Dix ans après, l’altermondialisme est sans avenir (2/2)
L’art de faire parler de soi en se servant d’autrui

Écrit le 10 février 2010 par Jiceo

La communion dans le ressentiment ne fera jamais une politique (suite). C’est l’idée qui émerge de l’article de Jean-Pierre Langellier: Dix ans après sa naissance, le mouvement altermondialiste s’interroge sur son avenir politique (LeMonde.fr – 29/01/09). Sa lecture est un miroir cruel. L’Altermondialisme n’a pas d’avenir politique. On l’a vu dans la première partie. Les altermondialistes se rêvent en contre-pouvoir. En toute cohérence ils s’ingénient surtout à n’exercer aucune responsabilité politique. La seule chose importante pour un altermondialiste conséquent est la célébration de l’orthodoxie idéologique. L’altermondialisme est l’art de faire parler de soi en se servant d’autrui.

L’article fait assaut de bienveillance pour tenter d’exonérer les altermondialistes de leurs propres faiblesses, de conserver une façade présentable à l’altermondialisme. Mais la tâche est devenue insurmontable. « Le FSM affronte un problème de fonctionnement, dû à sa nature même, celle d’un mouvement qui se veut autonome, autogestionnaire, très démocratique et respectueux de l’extrême diversité des courants qui le composent » plaide l’auteur. Voilà une liste séduisante de qualités potentielles: « autonome, autogestionnaire, très démocratique et respectueux de la diversité ». Il manque un seul élément, le plus important quand on prétend faire de la politique: la responsabilité. Une qualité dont la présence remettrait en perspective toutes celles qui précèdent, et qui seule serait à même de donner du crédit au papotage militant. Quand on n’a nullement l’intention de mettre en pratique ses propres préconisations on fait ce qu’il faut pour éviter d’avoir à en assumer la responsabilité, en prétendant par exemple s’ériger en « contre-pouvoir ». Ce qui est le comble du ridicule pour un « mouvement » (?) politique. Et on comprend mieux que ce n’est pas le bien-être des peuples qui motive les altermondialistes. Ce qui leur importe exclusivement c’est la perpétuation narcissique de l’image de perfection morale qu’ils veulent donner d’eux-mêmes.

Une démocratie de salon : un jeu sans enjeu

C’est en se fixant eux-mêmes des contraintes incohérentes, voire antagonistes, que les altermondialistes élaborent leur inconséquence. On se veut à la fois « très démocratique » et « respectueux de la diversité des courants », laquelle diversité cependant, ne saurait entamer le fondement de la communion: la conviction d’incarner la Vérité supracontingente, voie de l’harmonie universelle, destin unique et final de tous les terriens. Mais, passons. Arrêtons-nous un instant sur le « très » de « très démocratique » pour percevoir l’étonnante charge qu’il colporte. Voudrait-il laisser entendre que les institutions politiques qui se disent démocratiques ne le seraient pas autant qu’on le pense? Pourquoi pas? Mais ce n’est pas une raison pour oublier que les modalités des pratiques démocratiques sont infinies. Je dirai même que par définition il ne peut pas exister une seule procédure universelle qui aurait droit pour l’éternité à la qualification de démocratique. La démocratie ne peut être figée. Par nature elle s’adapte (elle est adaptée par les acteurs) aux exigences de lieu et de temps. Elle est toujours ce que les acteurs en font.

