A propos de la réforme des retraites
Que faisiez-vous au temps chaud chers parlementaires socialistes ?
• Dans l’intérêt du pays, il vaudrait mieux que le PS de Martine Aubry ne gagne pas les élections générales de 2012 (présidentielle et législatives). Confier le pilotage d’un paquebot doté d’une colossale inertie (nos sociétés complexes) à un commandant de bord aussi peu conséquent relèverait d’un comportement suicidaire. Ce pilotage-là exige une sacrée capacité d’anticipation. Inconséquence chronique que pourtant, les dirigeants socialistes s’empressent de conforter à chaque occasion; cette fois à propos du projet de loi sur le financement des retraites. «Hier dans un communiqué Martine Aubry a appelé le gouvernement à « faire preuve de responsabilité » en retirant son projet. Très à l’aise également dans ce registre, Ségolène Royal ne pouvait rester à l’écart: « Le gouvernement doit suspendre son projet » a-t-elle dit en écho. (Ouest-France, 13/10/10).
Passons rapidement sur l’appel au gouvernement « à faire preuve de responsabilité ». Une admonestation qui commence par produire un effet comique puisqu’elle émane de « responsables politiques » qui s’ingénient à refuser les responsabilités, mais qui tourne vite au tragique eu égard aux enjeux dont ils semblent ignorer l’ampleur. Sur le fond il est effrayant de constater l’immaturité de ce pays. Le sujet est d’importance puisqu’il concerne tous les citoyens, le financement des retraites. Or, même sur des enjeux de cette importance, ni les partis politiques d’opposition, ni les syndicats ne sont capables de développer des comportements à la hauteur. Ils demeurent prisonniers de jeux inconséquents qu’on s’attend à trouver plutôt dans les cours de récréation que sur les bancs de l’Assemblée nationale.
Quoi, le gouvernement devrait retirer son projet? Une fois de plus, pour retarder l’échéance, encore? Et c’est cela « l’attitude responsable » qui consiste à repousser sans cesse l’échéance, rendant chaque jour un peu plus difficile l’élaboration d’une dynamique de financement viable (à moyen terme)? Et c’est cela « l’attitude responsable » qui consiste à plomber chaque jour un peu plus l’avenir de ses propres enfants en continuant d’emprunter pour les dépenses courantes?
Union nationale
Or, sur un sujet de cette importance, comment considérer notre incapacité foncière à susciter l’union nationale? Tous les Français sont concernés… Tous. Eh quoi, qu’est-ce que vous croyez, la réponse fuse, évidente, mécanique: le gouvernement refuse de négocier. Bon dieu mais c’est bien sûr. On le tient le coupable. Comme si la question du financement des retraites avait vu le jour il y a six mois. Le fond de l’affaire c’est que ni le Parti socialiste, ni les syndicats ne veulent prendre leur part de responsabilité. On préfère présenter le gouvernement en ennemi plutôt que d’endosser une partie de la responsabilité de décisions qui ne peuvent qu’être difficiles à accepter. Or, c’est dans ces conditions-là, justement, que l’union nationale se justifie. Mais en France on préfère continuer à surfer sur la culture enfantine de l’irresponsabilité, si confortable: « sus au méchant ». Il faudrait posséder et entretenir une culture politique bien plus élaborée pour concevoir comme en Allemagne l’hypothèse d’une grande coalition, le temps au moins de mettre en œuvre lesdites décisions forcément impopulaires.
Le gouvernement ne veut pas négocier. Tu parles. Mais ça fait trente ans que le sujet est sur la place publique. Dès les années soixante-dix des études démographiques pointaient les difficultés à venir. Qui nous expliquera pourquoi, les différents gouvernements socialistes sont restés silencieux sur le sujet? Pourquoi Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Edith Cresson, Pierre Bérégovoy, Lionel Jospin se sont bien gardé de travailler le sujet. Seul Michel Rocard a tenté en 1989 (il y a vingt ans déjà) de faire prendre conscience au pays qu’il importait de se saisir de la question; bien vite rappelé à l’ordre par un François Mitterrand qui voulait, lui, s’éviter une fin de règne agitée. Qui nous expliquera pourquoi les syndicats sont restés silencieux sur un sujet aussi important?
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Quoi, sur un sujet aussi important le gouvernement ne veut pas négocier? Mais que faisiez-vous au conseil d’orientation des retraites chers parlementaires de gauche, chers syndicalistes professionnels?
Qui nous expliquera pourquoi pendant ces dizaines d’années, parlementaires de gauche et responsables syndicaux se sont bien gardés de travailler à l’œuvre commune, se sont bien gardés de préparer les Français aux décisions qu’ils savaient pourtant inéluctables? Qui nous expliquera comment un Parti socialiste silencieux depuis trente ans sur la question ose prétendre gouverner le pays en 2012 en pariant sur l’échec de la réforme que tente d’imposer Nicolas Sarkozy. Les propositions du PS sur le sujet (l’élaboration d’une politique viable du financement des retraites) sont inexistantes.
Quoi, sur un sujet de cette importance le gouvernement n’a pas fait œuvre de pédagogie? Mais que faisiez-vous au temps chaud chers parlementaires de gauche? Ah oui, vous chantiez les louanges de la retraite à 60 ans en votant une loi qui en ignorait le financement. Mais que faisiez-vous au temps chaud chers syndicalistes professionnels? Ah oui, vous chantiez les louanges de cette avancée démagogique, vous ou vos prédécesseurs. Vous chantiez? J’en suis fort aise… Et nous danserons devant le buffet dans quelques années, si « la solution de gauche » est une fois encore de « suspendre le projet »; de repousser la décision.