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« Puzzle socialiste » : langue de bois journalistique

Écrit le 18 septembre 2009 par Jiceo

• Puzzle Socialiste c’est ce blog du Monde qui claironne: « Jean-Michel Normand, journaliste au Monde, décrypte le Parti socialiste ». Soit. Mais la formule vaut son pesant de présomption, à la hauteur des promesses non tenues. Le décryptage suppose une plongée sous les reflets scintillants de la surface. Or ici aussi, en fait de plongée on se contente de surfer sur une compilation de lieux communs journalistiques. Un abus de langage en quelque sorte. Le titre du post (16/09/09) est d’ailleurs révélateur: «Le PS, toujours moins haut». C’est partout (journaux, télé, radios et maintenant internet) le même refrain. Depuis des années journaux et médias rabâchent les mêmes rengaines sur le Parti socialiste, sans que jamais rien ne change au PS, sans que jamais rien ne change dans les discours et compte-rendus sur le PS.

Souvenez-vous, ça a commencé en 1993, après la claque des législatives. Depuis lors, de façon cyclique les ritournelles de la modernisation, de la rénovation, de la refondation occupent le Top-10 des médias. Mais chacun sa partition. Jamais à l’unisson. D’échec électoral en congrès houleux, de victoire surprise en humiliation électorale, de «Nouvelle déclaration de principe» inaboutie en déchirements intestins, depuis plus de 15 ans les mêmes reproches sont ressassés en boucle accompagnés des mêmes promesses de rédemption. Des mots, rien que des mots, toujours des mots… relayés sans distanciation par les médias.

Feuilleton sinistre

Parcourons à nouveau le papier de Jean-Michel Normand pour repérer ceux qu’il identifie comme acteurs de la tragédie qui se joue au PS. « Le spectacle assez exceptionnel que donnent la plupart des dirigeants socialistes»; et l’auteur ajoute même « depuis quelques jours ». A se demander où il vit depuis quinze ans, mais c’est anecdotique. Ou révélateur. « Un Conseil national morne… »; « Un dirigeant murmure que… »; « La première secrétaire annonce… »; « Une ex-candidate»; « Treize élus et secrétaires nationaux». Autrement dit il n’y a que du beau monde dans le casting de la comédie. Oui, mais il manque l’acteur principal. C’est ici en creux que l’illusion peut se dissiper, en posant la question de fond: ce feuilleton sinistre (damned; du latin sinister) pourrait-il durer depuis aussi longtemps sans que jamais rien ne change si les protagonistes n’y trouvaient pas leur intérêt? Alors qui sont-ils?

Une chose encore avant de répondre à la question. A-t-on suffisamment remarqué que la gauche française ne perd pas les élections en étant battue par la droite? Elle est assez grande pour perdre toute seule. Elle se charge d’éliminer elle-même ses propres candidats qui ont une chance de gagner; en interne comme ce fut le cas pour Michel Rocard, scénario auquel est également confronté Dominique Stauss-Kahn. Ou en externe comme ce fut le cas pour Lionel Jospin battu par la gauche au 1er tour de l’élection présidentielle, le 21 avril 2002. Mais qui peut donc bien trouver son compte dans cette culture de l’échec?

Jouer à la conquête du pouvoir

Les tentatives d’explication, pardon, LA tentative d’explication serinée en boucle s’épuise à se répéter en vain; sans jamais déboucher ni se renouveler. Certes, les éléphants comme il est convenu de les appeler ont une lourde part de responsabilité. Mais le regard, y compris journalistique, ne se pose que là où la lumière brille, sous les spots. Il ne voit pas ce qui se joue dans l’ombre. Si les éléphants occupent toujours la scène c’est que le Parti (avec une majuscule) le veut bien. Si le Parti l’avait voulu, il aurait fait le ménage. Les éléphants ne sont pas tout le Parti, seulement la partie visible. Et ils doivent leur longévité à leurs électeurs: les militants. La simple émergence de cette idée est sacrilège. Assurément. Folle transgression du politiquement correct. Et pourtant.

Le militant socialiste (le pur et dur qui verrouille le parti pour que rien ne change) fait remonter sa propre filiation aux sans-culotte, accaparant au passage les Misérables hugoliens, les Communards de Jules Vallès, les mineurs de Germinal, etc. Il est incapable de se voir autrement que sous les traits d’un pauvre misérable. Prisonnier de sa culture exclusivement littéraire il confond romantisme révolutionnaire et action politique. Culturellement il ne peut se percevoir que sous le statut de victime apte seulement à demander des comptes. Il ne parvient pas à se concevoir acteur politique qui aurait à rendre des comptes, le fondement pourtant de la démocratie. Assumer la responsabilité de ses actes fonde la légitimité à agir. Autrement dit, la politique qui se joue verbalement au PS n’est qu’un artéfact pour la galerie; une phraséologie de grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Le militant socialiste joue à la conquête du pouvoir. Mais foncièrement il n’en veut pas.