Ici, le « très » de « très démocratique » veut suggérer que cette qualité démocratique foncière prend une valeur suprême et du coup serait la source du « problème de fonctionnement du FSM ». Bigre, Tartuffe est en forme. Voilà une conception enfantine de la démocratie. Voilà un alibi qui porte beau: « c’est notre qualité démocratique qui fait notre problème de fonctionnement » essaient de nous dire les altermondialistes. Tu parles. Belle hypocrisie, érigée sur un contresens phénoménal. La démocratie du FSM est une démocratie de salon: un jeu stérile sans enjeu. Ou bien encore une démocratie de café du Commerce. L’horizon est identique; on n’y dépasse jamais le stade de l’échange oiseux, puisqu’il n’aboutit jamais à une quelconque décision politique. Rien de commun donc avec les institutions politiques qui dirigent un pays. Celles-ci par nature ne cessent de choisir, parmi mille combinaisons possibles, l’option qu’il faudra mettre en œuvre. Des choix qui non seulement sont passés aux filtres politiques des institutions, mais encore aux filtres médiatiques, et non seulement tout au long du processus de décision mais encore tout au long de la mise en œuvre, et enfin aux filtres électoraux qui scandent la vie démocratique. Dans une démocratie les acteurs des institutions politiques sont jugés sur leurs actes. Les altermondialistes voudraient être jugés sur leurs intentions. Trop cool. Mais peut-être que s’ils étaient tenus de développer des actions politiques qui les engagent, le fonctionnement « très démocratique » des altermondialistes leur apparaîtrait pour ce qu’il est. Et ils seraient alors conduits à développer des procédures démocratiques aptes à produire des décisions politiques. Belle utopie n’est-il pas?

« L’outil conceptuel », tenue de camouflage de l’impuissance

« Comment éviter la fragmentation des mouvements sociaux? Quel type de relations faut-il avoir avec les partis ou les gouvernements «progressistes», notamment ceux de la gauche radicale latino-américaine? » Les interrogations frivoles n’en finissent pas. Quel crédit politique en effet accorder à ceux qui ne veulent pas « toucher » à la politique? Et qui se délectent du mot magique « radical » repris en leitmotiv toutes les trois phrases, comme la réassurance permanente de leur pureté idéologique. Et comme la manière la plus hypocrite de faire de la politique sans y toucher.

Et puis encore ceci pour percevoir à quel point la pensée altermondialiste est foncièrement un spectacle illusionniste. « Sur le fond, peu de réponses ont été apportées à ceux qui déplorent que «l’usine à idées» du Forum produise aussi peu d’outils conceptuels pour mener des actions concrètes, permettant à la société civile globale de s’affirmer. » Une seule phrase mais qui déborde de sens. Jugez du peu. « Peu de réponses ont été apportées à ceux qui déplorent… » Plutôt cocasse non? Voilà donc des participants au Forum social mondial, des gens extrêmement intelligents, que dis-je supérieurement intelligents puisqu’ils n’ont que mépris pour tout ce qui n’est pas eux, et qui face à leur propre indigence intellectuelle « déplorent » qu’on leur apporte « peu de réponses ». Stupéfiant. On vient au FSM s’approvisionner en pensée prête à consommer, mais les rayons sont vides. Merdre alors! Il y a un sérieux problème marketing chez les altermondialistes: « l’usine à idées » est incapable de produire ce que le marché attend. Pas viable camarade! Il faudrait passer à une gestion capitaliste de « l’usine à idées » altermondialiste pour adapter l’offre à la demande.

