Jacques Attali en Stroumpf grincheux
E. Macron ébranle la statue du commandeur
• « Macron la stratégie du météore » : un reportage diffusé par France 3 le 21 novembre 2016. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet, traité de manière plutôt sobre ce qui dans mon esprit est synonyme de qualité. Chacun se sera fait une opinion à l’aune de ses propres références. Je souhaite juste mettre en lumière ce numéro de comique que le montage nous a offert, de comique triste : l’interview de Jacques Attali.
Il faut voir l’aigreur d’un Jacques Attali au moment de commenter l’entreprise politique d’Emmanuel Macron, l’aigreur qui transpire de son expression faciale, la voir plutôt que l’entendre car elle est en décalage avec le propos qui présente l’apparence formelle de la pensée distanciée.
L’oracle de Neuilly
Relisons ses paroles. La première partie de l’interview (23e mn du docu) fait référence à l’activité d’Emmanuel Macron comme rapporteur de la commission Attali (commission chargée par le président de la République Nicolas Sarkozy de rédiger un rapport fournissant des recommandations et des propositions afin de relancer la croissance économique de la France. Elle a commencé ses travaux en juin 2007 et a rendu son rapport final le 23 janvier 2008.)
– « Emmanuel était très habile. Il a été extrêmement apprécié de tous les membres de la commission. Il n’a antagonisé (sic) personne, il s’est créé des relations personnelles. Évidemment pour un gamin de cet age (il a tout juste 30 ans) arriver immédiatement à être visible de quarante personnes qui sont puissantes, influentes et qui jugent c’était un accélérateur de carrière extraordinaire ! » (Sous-entendu : et à qui le doit-il ce coup d’accélérateur le gamin ? )
Et moi, poursuit le pontife, j’ai tout de suite vu quelqu’un qui était vraiment exceptionnel. Donc je lui dis : est-ce que vous avez envie de travailler pour la prochaine campagne présidentielle ? Il me dit oui. Donc je dis, je vais vous présenter à quelqu’un qui aurait vraiment besoin de vous. J’en parle à François Hollande qui alors commençait à percer comme candidat. T’as pas de conseiller économique ? Il me dit non… Écoute j’ai quelqu’un à te présenter. Et je l’ai présenté ici, dans ce salon, un soir… » (L’interview a été réalisée dans son hôtel particulier neuilléen.)
Ce « salon » maitre Jacques ! Excès de modestie ! Autant appeler les choses par leur nom : ce sanctuaire oraculaire. Notons à quel point Jacques Attali même quand il est censé parler d’un tiers ne parle que de lui. Effrayant. Toutefois, jusque-là tout va bien. Le « gamin » a le bon goût de rester sous le contrôle et sous l’autorité du pontife : il a donc du talent.
La deuxième partie de l’interview (46e mn du docu) évoque le Macron qui s’éloigne du marigot, qui s’émancipe. Elle date du 12 mai 2016. Le mouvement En Marche ! a été lancé il y a un peu plus d’un mois.
– « J’y crois pas une seconde. Je trouve que c’est un feu de paille. Je trouve qu’il est sur une mauvaise voie, purement sur les apparences, narcissique (hilarant d’entendre Attali dénoncer le narcissisme chez autrui). C’est exactement ce que je lui conseillais de ne pas faire.
Mais je ne crois pas à une carrière d’homme d’État fondée sur l’apparence assène l’omniscient censeur. Je crois à une carrière d’homme d’État fondée sur un enracinement, une capacité à être impopulaire, un projet pour le pays, une capacité à proposer des choses concrètes et aussi, et surtout, et ça fait partie de l’ensemble, une aventure collective, pas nécessairement d’un parti, mais d’un groupe, sans avoir peur de s’entourer des gens qui pourraient lui nuire ou être rivaux parce qu’ils sont de qualité. (Il semble savoir de quoi il parle le donneur de leçon. Un autoportrait en somme.)
– Comment vous croyez que ça va finir ? relance le journaliste.
Ben, y’a deux voies. Soit il fait, il suit la check-list que je viens de dire, et c’est un homme d’État (Quelle science ! On n’est pas pontife sans raison). Soit il ne la suit pas et là encore il y a deux voies. Il devient un homme politique comme les autres, soit le ballon explose et il n’est rien» augure le contempteur, le visage soudain marqué par un rictus de satisfaction irrépressible. L’idée de réduire Emmanuel Macron à « rien » le fait jubiler.
Mais l’oracle n’a plus la même teneur. Autant le « gamin » sous contrôle avait du talent, « quelqu’un d’exceptionnel », autant l’homme émancipé en est soudain dépourvu, promis à devenir « rien » ! Le crime de lèse-majesté est irrémissible.
La statue du commandeur ébranlée
Toute la construction attalienne pour déconsidérer le projet d’Emmanuel Macron repose sur des reproches factices, spécieux pour tout dire.
