reprises de citations qui n’engagent pas.

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