Nous voilà déjà bien avancés sur le chemin de l’inconsistance. Mais les contorsionnistes de l’impuissance ont de la ressource. L’explication suit. Grandiose. Les participants « déplorent que «l’usine à idées» du Forum produise aussi peu d’outils conceptuels pour mener des actions concrètes, permettant à la société civile globale de s’affirmer. » Essayons de donner un peu de sens à ce charabia. Les altermondialistes sont venus chercher des « outils conceptuels », c’est bien ça? Oui mais « des outils conceptuels pour mener des actions concrètes ». Ah ça change tout. On commence à voir comment, à force de s’empiffrer de gros mots, on favorise l’obésité intellectuelle. Sacré handicap pour l’agilité de l’esprit, car pour « mener des actions concrètes » on a sans doute moins besoin « d’outils conceptuels » que de se retrousser les manches; et de mettre les mains dedans, avec toujours l’incertitude du résultat. Le risque d’échec est constitutif de toute activité humaine. Et ça coco, le risque d’échec, c’est pas bon pour l’image pieuse qu’on veut donner de soi. Garder les mains propres et une âme pure, voilà l’enjeu altermondialiste. « L’outil conceptuel » c’est la tenue de camouflage de l’impuissance. On avance, on avance sur le chemin de l’inconsistance. Oyez, oyez bonnes gens qui n’avez pas l’oreille accoutumée à la langue de bois altermondialiste: « mener des actions concrètes, permettant à la société civile globale de s’affirmer ». Voici enfin le must de l’altermondialisme, cet outil conceptuel (?) justement, particulièrement fumeux de « société civile », les protagonistes évitant soigneusement de préciser ce qu’il désigne. On reste donc sur sa faim, puisque ne sachant pas ce qu’il représente, on ne sait pas non plus de qui ou de quoi on voudrait le distinguer.

La religion universelle du salut

Mais en rassemblant ce qui est épars dans le discours altermondialiste, l’ambiguïté s’estompe. Si l’ambition est de se constituer en « contre-pouvoir planétaire capable de résister au capitalisme néolibéral prédateur » (ouah, l’obésité intellectuelle) on comprend l’imposture que recèle ce concept fumeux de « société civile globale ». Il désignerait tous ceux qui n’ont pas de responsabilité directe: ni politique, ni administrative, ni économique… Il y aurait donc d’un côté, tous ceux qui ne font pas partie des instances de décision, « la société civile globale » et les autres. L’idée est stupéfiante de simplicité. Elle crée une séparation artificielle dans les sociétés vivantes, comme si les institutions politiques existaient indépendamment des sociétés humaines dont elles émanent.

Mais si « la société civile globale » existe, elle existe donc par rapport à autre chose qu’il convient donc d’identifier. Par déduction cela doit désigner peu ou prou l’ensemble des personnes et des institutions nationales et internationales: politiques, économiques, commerciales, culturelles, scientifiques… En pratique tout ce qui constitue la vivacité des sociétés humaines complexes, toutes les institutions que se donnent les hommes pour organiser le monde tant bien que mal, pour le tirer sur les chemins de la civilisation. Et comme tout pouvoir est assimilé au « capitalisme néolibéral prédateur », la boucle est bouclée. La religion universelle du salut repose enfin sur son socle, indestructible: le monde est coupé en deux engeances. D’un côté « la société civile globale » et de l’autre « le capitalisme néolibéral prédateur ». Les Bons et les Méchants enfin identifiés, il ne reste plus qu’à éliminer les Méchants pour qu’advienne le règne des Bons. CQFD.

On avance, on avance vers le néant. Chaque ligne renforce ce sentiment. « Tous analysent la crise financière mondiale comme une bonne nouvelle qui valide les thèses du Forum et la décrivent comme le plus grave symptôme «des limites», «de l’usure», voire «de l’échec» du capitalisme.«  La crise financière est une bonne nouvelle. Soit. Mais l’affirmation tombe à plat puisqu’elle met surtout en lumière:

  1. l’inculture altermondialiste qui se déploie sur une vision du monde linéaire, vieille séquelle marxiste. « Le capitalisme » serait sur le déclin depuis le premier jour et la crise en annonce la fin. L’illusion est persistante, puisque l’histoire des sociétés humaines, y compris capitalistes, n’est pas linéaire. C’est une succession de cycles prospérité-crise. Or souvenez-vous, chaque crise est annoncée comme la chute finale. Et pourtant chaque fois « le capitalisme » repart de plus belle. Ni hasard, ni fatalité. Sa force tient à sa nature, qui est de reconnaître les qualités individuelles des êtres et de leur donner la latitude d’agir. Ce qui lui procure une capacité d’adaptation phénoménale.Voilà pourquoi j’ai écrit « le capitalisme » entre guillemets puisque « le capitalisme » n’existe pas en soi. Il existe des « sociétés capitalistes » dont la caractéristique est de s’adapter; aux évolutions d’une société dans le temps; aux différences culturelles dans l’espace. Le mot « capitalisme » employé comme marqueur mondial unique est un mot magique qui comme tel ne produit qu’une illusion. Illusion de savoir. Illusion de pouvoir.
  2. la pusillanimité altermondialiste puisqu’elle n’a pas produit le moindre début de politique de rechange viable. On l’a vu largement.