La dame de Cœur

Seules les collectivités territoriales échappent aux conséquences tragiques de ce jeu pervers. Le poids des responsabilités y est moindre. Mais surtout le jeu est biaisé, car les socialistes ont gardé une carte dans leur manche, la dame de Cœur: c’est la carte de « l’État qui ne tient pas ses engagements ». La dame de Cœur, protectrice du peuple face à l’État roi de Pique, comme dans le tableau de Delacroix. Le militant socialiste, héritier mythique, se prend pour un mythe vivant, seul porte-parole légitime de la misère humaine. Porte-parole, annonciateur de la bonne nouvelle, ce qui à ses yeux est l’essence de l’action politique. Le reste n’est que vile intendance.

Au PS si rien ne bouge c’est d’abord parce que les militants (le noyau dur) ne le veulent pas. Et on s’aperçoit que les élus-notables ont tissé des liens troubles avec les militants. La duplicité règne, nourrie par la démagogie. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette… Tout le discours du PS est centré sur la conquête du pouvoir, en cohérence parfaite avec sa nature de parti politique. Toute la pratique du PS est canalisée par une culture de la révolte stérile qui refuse les responsabilités effectives. Les militants se trouvent bien comme cela. Le PS est leur chose. Ils sont chez eux, dans leurs pantoufles idéologiques à jouer leur jeu de prédilection: dire le Bien, mettre le Mal à l’index, les deux faces d’une même pièce. Rien ne doit déranger ce fragile équilibre qui repose sur des faux-semblants mais qui leur permet d’être toujours du bon coté, du côté des Bons. Rien et surtout pas l’exercice des responsabilités politiques d’Etat. La rhétorique politique n’est que prétexte à l’expression du ressentiment. Jamais à construire une politique.

Le PS c’est la conscience morale du monde

Au fil des conventions, des congrès, des alliances, des ruptures on joue à avoir raison contre les autres. En interne, on manifeste son pouvoir de nuisance, on se paralyse mutuellement, dans un jeu stérile qui bloque l’action politique. Vers l’extérieur le jeu stérile consiste à avoir raison contre les autres. Verbalement. Au PS on sait toujours ce qu’il faut faire. Mais c’est toujours ce que les autres doivent faire. Le PS c’est la conscience morale du monde. Ce jeu politique-là, stérile, le jeu des clans qui se paralysent mutuellement fait leur bonheur. Le PS c’est leur chose. Pourquoi voulez-vous que ça change? Chaque groupe, chaque fraction, chaque courant est prisonnier de jeux de rôle éculés. Le piège c’est qu’on ne voit que les élus qui s’agitent dans la lumière. On croit donc qu’ils sont les maitres d’œuvre de la danse macabre. On ne voit pas les liens pervers qui les relient aux militants. C’est le parti qui est malade. Pas seulement les éléphants.

Sclérose progressive du parti

A ceux qui sont choqués par ces propos très politiquement incorrects je suggère encore une piste. Lorsqu’on étudie l’évolution du nombre de militants-adhérents on ne perçoit que l’évolution du « stock » d’une année sur l’autre. Information pauvre qui ne peut faire sens que sur la longue durée. Ce qui apporterait un regard neuf sur la sclérose progressive du parti, c’est de quantifier le nombre de personnes qui ont payé une cotisation et ne l’ont jamais renouvelée. De quantifier tous ceux qui ont assisté à quelques réunions de section invités comme sympathisant susceptible de franchir le pas et qui n’ont pas donné suite. Il y a un passage extraordinaire (on dirait un « turn over » considérable en bon franglais) dans les rangs du PS. Les gens passent, mais ne restent pas. La dernière grande vague fut celle des « Adhérents à 20 euros » ainsi dénommés de façon méprisante par les vieux militants. Elle avait été initiée par Ségolène Royal pendant la campagne précédant l’élection présidentielle de 2007

Si vous avez tendu l’oreille à l’époque vous avez pu mesurer à quel point ils ont été mal reçus dans les sections, quand ils ont été reçus. Imperméables aux jeux subtils et réglés des joutes internes, ils venaient déranger les vieilles habitudes. Ils posaient des questions dérangeantes. Certains sont venus une fois et n’ont plus jamais remis les pieds, écœurés au bout d’une soirée. Certains n’ont pas eu la parole, expliquant d’ailleurs qu’ils ne comprenaient pas ce qui se jouait dans les échanges qui leurs semblaient obscurs, eux qui étaient venus pour soutenir une candidate à l’élection présidentielle. Certains n’ont jamais été invités à la moindre réunion. Et sur le nombre, combien ont renouvelé leur adhésion? Bref si on pouvait faire la somme des centaines de milliers de Français qui ont voulu rejoindre le PS depuis vingt ans mais qui sont repartis à peine arrivés on comprendrait mieux ce qui s’y déroule. Dans le parti. Pas à la surface.

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