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« Je trouve que c’est un feu de paille. » Bah, voilà un feu de paille qui dure et s’amplifie depuis des mois…
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« C’est exactement ce que je lui conseillais de ne pas faire. » Oser désobéir aux oracles : une licence impardonnable.
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« Mais je ne crois pas à une carrière d’homme d’État fondée sur l’apparence. » Cible ratée Monseigneur. Il n’y a nul désir de carrière d’homme d’État chez Macron, à la différence du commun des énarques. Juste le désir de remettre le pays en marche. Et ensuite laisser la place. Jacques Attali nourrit sa sentence du modèle unique de carrière perpétuelle qu’il connaît, perçu comme universel-intemporel. L’esprit perclus de préjugés sur la politique et les politiques il ne comprend pas la démarche d’Emmanuel Macron. La suite est donc logique : « Je crois à une carrière d’homme d’État fondée sur un enracinement. » Sauf que la donne est en train de changer car les électeurs ne veulent plus de ces rentiers de la République dont les décisions politiques sont assujetties au prolongement de leur carrière, et qui reculent systématiquement devant les corporatismes.
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« Je crois à une carrière d’homme d’État fondée sur… une capacité à être impopulaire. » Emmanuel Macron l’a déjà montré, ce que le peu perspicace Attali n’a pas vu, dans son rôle de ministre comme dans celui de leader politique. Il a reçu davantage d’œufs sur la figure que le maître enfermé dans son sanctuaire oraculaire.
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« Je crois à une carrière d’homme d’État fondée sur… un projet pour le pays. » Mais maître Jacques, le projet pour le pays a pris forme et dénote une rupture radicale avec les catalogues de promesses sur papier glacé auxquels nous avait habitué le PS dans son désir de faire plaisir à tout le monde, voie royale vers le pouvoir.
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« Je crois à une carrière d’homme d’État fondée sur… une capacité à proposer des choses concrètes. » Et c’est là Monsieur Attali qu’on mesure à quel point la rupture est consommée avec le vieux PS, réduit à un cénacle d’élus carriéristes, d’où toute idée novatrice est bannie en raison du risque qu’elle ferait peser sur les carrières. Déjà comme ministre Emmanuel Macron fut porteur de projet concrets que nombre de parlementaires soumis aux pressions clientélistes se sont empressé de réduire à peu de chose. Et c’est parce qu’il en a fait l’expérience, celle du jeu politique classique réduit à un processus stérilisant, qu’Emmanuel Macron a choisi de s’émanciper.
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« Je crois à une carrière d’homme d’État fondée sur… aussi, et surtout, et ça fait partie de l’ensemble, une aventure collective, pas nécessairement d’un parti, mais d’un groupe. » Oh, oh, on lui révèle à maître Jacques la dynamique du mouvement En Marche ! ou bien on le laisse dans l’ignorance ?
Bref, le portrait d’homme d’État accompli signé Attali traduit un aveuglement sinistre ; et la volonté de poser un voile de camouflage sur une réalité qui fragilise la statue du commandeur.
Le culte de soi comme seule foi
Qu’on se le dise ! Rien d’important dans ce pays ne peut exister sans l’entremise de Jacques Attali, sans l’assentiment de Jacques Attali. Rien d’important ne peut avoir cours sans la bénédiction du pontife.
Jacques Attali se croyait seul au firmament du génie humain d’où il consent à distiller ses lumières. Et soudain il voit monter « un gamin » qui veut s’asseoir non pas à coté de lui, ce qui ressemble déjà à un déni d’autorité, mais au-dessus de lui, ce qui devient un crime de lèse-majesté. Perspective insupportable pour celui dont le culte de soi est la seule foi.
Au-dessus de lui car il y a une différence notable, essentielle, entre Jacques Attali et Emmanuel Macron. L’un adore abreuver le monde de conseils qu’il n’aura pas à mettre en œuvre, dont il n’aura en aucun cas à assumer les conséquences. L’autre veut surtout mettre en œuvre lui-même ses propres préconisations, expression d’un sens aigu des responsabilités. L’un sait toujours ce qu’il faut faire (comprendre, ce que les autres doivent faire). L’autre sait, lui, que les conseilleurs ne sont pas les payeurs et que la meilleure manière de faire de la politique est de faire soi-même ce qu’on dit.
Votre vision du monde est datée Monsieur Attali, sclérosée. Quand on a conseillé le président Mitterrand qui fait voter la semaine de 39 heures plus la 5e semaine de congés payés plus la retraite à 60 ans alors que dans les autres pays développés on commence à envisager de repousser l’age de la retraite, on est en droit de se poser des questions sur la perspicacité du visionnaire.
Allez maitre Jacques, faites-vous une raison : l’humanité vous survivra.