Survivances de représentations gauchistes datées

Dans le prolongement de cette impuissance, « la philosophe Susan George rêve d’une journée d’action mondiale semblable à celle qui, en février 2003, avait fait descendre dans les rues des millions de manifestants contre la guerre en Irak. » Et après? Que s’est-il passé en Irak? Et après? Que se passera-t-il dans le monde quand on aura fait « une journée d’action mondiale »? Les philosophes s’égarent dans l’univers politique quand ils se croient dispensés de l’action politique.

Au bout du compte force est de constater que « de manière générale, les altermondialistes dénoncent encore beaucoup plus qu’ils ne proposent. Le discours altermondialiste conserve les États-Unis pour cible privilégiée. » C’est le moins qu’on puisse dire. Pourtant Jean-Pierre Langellier ne peut s’empêcher de prendre au sérieux les vieilles lunes idéologiques altermondialistes. « Rares sont ceux qui, comme le Français Bernard Cassen, de l’association Attac*, se livrent à quelques constats gênants, par exemple à propos de la Chine d’aujourd’hui, qu’il dit ne pas tenir «pour une alliée des mouvements sociaux». «Nous devons, ajoute-t-il, cesser de considérer les pays du Sud comme un ensemble homogène où les rivaux de nos adversaires seraient forcément nos alliés.» » L’illusion idéologique comme un rayon laser dans la nuit. Tu parles d’un « constat gênant ». Pourquoi la Chine serait en soi l’alliée des « mouvements sociaux ». Elle ne l’est que comme survivance de représentations gauchistes datées. La Chine, comme les USA ou tout autre pays, met en œuvre ce qu’elle considère bénéfique pour elle. Quant à l’expression « mouvements sociaux », elle n’est encore qu’une illusion entretenue: comme si les « mouvements sociaux » pouvaient avoir une autonomie politique à côté des institutions politiques reconnues comme telles. D’autant qu’ils seraient en tant que « mouvements sociaux » dispensés de se doter de la pertinence politique des mouvements et institutions politiques.

La fin de l’article concède tout de même que l’avenir politique de l’altermondialisme est bouché. « Le FSM frappe aussi par son silence sur les sujets de société qui divisent ses membres -la libéralisation de l’avortement, la dépénalisation des drogues- sur ceux dont l’évocation embarrasserait les pouvoirs «amis» de la région comme le Venezuela -les atteintes à la liberté d’expression, les ravages de la violence urbaine- ou encore sur d’autres thèmes qui préoccupent les citoyens du monde, comme les dangers du terrorisme islamiste. » Manifestement, il reste au « mouvement » altermondialiste à beaucoup travailler sur lui avant d’être en mesure de faire la leçon urbi et orbi. Il lui est impossible de s’obstiner à justifier son impuissance par des causes extérieures.

L’altermondialisme porte en lui son échec. Il se prend pour ce qu’il n’est pas. Il se veut un « mouvement » politique mais refuse l’essence de la politique: triviale, conflictuelle, incertaine. Il voudrait faire de la politique sans responsabilité politique. Enfermé dans une vision du monde close sur elle-même, ce qui s’autoproclame « mouvement » se révèle n’être qu’un abus de langage: l’impuissance politique maquillée en velléité conquérante. Mais il sait faire parler de lui en se servant d’autrui.

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* ATTAC : Association pour la taxation des transactions financières et pour l’aide aux citoyens.

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